«Félicitations», lui crie un quidam en le voyant, assis à une terrasse à Crans-Montana. «Bravo, tu es ValaiStar?» l’interroge une connaissance en levant son pouce, assorti d’un sourire entendu. Marius Robyr ne peut pas faire un pas sans être interpellé, salué et félicité. La star du Haut-Plateau, plus encore depuis l’attribution des Mondiaux de ski 2027 à Crans-Montana, le 25 mai dernier, c’est lui.

Marius Robyr, votre mérite, plus encore d’avoir convaincu les délégués de la FIS, n’est-il pas d’avoir amené tous les acteurs du Haut-Plateau à vous suivre là où la station est souvent divisée?

C’est vrai qu’il était essentiel que les autorités politiques, touristiques, les remontées mécaniques et la population soient derrière le projet. En toute franchise, dès le moment où nous avons décidé de relancer le ski de compétition à Crans-Montana, aucun des acteurs essentiels de la station ne nous a mis de bâtons dans les roues. Au contraire. J’avais carte blanche pour l’organisation des épreuves Coupe du monde. Je présentais à la commune le budget, les comptes et le rapport final. Le reste, elle ne s’en mêlait pas. Mon vrai mérite, peut-être, c’est de m’être très bien entouré. Pour avancer, nous avons établi des projets à court, à moyen et à long terme. A la fin, toute la station a compris son intérêt dans cette aventure.

Même si vous êtes très populaire, vous ne faites pas non plus l’unanimité dans la station…

La jalousie, peut-être. Mais il n’y a rien d’exceptionnel à ce constat. Certains voudraient toujours couper les têtes qui dépassent. Franchement, ça ne me touche pas. Sans quoi, on ne ferait plus rien sinon de s’occuper de soi-même. Je crois que la station est globalement très satisfaite d’avoir obtenu les Mondiaux.

«En cas d’échec, je me serais retiré à titre personnel.»

Est-il vrai que vous étiez plutôt pessimiste avant la votation par la FIS?

J’ai fait attention de ne pas verser dans l’excès de confiance afin de soigner, jusqu’à la fin, tous les détails. Deux ans plus tôt, on nous avait promis trois ou quatre voix et nous en avons obtenu une… Là où j’ai été extrêmement surpris, c’est de passer au premier tour. J’étais sûr que Narvik et Soldeu obtiendraient davantage de voix. Nous avions donc travaillé très fort avec les délégués nordiques afin de récupérer leur voix au deuxième tour.

«Je me serais retiré parce que je ne voyais pas ce que j’aurais pu apporter de plus.»

Par contre, vous auriez jeté l’éponge en cas d’échec…

A titre personnel, oui. Je l’avais annoncé. Si Crans-Montana n’avait pas obtenu les Mondiaux avec un dossier aussi solide, je me serais retiré parce que je ne voyais pas ce que j’aurais pu apporter de plus. Je ne veux pas me prononcer pour la commune qui aurait probablement envisagé sa décision en fonction du nombre de voix obtenues.

Vous êtes un très bon communicateur et un excellent réunificateur. Au niveau de la FIS, en raison des langues, c’était un peu plus difficile pour vous…

Nous étions très bien organisés dans les rapports avec la FIS. C’est vrai qu’il y avait des personnes, Urs Lehmann en tant que président de Swiss-Ski, Hugo Steinegger grâce à son réseau et à la maîtrise des langues, plus aptes à discuter et à entretenir des relations avec la FIS. Je me suis surtout attaché à rencontrer les délégués qui se sont rendus à Crans-Montana pour les courses Coupe du monde ou que je croisais sur d’autres sites. Sinon, je reconnais volontiers qu’aller visiter le délégué chinois n’aurait pas apporté grand-chose à notre candidature. Urs Lehmann connaît, personnellement, tous les délégués de la FIS. Quant à Hugo Steinegger, il a abattu un travail considérable.

«J’ai été déçu qu’Urs Lehmann annonce, très vite, qu’il me remplacerait à la présidence des Mondiaux.»

Vous avez porté la candidature. Quel sera votre rôle, désormais?

