Le chaos qui règne depuis mardi dans les trains entre Genève et Lausanne en lien avec l’affaissement de terrain à Tolochenaz aura au moins permis d’illustrer la fragilité de cette ligne ferroviaire, qualifiée de talon d’Achille du réseau suisse. La particularité de cette ligne, qui relie les deux métropoles romandes, c’est qu’il n’existe pas de tronçons alternatifs, alors que c’est le cas à peu près partout ailleurs en Suisse. La topographie et l’urbanisation de cette région, coincée entre le Léman et le Jura, y sont évidemment pour quelque chose.

Cette faiblesse a été pointée du doigt en… 1975 déjà, rappelle Daniel Mange, professeur honoraire à l’EPFL, très actif au sein de la Citrap-Vaud (Communauté d’intérêts pour les transports publics). Un rapport commandé par les CFF à un bureau d’ingénieurs vaudois plaidait déjà en faveur de la construction d’une nouvelle ligne ferroviaire. Un rapport revisité par la Citrap en 2014 dans son «livre blanc», qui explore plusieurs possibilités: une ligne entièrement souterraine ou partiellement enterrée qui épouserait le tracé de l’autoroute, limitant ainsi les nuisances sonores, ou encore une ligne construite par-dessus l’autoroute.

Comme le Gothard

Même si ça ressemble à un projet pharaonique, «une ligne entièrement souterraine correspondrait à la distance (57 km) du tunnel de base du Gothard, à creuser dans un terrain moins compliqué», souligne Daniel Mange. A ses yeux, cela reste faisable, même s’il privilégie l’idée d’une ligne partiellement enterrée le long de l’autoroute.

Une 3e voie coûterait extrêmement cher et ne servirait à rien, car elle resterait prisonnière du tracé actuel.

Daniel Mange, professeur honoraire à l’EPF

Il ne voit en revanche pas la pertinence de la construction d’une 3e voie sur tout le trajet entre Lausanne et Genève: «Cela coûterait extrêmement cher et cela ne servirait à rien, car elle resterait prisonnière du tracé actuel.» Dans le cas de l’incident de Tolochenaz, une 3e voie n’aurait pas permis le maintien du trafic ferroviaire.

Ces idées font leur chemin, puisqu’en 2019, les CFF ont à nouveau commandé un rapport au même bureau d’ingénieur pour l’étude d’une ligne nouvelle de Genève jusqu’à Morges, avec comme première urgence le tronçon Allaman-Morges. Une commande prémonitoire puisque c’est exactement le tronçon qui a dû être fermé au trafic ferroviaire cette semaine.

Dans un communiqué commun diffusé jeudi, les gouvernements genevois et vaudois réclament cette nouvelle ligne, avec comme première étape la réalisation d’ici à 2035 d’un tunnel à double voie entre Morges et Allaman, ainsi que d’une nouvelle gare souterraine à Genève (voir ci-dessous).

Romandie défavorisée

«Jusqu’ici, la Suisse romande a été prétéritée», souligne de son côté Olivier Français, président d’Ouest Rail. Cela est dû notamment à la priorité donnée aux NLFA, les nouvelles lignes à travers les Alpes (Gothard et Lötschberg) et leurs raccordements aux réseaux suisses et internationaux. Et pour le sénateur PLR, «il sera difficile de rattraper ce retard compte tenu de l’ampleur des travaux à entreprendre. Les projets existant en Suisse représentent des investissements de l’ordre de 35 à 50 milliards de francs.

Jusqu’ici, la Suisse romande a été prétéritée.

Olivier Français, président d’Ouest Rail et conseiller aux Etats (VD/PLR)

Pour le Vaudois, les études en cours devraient permettre d’y voir plus clair. A titre personnel, il a une préférence à ce stade pour la construction d’une 3e voie dans un premier temps, puis d’une ligne entièrement souterraine à plus long terme, histoire d’absorber l’augmentation prévue de 60 000 voyageurs quotidiens aujourd’hui à 100 000 à l’horizon 2030 déjà.

Les agglomérations d’abord

Sa collègue sénatrice Lisa Mazzone (Verts) prêche aussi pour une 3e voie «qui pourrait améliorer la stabilité du système», ainsi que la modernisation de la ligne afin d’accroître la vitesse. La Genevoise rappelle qu’il faut toujours près de 2 heures pour se rendre de Genève à Berne et que cela n’a guère bougé ces vingt dernières années alors que le parcours entre Berne et Zurich se fait en une heure, pour une distance certes un peu plus courte mais pas dans cette proportion.

On a commencé à Genève avec le développement du Léman Express, mais cela reste l’enjeu prioritaire à mes yeux.

Lisa Mazzone, conseillère aux Etats (GE/Verts)

Lisa Mazzone est plus circonspecte sur l’idée d’une ligne entièrement souterraine. Elle craint qu’un tel projet n’engouffre des milliards qui manqueront dans les agglomérations où il y a davantage de potentiel en matière de transfert modal. Comprenez là l’abandon de la bagnole pour le train, le tram ou le bus. «On a commencé à Genève avec le développement du Léman Express, mais cela reste l’enjeu prioritaire à mes yeux», avance la sénatrice.

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