L’annonce de Philippe Magistretti a fait l’effet d’une bombe. Invité lundi soir sur le plateau de Canal9, le président de CMA Group a fait savoir que les remontées mécaniques de Crans-Montana pourraient prochainement être louées aux trois communes du Haut-Plateau, qui en reprendraient ainsi la gestion. Il a même laissé la porte ouverte à un possible rachat, par les collectivités publiques, des parts du milliardaire Radovan Vitek, actionnaire majoritaire des remontées mécaniques depuis 2016.

Au lendemain de cette nouvelle, c’est peu dire que les discussions et les spéculations vont bon train dans la station. Pour autant, Nicolas Féraud et David Bagnoud, les présidents de Crans-Montana et Lens, se refusent à tout commentaire à ce stade. «Nous sommes tous à l’unisson, et conscients des immenses enjeux qui entourent ces tractations. L’intérêt public sera prépondérant dans ces négociations», explique Nicolas Féraud. Une séance d’information réunissant les trois conseils communaux sera mise sur pied fin février.

Cette nouvelle soulève toutefois trois importantes questions, que «Le Nouvelliste» a posées à différents acteurs touristiques de Crans-Montana et d’ailleurs.

Est-ce un constat d’échec sur la gestion de CMA?

Plus de 7 millions de pertes en 2017, 5 millions en 2018, 2,2 millions en 2019 et en 2020. Les chiffres de 2021 ne sont pas connus, mais avec la pandémie, ils peuvent difficilement être meilleurs. CMA est habituée aux chiffres rouges. CMA Immobilier aussi. La société qui gère notamment plusieurs restaurants du domaine skiable et des parkings a perdu un total de 17 millions sur les quatre mêmes exercices.

Plusieurs acteurs touristiques du Haut-Plateau se demandent si Philippe Magistretti cherche à se débarrasser des remontées mécaniques à cause des mauvais résultats? «Même si les clients sont satisfaits de l’entretien des pistes et du fonctionnement des remontées mécaniques, on peut se poser la question. Les chiffres sont ce qu’ils sont», glisse Didier Bonvin, président des hôteliers de la station. Ce mardi, le président de CMA n’a pas répondu à nos sollicitations, mais la question lui a été posée, lundi, sur le plateau de Canal9.

La gestion d’un domaine skiable par les pouvoirs publics n’est pas moins bonne, ni meilleure, que celle des pouvoirs privés.

Laurent Vanat, spécialiste du tourisme hivernal, auteur du rapport annuel des remontées mécaniques suisses

«Non, sûrement pas», a répondu Philippe Magistretti, expliquant: «Dans cette industrie, il y a des hauts et des bas, comme partout. Mais ce n’est pas à cause de deux années complexes, finalement pas si désastreuses que ça, que nous voulons le faire.»

Mais cette explication convainc d’autant moins que le groupe voulait faire de Crans-Montana une station intégrée, c’est-à-dire, avoir la maîtrise de toute la chaîne de valeur, de l’appartement aux pistes, en passant par la location des skis et le restaurant. Dans cette optique, la volonté d’abandonner la gestion des remontées mécaniques, soit la colonne vertébrale de cette stratégie, l’élément qui attire les visiteurs, est incompréhensible.

Enfin, il ne faut pas exclure Radovan Vitek de l’équation. Philippe Magistretti a toujours eu la confiance du milliardaire tchèque qui possède le groupe CMA à travers sa société CPIPG basée à Prague. Mais on peut s’étonner que le conseil d’administration d’un groupe qui pèse plus de dix milliards se satisfasse des mauvais résultats de CMA. Sa patience aurait-elle atteint sa limite?

Des communes peuvent-elles exploiter des remontées mécaniques dont elles ne sont pas propriétaires?

La gestion de domaines skiables par des pouvoirs publics est souvent critiquée, mais pour le spécialiste du tourisme hivernal, Laurent Vanat, le modèle n’est pas voué à l’échec. «Il apparaît que la gestion d’un domaine skiable par les pouvoirs publics n’est pas moins bonne, ni meilleure, que celle des pouvoirs privés.»

Si les communes reprennent la gestion des remontées mécaniques sans avoir leur mot à dire, cela n’a pas de sens.

