Logiquement, on imaginait que Nadine Pfenninger-Bridy (52 ans) choisirait une cave ou une œnothèque comme lieu d’entretien. La nouvelle cheffe de l’Office valaisan de la vigne et du vin, qui vient de prendre ses fonctions, a déjoué les pronostics.

Elle a jeté son dévolu sur le musée Olsommer à Veyras. Tout un symbole. «J’ai choisi cet endroit car je suis à un tournant de ma vie. Et c’est ma nomination comme conseillère communale à Veyras, il y a dix ans, qui m’avait déjà permis de prendre un nouveau départ dans ma vie sociale.»

Jusqu’alors, elle était volontairement restée dans l’ombre, craignant un peu de nouer des relations sociales. «Aller vers les gens était compliqué. Je restais en retrait pour me protéger. J’ai longtemps été dans la survie, certainement en raison d’épisodes douloureux qui m’ont touchée dans ma vie», confie-t-elle sans vouloir donner davantage de détails.

En paix désormais

Sa fonction communale lui fait prendre conscience qu’elle se cachait. Elle commence à identifier ses peurs et «met la lumière dans le petit réduit qu’on n’a pas envie de voir» comme elle désigne les événements qui l’ont blessée dans sa jeunesse. Elle réalise alors un travail sur elle-même pour se reconstruire, «comme un vase kintsugi», explique cette amoureuse d’art. La métaphore, là encore, est belle. Le kintsugi est une technique ancestrale du Japon consistant à réparer un objet brisé en soulignant ses fissures avec de l’or, au lieu de les masquer, rendant l’objet encore plus beau qu’avant.

J’ai longtemps été dans la survie, certainement en raison d’épisodes douloureux qui m’ont touchée dans mon parcours.

C’est un peu le sentiment ressenti par Nadine Pfenninger-Bridy, en paix aujourd’hui. «Je crois qu’on n’est jamais aussi fort que lorsqu’on a vécu des épreuves.» D’ailleurs, il y a dix ans, elle n’aurait pas postulé à la fonction qu’elle occupe actuellement. «Je n’étais pas prête. Je n’avais pas assez confiance en moi.» Cette perfectionniste, qui s’exerce peu à peu au lâcher-prise, sait désormais qui elle est et avance sereinement.

Ayant perdu jeune son papa auquel elle était très liée, elle est pleinement consciente du côté éphémère de la vie. Sans doute est-ce la raison de son envie de toujours régler les conflits. «Je n’aime pas rester sur des non-dits avec mes proches. J’ai besoin que les choses soient réglées ou au moins qu’on en parle, car cela peut être lourd à porter.» La situation ne peut pas toujours se résoudre, mais Nadine Pfenninger-Bridy souhaite au moins essayer. «Ensuite, je suis tranquille.»

L’authenticité dans tout

Pas de faux-semblant chez elle. D’où son amour pour le monde vinicole. «La viticulture, c’est l’authenticité de la terre, on ne triche pas avec la nature.» C’est dans ce milieu qu’elle a grandi, aux côtés de son papa vigneron de Leytron, de sa maman de Saillon et de ses deux frères. Dans son enfance, elle vivait pourtant tous ces moments passés entre les ceps comme une punition. «Nous étions obligés d’y aller, il faisait chaud…» raconte-t-elle en souriant.

Dans ma famille, j’avais toujours été «la fille qui fait des études». C’était une fierté pour mon père et ma mère.

A l’époque, elle n’aurait pas imaginé devenir œnologue, se voyant plutôt juriste d’entreprise. Puis, au collège de Saint-Maurice, elle se découvre un attrait pour la chimie et s’inscrit dans ce domaine à l’université. «Mais je ne me reconnaissais pas là-dedans. Je ne me voyais pas continuer.»

Après de longues hésitations, elle décide d’interrompre ses études à 22 ans non sans angoisse pour son avenir et avec la crainte de le dire à ses parents. «Dans ma famille, j’avais toujours été «la fille qui fait des études». C’était une fierté pour mon père et ma mère.» Comment dès lors leur avouer son mal-être sur les bancs de l’université? «Je ne viens pas d’une famille aisée et mes parents ont dû faire des sacrifices pour moi.» Elle s’était également endettée pour commencer ses études. «Je n’avais pas de papier, pas de métier. Qu’allais-je devenir?»

Elle finit cependant par oser en parler à ses parents. «Leur réaction a été tellement bienveillante. Ils m’ont dit que le plus important était que je sois heureuse. Cela a été un grand soulagement.» Un moment qui l’a marquée à jamais et l’a influencée dans sa relation avec ses deux filles aujourd’hui adultes. «J’essaie de ne leur mettre aucune pression et souhaite juste qu’elles soient bien avec les choix qu’elles font.»

L’importance de la maternité

En aidant son papa dans les vignes après son arrêt universitaire, Nadine Pfenninger-Bridy a l’idée de suivre l’Ecole supérieure de Changins pour devenir œnologue. Ayant le souci de ne plus être une charge pour ses parents, elle décide de ne pas se lancer dans un bachelor demandant trois ans d’études à plein temps. «Je ne pouvais pas me le permettre. Le diplôme que j’ai passé me laissait la possibilité de travailler à côté de la formation. J’ai fait ce choix pour des raisons économiques.» Elle confie cependant envisager de décrocher son bachelor prochainement.

Car son expérience dans le domaine de l’œnologie ne manque pas. Pendant plusieurs années, elle a travaillé dans son propre laboratoire de conseil installé au sous-sol de la maison. «Etre indépendante m’a permis de rester souvent auprès de mes filles. C’était important pour moi de les accompagner.» Sa cadette passait par exemple des heures à dessiner à côté d’elle. Nadine Pfenninger-Bridy se dit heureuse de s’être donné cette chance. «C’est un choix qui doit être possible pour chacune. Je regrette que ce modèle-là soit dévalorisé.»

Le métier d’œnologue a quelque chose du rôle de maman. On accompagne, on guide, mais on ne peut pas tout maîtriser.

D’autant plus que son expérience de mère au foyer lui apporte beaucoup, y compris dans son parcours professionnel. «Le métier d’œnologue a quelque chose du rôle de maman. On accompagne, on guide, mais on ne peut pas tout maîtriser. C’est ce qu’il y a de beau dans le vin: cette part de non maîtrisable.»

Sans être carriériste, elle sait saisir les occasions se présentant sur son chemin, persuadée que tout vient quand on est prêt. Comme lorsqu’elle dépose sa candidature comme œnologue cantonale, juste après sa séparation d’avec son mari. «J’ai osé me lancer. Je n’avais rien à perdre.» Pendant son audition, elle se sent à l’aise lors des dégustations. «J’étais inspirée», souligne-t-elle en confiant avoir pensé fortement à ses parents décédés avant l’entretien. «Je leur ai demandé de me donner un coup de main. Apparemment, ils l’ont fait.»

Un peu plus d’un an plus tard, elle est nommée à la tête de la viticulture valaisanne. L’aboutissement d’un changement amorcé en 2012 lors de son élection au Conseil communal de Veyras. Dans le musée Olsommer, ce jour-là, c’est comme si la dame bouclait une boucle. «Je suis une écorchée de la vie qui s’en sort plutôt bien.»

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