Lossy, une petite commune à quelque cinq minutes de Fribourg. Quand elle sort ses chevaux, en dehors du paddock, Aurelia Loser n’a d’autres choix que de traverser la bourgade et de provoquer quelques grincements de dents auprès des villageois. «Ils ne nous aiment pas beaucoup», sourit-elle en référence aux crottins qui tapissent les rues derrière leur passage.

La cote grimpe en même temps que les sans-fautes

Au-delà de ces désagréments, c’est ici, en pleine campagne fribourgeoise, que l’une des meilleures cavalières du pays exerce sa passion et son métier. «Le cadre est magnifique. Quand il fait beau…»

Depuis huit ans, au sein de l’écurie Gian-Battista Lutta, elle concilie sa passion de l’équitation, des chevaux en général, en y obtenant des résultats sur la scène internationale tout en aidant son employeur à revendre ses meilleures montures. Et plus ses protégés alignent les sans-fautes, en compétition, plus le risque de s’en séparer augmente. C’est là tout l’enjeu de ce «business» qui tend à mettre en valeur des chevaux afin de les revendre à des prix, souvent, exorbitants.

Quand un cheval nous quitte, c’est un petit déchirement. Mais ce sont les règles du jeu.

Aurelia Loser, dans le top 10 des cavalières en Suisse

Récemment, Aurelia Loser a d’ailleurs dû prendre congé de Meibloem, la jument qu’elle montait lors des concours 5* et dans les Grands Prix. «C’est un petit déchirement, bien sûr, mais ce sont les règles du jeu», accepte-t-elle. «Quand un cheval nous quitte, c’est aussi l’occasion pour moi de former de plus jeunes et de les amener au plus haut niveau possible. D’ailleurs, quand M. Lutta vend un cheval de compétition, c’est aussi gratifiant et valorisant pour moi. Ce challenge est hyper excitant. Au fond, je m’épanouis autant dans la formation que dans les plus grands concours internationaux. Avec certains chevaux, je suis partie de très loin.»

Lossy, le 07.03.23 --- Sport, hippisme: portrait d'Aurelia Loser dans les écuries de Gian-Battista Lutta à Lossy, près de Fribourg.

PHOTO LAURENT CROTTET pour Le Nouvelliste
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A Lossy, Aurelia Loser profite de la campagne pour de longues balades. © Laurent Crottet – Parallaxe-photo.ch

Un vrai «deal» gagnant

Les montants ont de quoi donner le tournis quand ils avoisinent et dépassent le million de francs. «Waouw, c’est astronomique», s’esclaffe-t-elle. «Je préfère ne pas y penser tellement ça me dépasse. Je vis le présent sans réfléchir aux conséquences d’un gros résultat en compétition. J’ai conscience de mes responsabilités mais j’en fais abstraction. N’importe quel cheval, quelle que soit sa valeur, peut se blesser. Heureusement, M. Lutta ne me met aucune pression; il nous fait confiance. Après, il y a des offres qu’un propriétaire ne peut pas refuser.»

Le «deal» entre Aurelia Loser et Gian-Battista Lutta n’est pas commun. Elle n’est pas son employée, il n’est pas son employeur. «Je peux monter ses chevaux en concours, je l’aide à les mettre en vitrine et, en parallèle, je poursuis mes études», raconte-t-elle. «Je ne suis donc pas salariée. Un jour, il faudra bien que je songe à gagner ma vie et ne plus être dépendante de mes parents. Dans un premier temps, pourquoi ne pas rester ici à 50%? Je lui suis reconnaissante de cet arrangement qui nous satisfait tous les deux. Je lui dois tout ce que j’ai vécu jusque-là.»

L’avenir, c’est de convaincre un propriétaire

Aurelia Loser devra pourtant bien prendre son envol si elle veut poursuivre la compétition à ce niveau et envisager de disputer les Jeux olympiques. Paris 2024 arrive probablement un peu trop tôt même si elle est déjà bien installée dans le top 10 en Suisse. En 2028, elle pourrait toutefois être une candidate crédible à l’une des quatre ou cinq places dans la sélection suisse. «Ce sport coûte tellement cher qu’il faut pouvoir compter sur des propriétaires, des passionnés qui sont aussi des sponsors. Ce qui m’intéresse, prioritairement, c’est la compétition. Mais je me verrais bien aussi faire du «business», développer des chevaux à mon compte. Financièrement, c’est toutefois difficile de se projeter.»

Ma maman m’a emmenée à la danse. Mais les ballerines et le tutu, très peu pour moi.

Aurelia Loser, née à Crans-Montana

Petite, Aurelia Loser n’était pas destinée à monter des chevaux. Sa maman l’a encouragée à faire de la danse, «comme toutes les petites filles», s’amuse-t-elle. «Sauf que moi, les pointes, les ballerines et le tutu, très peu pour moi.»

Aurelia Loser noue des liens privilégiés avec ses chevaux, le temps de leur collaboration. © Laurent Crottet – Parallaxe-photo.ch

Très vite, elle s’est dirigée vers les poneys puis les chevaux qu’elle a montés pour ses loisirs, d’abord, avant de faire de la compétition à Granges, chez Laurent Fasel. «C’est lui qui m’a vraiment initiée à ce sport. Quand c’est devenu un peu plus sérieux, il m’a emmenée à Lossy pour acheter un premier cheval d’expérience. C’est de là que date mon premier contact avec M. Lutta.»

La psychologie plutôt que le droit

A la fin de ses études en Valais, à 19 ans, Aurelia Loser a pris une année sabbatique afin de se concentrer exclusivement à cette activité auprès des chevaux. Le hasard a bien fait les choses puisque les écuries, à Lossy, cherchaient justement à remplacer l’un de leurs cavaliers. «Je me suis présentée, j’ai monté un cheval et le courant est passé. Ç’a été l’occasion de me familiariser avec ce métier, la monte, l’entretien des chevaux et le nettoyage des box. C’était un changement de vie radical durant une bonne année et demie.»

Le temps de profiter d’un nouvel environnement avant le retour sur les bancs de l’université, des études de droit d’abord avant de se tourner vers la psychologie. «Ce n’est pas évident de gagner sa vie avec le saut d’obstacles», précise-t-elle. «De toute façon, je voulais assurer mes arrières. Ma vraie chance, c’est d’avoir pu rester dans l’écurie de Gian-Battista Lutta tout en poursuivant mes études.»

chevaux qu’Aurelia Loser a montés, en compétition, ont été vendus ces dernières années.

Dans l’ordre: Rahmannshof Tic Tac, Anaba Haize, Blow Up et Meibloem. «Franchement, je ne connais pas les montants parce que ce n’est pas mon «business», explique-t-elle. «Je sais que le propriétaire a déjà reçu des offres pour Molly Malone Z mais il n’y a pas répondu.»
En règle générale, des chevaux de ce niveau peuvent facilement valoir plusieurs centaines de milliers de francs quand ce ne sont pas des millions pour les cracks.

Hippisme: avec ses résultats, Aurelia Loser aide son employeur à vendre ses meilleurs chevaux

La citoyenne de Crans-Montana fait partie des meilleures cavalières du pays. Paradoxalement, ses résultats contribuent à la vente des chevaux qu’elle monte au quotidien.