Une vie à cent à l’heure, une marque sous les feux des projecteurs et tendance de par sa fraîcheur, son originalité et ses convictions écologiques, des collaborations en pagaille et des idées à revendre…

Kevin Germanier a pris le temps de nous répondre au téléphone avant de choisir neuf de ses créations et de nous les commenter.

La meilleure manière de découvrir son univers, «son ADN» comme il le dit, sequin, strass, perles et tissus recyclés, tout l’art de l’upcycling. Les voici.

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Kevin Germanier, prix d’encouragement 2022 de l’Etat du Valais, Valaistar du 1er trimestre 2022, comment vous définissez-vous, artiste, créateur, designer, couturier, chef d’entreprise?

Tout ça à la fois, je gère la production, le sourcing, instagram, tik-tok, les conflits politiques dans la mode, je passe les factures, je crée. Je suis CEO, mais je ne me plains pas, j’adore. J’ai la hantise de l’ennui et c’est sûr que je ne m’ennuie pas!

Vous vous habillez toujours en noir c’est pour mieux laisser passer la lumière sur vos créations?

Je me fiche que l’on parle de moi. Ce qui m’importe c’est qu’on parle de «Germanier», la marque. Je ne suis pas une figure publique.

Comment qualifiez-vous votre style en trois mots?

Passé, présent, futur. Parce qu’on respecte le passé, les tricots, les techniques artisanales. On est conscient du présent, que la situation est fucked up (littéralement «foutue») et on aborde la problématique du futur.

Il y a un message que vous voulez faire passer avec vos créations?

Je fais de la mode de manière très égoïste, parce que c’est ma façon de m’exprimer. Qui suis-je pour vous dire comment vous allez vous habiller la saison prochaine? Si vous achetez une pièce de Germanier en 2022 et que vous la portez en 2050, cela montre que vous êtes intelligent, parce que vous portez un habit que vous adorez. Si ça se trouve vous l’aimerez tellement que vous le passerez à votre fille, à votre fils. Ceci m’intéresse plus que d’habiller la fille de la prochaine saison, ce qui n’est pas challengeant. C’est la durée, le temps qui m’intéresse.

Vos tenues utilisent des matériaux voués à être jetés, non considérés (perles de mauvaises tailles, tissus au rebut, de seconde main, etc.). Comment s’est construite la conscience écologique chez vous?

J’ai voulu étudier à la meilleure école mais aussi la plus chère du monde, la Central Saint Martins à Londres. Mes parents m’ont dit que si je voulais la faire je devrais trouver son financement. A Londres, je ne roulais pas sur l’or. Cela m’a forcé à aller chiner, à aller dans les Caritas, dans les Emmaüs pour trouver des duvets beaucoup moins chers que ceux des grands magasins.

Ça existe la robe impossible à réaliser?

Il y a plein de choses que j’ai crues impossibles et qui se sont réalisées. J’aurais tendance à dire non aujourd’hui. Je voudrais que les gens retiennent que notre travail est comme celui d’un ingénieur architecte. Nous avons en plus les contraintes de mouvement, des différentes grandeurs, des différentes anatomies. J’ai une fascination pour l’anatomie humaine. Mon livre préféré c’est l’atlas du corps humain que les médecins utilisent. J’aime savoir comment les nerfs, les muscles fonctionnent. Je ne peux pas habiller le corps sans savoir comment il bouge. Alors si vous me dites, ça tu ne vas jamais y arriver, je le ferai pour vous prouver le contraire!

Vous avez accompli l’un de vos rêves à trente ans, participer à votre première Fashion Week. Quel est le suivant?

Devenir directeur artistique de Christian Dior!

C’est réalisable?

Allez oui, ça l’est!

Neuf créations de Kevin Germanier

1.L’alpha 2016. C’est ma toute première robe et l’une de mes préférées, la première fois que j’expérimentais les perles de Hong Kong et la technique du silicone. Grâce à cette robe je me suis réconcilié avec la couleur, la transparence. A l’école Central Saint Martins de Londres on nous enseignait des choses très déconstruites, dures et moi j’aime l’aspect plus glamour, féminin. La robe va jusqu’au-dessous du genou, avec deux manches dont l’une tombe et un ruban qui s’attache autour du cou. Les fils de nylon ont été retirés par ma grand-maman un par un. Björk l’a portée en 2017. Elle se trouve dans les archives chez Grand-Maman Simone, elle y est bien conservée.