Marius Robyr, directeur du comité exécutif de la candidature des Championnats du monde de ski alpin 2027

Il ajoute : «En général, lorsqu’un pouvoir public reprend la gestion d’une société de remontées mécaniques, c’est parce que celle-ci affiche de mauvais résultats financiers. Il y a donc une sorte de biais qui porte à croire que les collectivités publiques gèrent mal ces sociétés. Mais en réalité, elles héritent d’une situation compliquée qu’elles doivent redresser.»

Sur le Haut-Plateau, les avis des observateurs à l’égard de cette potentielle location par les communes sont contrastés. «Aujourd’hui, l’investisseur perd de l’argent, une location c’est donc un moyen pour lui de stopper les frais. Louer par la collectivité, pourquoi pas, mais le prix doit être vu en conséquence», estime Jean-Daniel Clivaz, président de Crans-Montana Tourisme & Congrès.

Hôtelier et ancien membre du Conseil d’administration des remontées mécaniques, Joseph Bonvin se montre quant à lui dubitatif. «A qui reviendra la décision de remplacer une installation? Qui investira dans les infrastructures? Les parkings et restaurants sont-ils compris dans cette location? Les inconnues sont nombreuses.»

Je rêve d’un modèle où les commerçants locaux prennent des parts dans les remontées mécaniques.

Jean-Daniel Clivaz, président de Crans-Montana Tourisme & Congrès

Un sentiment partagé par Marius Robyr, directeur du comité exécutif de la candidature aux Championnats du monde de ski alpin 2027. «Si les communes reprennent la gestion des remontées mécaniques sans avoir leur mot à dire, cela n’a pas de sens.»

Laurent Vanat reconnaît que ces questions sont délicates. «Mais elles sont en général réglées lors des négociations.»

A terme, les communes doivent-elles racheter les remontées mécaniques à Radovan Vitek?

C’est l’option préférée de nos interlocuteurs. «Si les remontées mécaniques doivent être rachetées par la station, il faut que le prix corresponde à ce que ça vaut vraiment. Sur ce point, aujourd’hui, c’est l’inconnu. Nous n’avons pas les chiffres, rien n’est articulé», explique Jean-Daniel Clivaz.

Le président de CMTC est d’avis que ceux qui investissent dans les remontées mécaniques doivent avoir un intérêt dans le développement touristique et économique de la station. «Je rêve d’un modèle où les commerçants locaux prennent des parts dans les remontées mécaniques. Plusieurs stations autrichiennes fonctionnent comme cela.»

Pour Joseph Bonvin, ce potentiel rachat permettrait de ramener de la sérénité sur le Haut-Plateau. L’ancien conseiller communal PDC précise toutefois que les communes ne sont pas la panacée. «Lorsque nos remontées mécaniques étaient en mains des collectivités publiques durant les années 2000, elles auraient fait faillite si les banques et les communes ne procédaient pas à un abandon de créances.»

Les inconnues sont nombreuses.

Joseph Bonvin, hôtelier et ancien membre du conseil d’administration des remontées mécaniques

En cas de rachat par les communes, Didier Bonvin, président des hôteliers de Crans-Montana, insiste sur l’importance de déléguer la gestion opérationnelle des remontées mécaniques à une société privée. «L’exploitation technique, le marketing ou encore la vente requièrent des compétences professionnelles dont ne dispose pas forcément une administration communale.»

Une analyse que partage le président du PLR de Lens, Maxy Rey. «La gestion des remontées mécaniques est en effet davantage du ressort d’une entreprise privée. Avant d’aller plus loin, il faut de toute manière connaître le prix, la nature et le contenu de cette transaction.»

Sur le plateau de Canal9, Philippe Magistretti a évoqué le montant de 70 millions: «A ce prix je conseille à Radovan Vitek d’entrer en matière.» D’autres sources évoquent un montant entre 30 et 40 millions. Un expert externe devra sans doute évaluer le prix en tenant compte, non seulement de la valeur des équipements, mais aussi de la valeur d’exploitation. Or les chiffres des dernières années ne sont pas bons.

Radovan Vitek va «dégraisser» à Crans-Montana

Le milliardaire tchèque et actionnaire majoritaire de CMA Radovan Vitek souhaite évaluer tous les postes des entreprises qu’il possède sur le Haut-Plateau.