Acquitté! L’ex-conseiller d’Etat Pierre Maudet se voit disculpé de l’accusation d’acceptation d’un avantage en lien avec son luxueux séjour à Abu Dhabi, en 2015 avec sa famille, aux frais de la Couronne émiratie. Le Tribunal de police l’avait condamné à 300 jours-amendes.

Le verdict de la Chambre pénale d’appel et de révision de Genève casse aussi sur ce point le précédent jugement concernant l’ancien chef de cabinet Patrick Baud-Lavigne. Les hommes d’affaires Magid Khoury et son employé Antoine Daher, qui ont rendu ce voyage possible, ne sont pas non plus coupables d’octroi d’un avantage, corrige aussi la cour, présidée par la juge Alessandra Cambi Favre-Bulle, dans son verdict de près de 90 pages.

L’affaire peut encore être portée devant le Tribunal fédéral, une opportunité que le Ministère public «examinera dans le délai utile», fait-il savoir. L’affaire, qui a éclaté en 2018, avait abouti à l’exclusion de Pierre Maudet de son parti et sa mise à l’écart du collège gouvernemental. Après sa démission du Conseil d’Etat, il avait échoué, en mars dernier, à reconquérir son siège.

Bénéfice de la présomption d’innocence

Tout d’abord, la cour d’appel écarte, sous l’angle pénal, l’octroi d’un avantage à Pierre Maudet et à son ex-chef de cabinet par la famille princière elle-même. Certes, le magistrat et son bras droit ont accepté un avantage indu, reconnaît la cour, puisque la valeur du voyage (au moins 50 000 francs) excède de loin les 100-150 francs de cadeau autorisés pour un magistrat et les règles pour les fonctionnaires. Mais on ne peut leur reprocher de l’avoir fait dans la perspective que la famille princière attendait un ou des retours d’ascenseur. Car, «au bénéfice de la présomption d’innocence», la cour retient «l’hypothèse la plus favorable à la défense» et «la plus plausible»: les autorités d’Abu Dhabi ont invité le prévenu Maudet, sa famille, son chef de cabinet et son ami Daher au même titre que d’autres personnalités. Et ce, non pas pour peser sur les décisions futures du magistrat, mais aux fins de la promotion du Grand Prix de formule 1, lui-même servant à assurer un positionnement positif de l’Emirat.

Pas d’intérêt direct

En première instance, toutefois, Pierre Maudet et son bras droit s’étaient vus reprocher de s’être accommodés du risque d’être influencés dans le cadre de leurs fonctions officielles en raison du rôle d’intermédiaires joué par les deux entrepreneurs genevois dans l’organisation du séjour.

La cour d’appel fait une autre appréciation. Pour elle, Pierre Maudet et son bras droit pouvaient retirer un intérêt direct uniquement de l’invitation délivrée par l’Emirat, et non des démarches «en tant que telles» des intermédiaires pour l’obtenir. D’autant plus qu’en sollicitant son oncle pour que celui-ci tente de faire inscrire Pierre Maudet sur la liste des invités, Magid Khoury n’avait aucun pouvoir décisionnel ou garantie de succès.

Or, souligne l’arrêt, la doctrine n’envisage pas d’avantage qui n’améliorerait pas directement la situation du bénéficiaire. Cette casuistique juridique résistera-t-elle en cas de recours au Tribunal fédéral?

Sondage politique financé en 2017

Quant au sondage politique financé en 2017 par la société immobilière de Magid Khoury en vue des élections cantonales l’année suivante, la cour d’appel va dans le même sens que le Tribunal de police. Ce cas ne diffère selon elle pas des financements politiques du groupe Manotel en faveur de Pierre Maudet.

Or ce volet a été classé, car «le législateur fédéral s’est toujours refusé à adopter des normes sur le financement politique». L’accusation justifiait l’infraction pénale parce que le financement du sondage s’inscrivait dans le prolongement de l’avantage octroyé en permettant le voyage à Abu Dhabi. Un raisonnement irrecevable, dès lors que l’intervention de ces intermédiaires genevois ne constitue pénalement pas l’octroi d’un avantage, selon la cour.

Aucun grief pénal retenu, mais…

Aucun grief pénal n’est retenu, mais le jugement souligne toutefois que Magid Khoury et Antoine Daher ont bien cherché à favoriser leur accès au conseiller d’Etat dont il fallait assurer la réélection. Et que ce dernier, ami sincère mais utile, a été incapable de poser les limites, lorsqu’il se renseigne à propos d’un dossier de naturalisation d’un ami d’Antoine Daher, rencontrant même l’entrepreneur à ce sujet. Ce qui «va largement au-delà de ce que n’importe quel administré ne disposant pas d’une telle introduction pourrait espérer». De même, la certitude affichée par Pierre Maudet de ne pas être perméable à des tentatives d’influence est «sans portée, tant la sympathie induite par les gestes bienveillants est dans la nature humaine».

40’000 francs pour les frais de défense

Acquittés, Pierre Maudet et son ex-bras droit ont tout de même eu un comportement contraire à leurs obligations, justifiant l’ouverture d’une procédure, selon le verdict. Il en va de même de «l’avalanche de sollicitations» qu’Antoine Daher a formulées à l’égard des deux premiers. Enfin, ces protagonistes ont dissimulé des preuves et «crassement» menti sur l’origine du financement du voyage. Dès lors, une part des frais de justice est laissée à leur charge, bien que l’Etat doive verser 40’000 francs à Pierre Maudet pour ses frais de défense. De leur côté, Patrick Baud-Lavigne obtient 58’500 francs et Magid Khoury 84’000 francs. Antoine Daher avait renoncé à des indemnités.

LE COURRIER

Pour le Tribunal fédéral, Pierre Maudet a bien fauté en se rendant à Abu Dhabi

Le Tribunal fédéral a annulé l’acquittement de Pierre Maudet dans l’affaire du voyage à Abu Dhabi.