«La situation du Parc d’attractions du Châtelard (Vertic’Alp) est très grave, plus encore que je ne l’imaginais au moment de prendre fonction avec les membres du conseil», écrit le nouveau président de Finhaut, Andrea Ridolfi, dans une lettre adressée à ses citoyens en ce début d’année. Composé d’un funiculaire, d’un train panoramique et d’un mini-funiculaire qui grimpent jusqu’au barrage d’Emosson à 1965 mètres d’altitude, Vertic’Alp fait parler de lui. Depuis l’augmentation du capital-actions et le rachat de la commune de 51% des parts en 2014, la gestion de Vertic’Alp a divisé le village, à coups de dénonciations pénales, de procédures de justice et d’assemblées primaires animées. En cause, des problèmes de conflit d’intérêts et de manque de transparence dans la gestion de la société.

En six ans, plus de 9 millions de francs ont été investis par la commune de Finhaut dans la société, qui est aujourd’hui au bord de la faillite. «Le parc d’attractions risque de ne plus faire face aux factures qui arrivent», craint le président qui veut nommer de nouveaux administrateurs et adopter une nouvelle stratégie entrepreneuriale.

Eviter les conflits d’intérêts

Jusqu’ici, le conseil d’administration était présidé par Pascal May, président sortant de la commune après seize ans à la tête de l’exécutif, vice-présidé par Valentin Gay-des-Combes qui occupait le poste similaire au sein de l’exécutif fignolin et complété par Pierre Angel Piasenta, ancien président de Salvan. Le secrétaire de la société était également secrétaire de la commune. De même pour l’organe de révision qui officiait pour les deux entités. Une situation qui, au fil des ans, a induit un manque de transparence dans les liens entre l’entité publique et privée et dans la clarté des explications devant l’assemblée primaire.

Un exemple concret est le fait qu’un prêt de 1,5 million de francs à Vertic’Alp avait été placé sous «Impôts à encaisser» dans les comptes communaux 2015. Une manœuvre dénoncée pénalement par un actionnaire minoritaire et qui avait abouti à une non-entrée en matière de la part du Ministère public. Dans une lettre adressée à la commune et à cet actionnaire minoritaire, Maurice Chevrier, chef du Service des affaires intérieures et communales (SAIC), jugeait cette comptabilisation «inappropriée».

Si la situation était illégale, nous aurions reçu l’ordre formel de changer les choses et cela n’a jamais été le cas.

Pascal May, ancien président de Finhaut et président du conseil d’administration de la société Parc d’attractions du Châtelard SA

«Il n’y avait rien d’illégal»

En décembre 2016, dans cette même lettre, Maurice Chevrier faisait part d’«un certain scepticisme par rapport au fait que les mêmes personnes assument des responsabilités tant au niveau communal que dans la société en qualité d’administrateurs. Les devoirs de fonction des autorités communales s’en trouvent indiscutablement compliqués. Le fait que l’organe de révision soit le même pour les comptes de la municipalité et ceux de la société concernée ajoute encore au scepticisme. La commune doit impérativement examiner la pertinence d’une telle confusion d’intérêts.»

Pourtant, la remarque de Maurice Chevrier n’a eu aucun effet. Jusqu’à la fin 2020, la composition du Conseil communal et du conseil d’administration est restée inchangée. Interpellé sur les mots de Maurice Chevrier, Pascal May réagit. «Finhaut ne faisait pas exception, beaucoup de présidents de commune se retrouvent dans des conseils d’administration. Le mot «sceptique» ne veut pas dire grand-chose. C’est de l’ordre du commentaire. Si la situation était illégale, nous aurions reçu l’ordre formel de changer les choses et cela n’a jamais été le cas.» En effet, selon le SAIC, aucune base légale n’autorise le Conseil d’Etat à exiger une telle séparation des fonctions.

Une situation qu’Andrea Ridolfi désire à tout prix éclaircir. «Suite à la remarque de Maurice Chevrier, je veux aujourd’hui que le conseil d’administration de Vertic’Alp ne laisse planer aucun doute quant à un éventuel conflit d’intérêts.»

Le nouveau conseil d’administration sera formé de quatre membres fignolins à même de sauver la situation si cela était encore possible.

Andrea Ridolfi, nouveau président de Finhaut

Professionnaliser le conseil d’administration

Pour sortir de cette situation de doubles casquettes, le président en poste propose donc un conseil totalement renouvelé, professionnalisé et apolitique. Dans sa lettre aux citoyens, il détaille: «Ce conseil d’administration sera formé de quatre membres fignolins, dont les diplômes et les compétences m’ont semblé à même de sauver la situation si cela était encore possible. Un représentant institutionnel se joindra à ce conseil de professionnels, afin de garantir la transparence et l’information aux Conseils communaux ainsi qu’à la population.» Il ajoute que «malgré leurs compétences avérées, ces personnes travailleront bénévolement, ayant refusé d’être rémunérées.»

