L’été dernier, l’heure des hausses massives de salaires semblait enfin arrivée, à écouter les syndicats. L’économie était en plein boom et promettait une hausse historique de 3,5% pour l’ensemble de l’année après le plongeon tout aussi historique de l’an dernier, causé par les fermetures forcées. Les entreprises se plaignaient de la peine à recruter des salariés dans certains domaines. L’inflation faisait son retour, promettant un renchérissement des prix à la consommation comme on n’en avait pas revu depuis des années.

L’Union syndicale suisse (USS) a affiché à la rentrée la revendication de hausses moyennes de 2% des salaires. Son président, Pierre-Yves Maillard, affirmait dans les colonnes de «La Liberté» que «la reprise dans un certain nombre de branches économiques est très forte. De plus, l’inflation remonte et atteint 1%. Donc, le premier pour cent servira juste à éviter une baisse du salaire réel. Des centaines de milliers de personnes ont subi une baisse de 20% de leur pouvoir d’achat pour avoir été mises au chômage technique pendant des mois et des mois. Une hausse permettra aussi d’aider la reprise de l’économie intérieure, à commencer par la restauration».

Cibles manquées

Deux mois plus tard, les premiers résultats publiés sont loin d’atteindre ces objectifs. Migros et sa filiale Denner ont annoncé une hausse de 1%. Coop a limité la sienne à 0,8%. Dans la technique du bâtiment, la carrosserie et le travail des métaux, des hausses moyennes ont pu être établies entre 1% et 1,15%. Dans le secteur de la construction, aucun accord salarial n’a été trouvé pour le moment.

Dans une étude publiée fin octobre, UBS a fait une première estimation de l’évolution des salaires pour l’an prochain, à la lumière des premières données: la hausse moyenne ne devrait être que de 0,4% en 2022. Et encore, la grande banque est-elle optimiste car elle estime que les salaires réels progresseront de 0,1% cette année. Or, l’Office fédéral de la statistique (OFS), qui s’est basé sur les conventions collectives en cours, affirme au contraire que les salaires réels diminuent de 0,1% cette année.

Une économie en plein boom ou une inflation en hausse ne conduisent pas automatiquement à de meilleurs résultats en matière de hausse de salaires.

Flurina Hoffmann, du secrétariat central du syndicat Syna à Zurich

Les négociations salariales, qui battent encore leur plein, ne répondent assurément pas aux attentes des syndicats. Ces derniers ont du reste organisé des «journées d’action», notamment plusieurs défilés le dimanche 30 octobre, où plus de 12 000 personnes ont défilé dans plusieurs villes de Suisse. Mais les syndicats l’admettent: les résultats obtenus jusqu’ici ne sont pas à la hauteur des attentes. «On ne peut pas dire qu’une économie en plein boom ou une inflation en hausse conduisent automatiquement à de meilleurs résultats en matière de hausse de salaires», reconnaît Flurina Hoffmann, du secrétariat central du syndicat Syna à Zurich, actif notamment dans certains domaines de la construction et des services à la personne.» Et de déplorer notamment que «nos exigences de voir les salaires dans des domaines systémiques que sont le commerce de détail et la santé être significativement relevés ne sont pas prises suffisamment au sérieux par les employeurs. C’est aussi le cas dans le domaine de la construction, dont les négociations sont difficiles».

Hausse des minima

Pour le cas de Coop et de Migros, les syndicats Syna et Unia, qui ont mené les négociations, se réjouissent que les améliorations touchent avant tout les salaires les plus bas, avec notamment la fixation d’un salaire plancher de 4100 francs bruts par mois versé treize fois. Mais «des efforts restent à faire pour une revalorisation des conditions du personnel qualifié avec des augmentations des salaires réels et c’est là que le bât blesse», explique Lucas Dubuis, du secrétariat central d’Unia.

De plus, explique-t-il, «il y a donc de forts risques que cette augmentation ne compense pas l’augmentation du renchérissement, ce qui ne serait pas acceptable étant donné les excellents bénéfices réalisés par Migros, l’important besoin de rattrapage après des années d’augmentations de salaire individuelles et donc de perte de pouvoir d’achat et enfin, après l’effort consenti par toutes les employées et tous les employés pendant ces deux années de pandémie».

Il y a de forts risques que cette augmentation ne compense pas l’augmentation du renchérissement.

Lucas Dubuis, du secrétariat central d’Unia

Idem pour la construction, qu’Unia qualifie «en plein boom avec cette année un chiffre record de permis de construire délivrés», et l’industrie pharmaceutique, dont Syna estime que la progression de la valeur ajoutée des hausses de salaires moyennes «d’au moins 3%».

Chômage encore élevé

Les syndicats se heurtent à des refus polis mais fermes des employeurs. Coop estime que les négociations salariales, même si elles ont limité la hausse moyenne à 0,8%, «renforcent en particulier les revenues les plus bas. Ces employés bénéficieront d’une augmentation de salaire qui représente une hausse d’environ un pour cent. Nous avons augmenté les salaires minimums, développé la Convention collective de travail Coop et introduit des améliorations supplémentaires pour nos employés».

Et de mentionner le rallongement du congé maternité à 18 semaines (au lieu de 16) avec pleine compensation du salaire et une augmentation des indemnités aux collaborateurs assurant un service de piquet. Enfin, le salaire minimum va être relevé de 200 francs par mois en deux ans, et le salaire de référence du personnel qualifié montera de 100 à 150 francs.

Le chiffre d’affaires du secteur principal de la construction reste en dessous du niveau d’avant crise.

Corine Fiechter, de la Fédération vaudoise des entrepreneurs

Dans le domaine de la construction, le refus de hausses générales est encore plus clair: «Le chiffre d’affaires du secteur principal de la construction reste en dessous du niveau d’avant crise», explique Corine Fiechter, de la Fédération vaudoise des entrepreneurs. Et d’ajouter qu’«en août 2021, selon les chiffres du SECO, le taux de chômage dans le secteur principal de la construction était supérieur à 3%, alors qu’il se situe d’ordinaire plutôt aux alentours de 2,5%». De plus, l’année précédente, les salariés avaient vu leur pouvoir d’achat accru en raison de la baisse des prix à la consommation de 0,4% en moyenne.

Commentaire désabusé de Flurina Hoffmann: «Le taux de syndicalisation dans le commerce de détail reste bas et cela se reflète dans le résultat des négociations salariales». Ce constat peut se refléter dans d’autres branches aussi.

Un accord trouvé sur une Convention nationale dans la construction

Un accord a été trouvé pour le renouvellement de la Convention nationale du secteur principal de la construction. Il doit maintenant être soumis aux organes de décision des deux parties.