2.Les débuts de Germanier, la marque Cette pièce fait partie de ma première collection présentée en 2018 toujours étant junior designer chez Louis Vuitton, après ma collection bachelor. Elle représente l’essentiel de la marque Germanier quand on parle d’upcycling. Le blazer vient de Caritas Valais à Sion. Ce n’est pas parce qu’il est vieux qu’il n’a plus d’intérêt. On a évidemment cintré la taille, resserré l’emmanchement, serré le dos. Toute la collection a été achetée par le site de vente en ligne matchesfashion.com.

3.L’évolution Après trois ou quatre collections, on se sent plus à l’aise. Ce complet, de la première collection manufacturée avec la technique du silicone et perles, montre des finitions plus évoluées, plus propres. C’est aussi la première fois qu’une de mes créations est portée par un homme. Ce n’est pas parce que c’est un vêtement d’homme qu’il ne peut pas posséder des perles de cristal Swarovski. La séparation masculin-féminin en 2022 est totalement désuète. C’est une évolution de la marque mais aussi du message.

4.Le tricot C’est la première fois qu’on introduit les tricots de ma maman et de ma grand-maman. Il y a le côté technologique des empiècements Swarovski mais le respect de l’artisanat aussi. Le tricot est un art familial, ancestral. Ici, on a réussi à le moderniser. C’est une équipe de 17 tricoteuses valaisannes aujourd’hui qui se tiennent les pouces. Elles sont toutes maman, ont dû mettre leur carrière de côté pour élever leurs enfants. Dans cet ensemble, il y a une recherche de couleur, je l’adore. Elle reste très sexy et désirable.

5.Le dépouillement Pour ce modèle la question était: «Est-ce que cela peut être du Germanier sans avoir du sequin, des perles, de la brillance?» La réponse est oui! Cette robe évoque tout le travail des deux premières tricoteuses, maman et grand-maman. C’était tellement beau que je n’ai rien voulu ajouter. La chaîne tressée de perle du sac sont un peu devenues notre marque de fabrique, elles proviennent des Philippines.

6.L’art du drame Le travail des plumes en dégradé du boa fait écho à «L’alpha». Les plumes sont des restes des studios Disney, du Lido. La raison du dégradé est que nous n’avions pas assez de plumes pour faire tout le boa en bleu. Donc on a mélangé avec le kaki! Cette robe est devenue l’une des plus populaires. Je la trouvais «dramatique» et pensais qu’elle ne se vendrait jamais, mais le modèle est l’une de nos meilleures ventes. A New York, Londres, il y a des femmes qui la portent et vont dîner ainsi le soir. Cela m’a réconforté dans le sens où je pouvais aller vers le drame.

7.Le maître des perles Arrêtons de nous excuser, d’être désolé et de cligner des yeux, je sais travailler les perles, je vais donc m’autoproclamer le maître des perles! C’est une prouesse de créer des robes qui s’enfilent comme des gants. Celle-ci est constituée de fleurs de huit. On arrive à avoir des godets (faux-plis formés par une découpe en forme ou en biais, ndlr.) au niveau de la taille mais sans structure en dessous. Cela tient sur la pression que l’on place sur les perles pour les faire lever. Les bottes sont un tissage de fil élastique, elles sont comme des chaussettes de perles, ultraconfortables. Il a fallu quatre mois pour les créer! Là je me suis challengé.

8.L’apothéose du silicone Cette pièce a participé au dernier show case à la Fashion Week de Paris ce printemps, l’apothéose de ma technique en silicone parce qu’on arrive à avoir des courbes comme de la dentelle avec des perles de Swarovski. Elle a une histoire. Un jour avant le show, à une heure du matin, ma styliste me dit: «Tu n’as pas de short!» J’avais gardé ce vieux jeans sur lequel il y avait une tache de vin rouge et de café. Je garde toujours tout d’ailleurs, qui sait? J’ai bien fait!

9.Explosion finale Dans la mode, on oublie souvent la dimension humoristique. Mais les gens ont besoin de s’amuser dans un show, il faut montrer que l’on ne se prend pas trop au sérieux. Cette création reste très complexe. Cette robe et ce masque sont faits au crochet. A chaque point on a ajouté une perle. Cela a pris un million d’années pour la réaliser. C’est la première fois que nous travaillions tout en symétrie. L’imprécision se voit tout de suite. C’était un cauchemar! L’idée était de créer un personnage de jeu de vidéo, Kitty Cat, sans avoir peur, dans la couleur, l’humour mais avec le côté suisse dans les finitions. Cette robe a eu le plus de presse. Elle est prête à aller accomplir sa quête

@Photos: Germanier

Grâce à Kevin Germanier, Heidi Klum met des paillettes dans la vie des Golden Globes

Le styliste valaisan continue de séduire les stars. Après les comédiennes d’«Emily in Paris», c’est la top model allemande Heidi Klum qui a porté l’une de ses créations à l’occasion des Golden Globes 2023.