Aucun conseiller communal de Finhaut ne siégera donc dans l’entreprise dont elle détient 51% des actions. Mais le président se veut rassurant: «La commune garde un contrôle total sur le conseil d’administration, avec le pouvoir de le révoquer et de le changer.»

Pascal May ne voit pas ce renouvellement du même œil. «Pour une transition intelligente, il aurait été préférable de maintenir au moins une partie des administrateurs en place. Et ce pour la bonne santé de cette société relativement complexe.»

«10 millions sont en danger»

Si Andrea Ridolfi veut professionnaliser le conseil d’administration de Vertic’Alp, c’est aussi que l’entreprise se porte au plus mal. En 2019, le résultat de l’exploitation était de 96 790 francs. Un chiffre noir plombé par des amortissements obligatoires de 429 266 francs pour un résultat de l’exercice plongeant à moins 347 200 francs. Depuis 2015, les pertes cumulées s’élèvent à 2,6 millions de francs. «Suite au Covid, les pertes dépasseront les 3 millions de francs à la fin 2020. La trésorerie est exsangue», ajoute le président dans sa lettre à la population.

Les 9 millions engagés par Finhaut depuis 2014 sont composés d’actions pour 1,8 million, de 6,1 millions de prêts et d’une garantie d’un prêt NPR de 1,5 million. «Depuis, sous différentes formes, la commune a remis près d’un million de francs de plus», précise l’actuel président dans sa lettre aux citoyens. «Dix millions sont en danger.»

Pascal May se veut, lui, rassurant. «En cas de faillite de Vertic’Alp, les finances communales et le taux d’imposition ne seront pas affectés. Finhaut a les reins solides. Les 1923 actions au nom de la commune ont été amorties. 100% de cette valeur est provisionnée dans les comptes communaux.»

Une tentative de sauvetage in extremis

Depuis 2017, la société est à l’article 725 du Code des obligations, alinéa 1. En clair, les pertes dépassent la moitié du capital-actions. Dans cette situation, le conseil d’administration est légalement tenu de présenter un plan d’assainissement rapidement aux actionnaires. Or, selon nos informations, rien n’a été proposé en trois ans.

Le 30 décembre 2020, Pascal May avait convoqué une assemblée primaire extraordinaire visant l’abandon de 1,5 million de créances au profit de Vertic’Alp. Celle-ci a été annulée au vu du contexte sanitaire lié à la pandémie du coronavirus. En sa qualité d’ancien président de Finhaut, il explique que l’abandon de ce prêt «aurait permis de recapitaliser la société pour qu’elle ne soit plus à l’article 725 du CO et pour anticiper le bouclement des comptes 2020».

Une tentative de sauvetage in extremis donc mais qui devrait être accompagnée d’un geste aussi important de la part des actionnaires minoritaires selon lui. «Il n’y a pas de raison que la commune soit la seule à abandonner des créances, les actionnaires minoritaires doivent aussi passer à la caisse.» 34% des actions sont détenues par la famille qui exploitait et possédait précédemment le parc. Or, depuis des années, plusieurs procédures judiciaires sont ouvertes, opposant cette famille à la société Parc d’attractions du Châtelard SA. (Lire ci-dessous.) Et selon Pascal May, ce sont justement ces litiges qui bloquaient la présentation et l’exécution d’un plan d’assainissement ces dernières années.

Un bras de fer judiciaire au centre des négociations

L’augmentation du capital-actions en 2014 et l’achat de la majorité des parts par la commune ont permis de rouvrir le parc dès 2015, Cette nouvelle situation a également été la source de vives tensions avec les actionnaires minoritaires, dont la famille qui exploitait précédemment le parc, qui se traduit aujourd’hui encore par plusieurs procédures judiciaires pendantes.

Selon Pascal May, engagé dans ces procédures en tant que président du conseil d’administration de la société Parc d’attractions du Châtelard SA, un des points de litige porte sur la validité de certains documents transmis par les anciens exploitants à l’époque de l’augmentation de capital-actions. «Personne à l’époque ne pouvait se douter des difficultés qui se présenteraient avec les actionnaires minoritaires.»

«Compte tenu des procédures et autres démarches en cours, les membres de la famille que nous représentons préfèrent éviter toute déclaration publique en l’état», ont fait savoir leurs avocats. Le procureur général Nicolas Dubuis confirme que l’instruction est toujours en cours et ne dévoile pas plus de détails à ce sujet, en vertu du secret de l’instruction.