J’attends de connaître les propositions de Swiss-Ski. Vous savez que j’aime bien diriger, prendre des décisions, être au cœur de l’action. Je préfère la concrétisation à la représentation. Pour le moment, j’ai été nommé président d’honneur… Le reste, j’attends. Je vais toutefois me battre sur deux fronts. D’abord, je tiens à ce que les équipes techniques qui sont au contact de la piste lors des Coupes du monde soient prêtes en 2027 et surtout impliquées lors des Mondiaux. Ensuite, les engagements pris envers la FIS devront être tenus. Je serai le gardien du temple. Vous savez, je m’étais fixé quatre objectifs au début des années 2000. Je voulais que Crans-Montana revienne dans le calendrier de la Coupe du monde, qu’elle devienne une classique, que l’on rénove les deux pistes et que l’on obtienne les Mondiaux. Aujourd’hui, ils sont atteints.

Vous avez été froissé qu’Urs Lehmann annonce, quelques minutes après la victoire, qu’il vous succédait à la présidence de ces Mondiaux…

En toute franchise, j’ai trouvé que le timing n’était pas idéal. C’était convenu que Swiss-Ski assumerait désormais le «lead», je n’ai aucun problème avec ça. Par contre, il aurait pu me laisser informer moi-même mes collaborateurs. A mon âge (ndlr: 74 ans), je ne suis plus susceptible. Mais j’ai été déçu, je ne vous le cache pas. Si Swiss-Ski n’avait pas repris autant de responsabilités, le poste de directeur général m’aurait bien plu.

Justement, il est ouvert. Est-ce que le CEO doit être un Valaisan?

Un Valaisan, pas forcément. Mais il doit connaître la région, le ski, évidemment, la mentalité valaisanne et avoir de bons contacts avec les politiques, les remontées mécaniques et un bon réseau en général. Il doit être aussi un motivateur. S’il ne répond pas à ces critères, ce serait une grosse erreur.

Vous auriez un nom à proposer?

Disons que j’ai quelqu’un dans un coin de ma tête mais je garde son identité pour moi. Le cahier des charges est ambitieux.

«Dès que le comité des Mondiaux sera constitué, je me retirerai de l’organisation des épreuves Coupe du monde.»

Là où vous pourriez être précieux, c’est dans un rôle de médiateur ou de conciliateur afin d’éviter des oppositions lors de la mise à l’enquête du stade d’arrivée…

Le dossier du stade est primordial, c’est vrai. Et il faut aller très vite. Mais il est entre les mains de la commune. Elle doit réunir tous les propriétaires dans la zone du futur stade afin de leur présenter le projet, de les écouter et d’y apporter des ajustements si nécessaires. Il faudra peut-être même faire des concessions. A l’époque, je n’avais pas agi autrement avec le WWF. Résultat, il n’a jamais déposé la moindre opposition.

«Au début des années 2000, nous sommes partis d’une feuille blanche.»

Resterez-vous le président du comité d’organisation des Coupes du monde jusqu’en 2027?

Pas forcément. Dès que le comité des Mondiaux sera constitué, je me retirerai pour lui laisser la main. Jusque-là, je resterai pour assurer la transition. Tout le travail effectué jusque-là doit servir la cause des Mondiaux.

Revenons quelques années en arrière. Comment est née l’idée de revenir sur le circuit de la Coupe du monde?

C’est Jean-Michel Cina, à peine élu au Conseil d’Etat, qui avait déclaré que le Valais devait retrouver la Coupe du monde. Il s’est d’abord approché de Crans-Montana. A partir de là, la commune est venue vers moi. Elle était partante à condition que je m’implique. Nous sommes donc partis d’une feuille blanche.

En quatorze ans, de 2008 à 2022, vous avez donc atteint tous les objectifs fixés. C’est plutôt court, non?

Notre chance, c’est d’avoir eu le soutien inconditionnel des autorités politiques. J’avais besoin d’un budget, il était systématiquement accordé. Crans-Montana a investi plusieurs millions dans la rénovation des deux pistes. Chaque année, nous avons planifié des travaux pour remettre les installations au goût du jour. Sans le soutien de la commune, nous n’en serions pas là.