Un manque de transparence et aucun contrôle étatique

Sur le plan financier, là aussi, plusieurs missives avaient été adressées à Maurice Chevrier, chef du Service des affaires intérieures et communales ainsi qu’à l’Inspectorat des finances de la part de citoyens ou d’actionnaires minoritaires depuis 2016. Les lettres relevaient l’état de la situation financière inquiétante de la société Vertic’Alp et évoquaient un manque de transparence du conseil d’administration envers la population de Finhaut. «La société du Parc doit de manière impérative et urgente être assainie, avec la perte extrêmement importante que cela va occasionner pour la commune de Finhaut dont vous êtes le surveillant. […] Il est maintenant urgent et essentiel que les citoyens apprennent la vérité et surtout, comme le stipule la loi, puissent décider de la gestion de la fortune communale», écrivait un ancien conseiller communal à Maurice Chevrier début 2017.

Le Conseil d’Etat n’a aucune compétence pour demander l’assainissement d’une SA régie par les dispositions du Code des obligations.

Maurice Chevrier, chef du Service des affaires intérieures et communales à l’Etat du Valais

Interrogé sur la non-ingérence de son service dans la société alors que 51% de son capital-actions est de l’argent public, Maurice Chevrier avance: «La surveillance du canton porte sur les communes municipales et bourgeoisiales ainsi que les corporations et établissements de droit public. Cette surveillance ne porte pas sur les sociétés de droit privé dans lesquelles une ou plusieurs communes possèdent des participations. En particulier, le Conseil d’Etat ou un département n’a aucune compétence pour demander l’assainissement d’une société anonyme régie par les dispositions du Code des obligations.»

Quant à l’accessibilité des comptes de Vertic’Alp aux membres du Conseil communal de Finhaut, Pascal May assure qu’«ils faisaient partie intégrante de la comptabilité annuelle de la commune et ont toujours été approuvés par l’exécutif dans le cadre des comptes communaux et de l’assemblée primaire». Selon plusieurs sources, les comptes de VerticAlp étaient effectivement consultables pour les élus, mais seulement au bureau communal et en présence du secrétaire. Andrea Ridolfi annonce que les comptes communaux et de la société seront à l’avenir consultables librement sur internet.

Un «bijou» qui sera difficilement rentable

Chaque année, la société doit amortir ses installations pour un montant d’environ 400 000 francs. Un montant qui plombe les comptes.

L’ancien et le nouveau président de Finhaut s’accordent sur un point. Vertic’Alp est «un bijou» pour la vallée, qu’il faut sauver. Mais la société pourra-t-elle un jour atteindre, à défaut de la rentabilité, au moins la stabilité financière?

Avant l’augmentation du capital-actions en 2014, un rapport du cabinet Ernst & Young faisait état d’un surendettement et d’une surévaluation des actifs, jugeant sa rentabilité future «incertaine» et son bilan «déséquilibré». Année après année, les comptes révèlent des amortissements de l’ordre de 400 000 francs qui font à chaque fois plonger le résultat de l’exercice dans les chiffres rouges.

Etait-ce une erreur de la part de la commune d’investir massivement dans ce parc d’attractions ouvert quatre mois par année? Pour Pascal May la réponse est clairement non. «Si la commune ne s’était pas investie, le parc serait resté fermé depuis 2012 et sa concession perdue. Or, depuis sa réouverture en 2015, 11 millions ont été investis et cela a permis à des entreprises locales de travailler sur le site. 280 000 visiteurs ont été accueillis en cinq ans et 7 millions de chiffre d’affaires ont été réalisés.» Et d’ajouter que la commune aurait dû toucher 22 millions de francs de retour de concessions du barrage de Barberine en 2017. Un conflit entre les communes concédantes et les CFF a repoussé le versement, toujours en suspens. «Cela aurait permis d’abandonner une grande partie des prêts pour pérenniser la société, qui devait générer un cash-flow positif dès 2020 si le Covid n’était pas arrivé!»

Pour Andrea Ridolfi, il est aussi clair que la société ne peut tourner sans un investissement financier de la part des communes de la vallée, au même titre que des remontées mécaniques. Une forme de subvention annuelle, qu’il ne chiffrera pas précisément. «Le nouveau conseil d’administration devra s’atteler à trouver une stratégie sur le moyen terme. Nous ne pouvons plus gérer la société en bouchant les trous à coups de prêts de plusieurs millions.»

Emosson: VerticAlp n’ouvrira pas cet été

Aucun accord n’ayant pu être trouvé entre les principaux actionnaires, VerticAlp demeurera fermé cet été. Mais les pourparlers se poursuivent pour assainir à long terme la société.