Crans-Montana partait de loin au début des années 2000…

Quand la FIS est venue sur place, la première fois, elle m’a regardé en souriant. «C’est ici que vous voulez organiser des courses?» a-t-elle questionné. Il fallait d’abord qu’on se remette à niveau en termes d’infrastructures.

«Si Crans-Montana sort de nouveau du calendrier de la Coupe du monde, elle n’y reviendra plus.»

Pourquoi Crans-Montana s’était endormie sur ses lauriers après les Mondiaux 1987?

Je crois qu’ils avaient été un tel succès qu’ici, on a pensé que ce n’était pas possible de faire mieux. Et que la notoriété de la station était acquise. C’était une erreur.

Comment s’assurer qu’elle retiendra la leçon?

On doit s’inspirer de Saint-Moritz qui organise continuellement des courses et tente, régulièrement, d’obtenir les Mondiaux. Crans-Montana doit être consciente que si elle laisse filer les épreuves Coupe du monde, si elle sort du calendrier, elle ne reviendra plus. Ou très difficilement. Par rapport aux années 80, il y a davantage de concurrence, l’Asie notamment. A moins de proposer une étape atypique, les descentes de Zermatt par exemple, ce serait extrêmement compliqué de retrouver une place dans le calendrier. Et dans vingt ans, il faudra redevenir candidat pour les Mondiaux. Nous avons acquis du matériel pour 5 millions. Il ne doit pas dormir quelque part.

«Tous les secteurs d’activité de la station et de la région profiteront des Mondiaux.»

Pourquoi est-ce essentiel pour Crans-Montana de miser autant sur le ski?

Elle est connue, en été, pour le golf et, en hiver, pour le ski. Ce sont ses deux axes. Vous n’avez pas conscience de l’importance, pour les skieurs lambda, de pouvoir dévaler une piste de Coupe du monde. Cette notoriété doit être entretenue et encore renforcée.

En même temps, avec le réchauffement climatique, le ski est-il vraiment une activité d’avenir?

Le climat, c’est cyclique. Ce qui me tient tout particulièrement à cœur, ce sont les jeunes Valaisans qui veulent percer et qui ont besoin de s’identifier à des champions de la région. Pour eux, ça vaut la peine de continuer à investir. En hiver, le Valais vit du ski. C’est un secteur d’activités essentiel pour notre canton. Les grandes stations auront plus de chances de survivre que les autres.

Le budget de fonctionnement, hors infrastructures, s’élève à 60 millions. C’est beaucoup en comparaison des Mondiaux de cyclisme sur route et de VTT qui n’atteignent pas les 20 millions…

C’est un montant qui ne sort pas de nulle part. Il ressort de l’expérience de Saint-Moritz, en 2003 et 2017. Il faut toutefois tenir compte des retombées, directes et indirectes. Un montant de 350 millions pour le Valais et la Suisse a été articulé. Il est réaliste. Par rapport à Saint-Moritz, nous avons d’autres atouts que nous ne manquerons pas d’exploiter. Je ne crois pas que cet investissement soit exagéré. La notoriété n’a pas de prix. Les Mondiaux ne doivent toutefois pas être un événement unique. Il ne «boostera» pas que les remontées mécaniques, mais tous les secteurs d’activité de la station et de la région. L’effort devra être poursuivi. S’il ne l’est pas, autant ne rien faire.

Crans-Montana était aussi candidat à une étape du Tour de France et du Giro. Est-ce toujours d’actualité?

Le Giro, je ne sais pas. Je ne me suis pas impliqué à ce niveau. Par contre, le Tour de France reste un objectif totalement indépendant de l’obtention des Mondiaux de ski. Je reste en contact régulier avec ASO, l’organisateur du Tour de France. Il reviendra, c’est sûr. Quand? Je n’en sais rien. Nous aurions aimé l’accueillir en 2024, Quarante ans après la victoire de Laurent Fignon ici. Malheureusement, ce n’est pas possible compte tenu du tracé de cette édition.

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