8 heures et 17 heures. Deux rendez-vous quotidiens que les amateurs de ski de randonnée, de hors-piste, ainsi que les professionnels de la montagne connaissent bien. A ces heures, le SLF (Institut pour l’étude de la neige et des avalanches) édite un bulletin avalanche. Un rapport qui informe du degré de danger d’avalanche selon un découpage régional et qui détaille la nature de ce dernier.

Depuis 25 ans, l’institut se base sur des données transmises par près de 200 stations de mesures réparties sur l’espace alpin suisse et le Jura. Généralement placées au-dessus de la limite de la forêt, entre 2000 et 3000 mètres, les stations effectuent des mesures 24 heures sur 24 sur la température de l’air et de la neige, la vitesse du vent, la hauteur de neige ou l’humidité relative, etc. Ces données sont ensuite automatiquement transmises toutes les heures au SLF.

Aussi précieuses soient-elles, ces mesures ne suffisent toutefois pas à l’élaboration d’un bulletin avalanche précis. A cela, s’ajoutent les relevés réalisés par des spécialistes de la neige, à l’instar de Jean-Luc Lugon. Observateur des dangers naturels pour la vallée du Trient, Martigny-Combe et Bovernier et accompagnateur en montagne, il effectue chaque quinze jours un profil de neige pour analyser la composition du manteau neigeux. «En Valais, nous comptons 24 observateurs dans la partie francophone et 15 dans le Haut», informe Pierre Huguenin, responsable de l’antenne valaisanne du SLF.

Ouvrir le livre de l’hiver

Le rendez-vous a été donné vendredi dernier au petit village des Jeurs, sur la commune de Trient. Après un épisode de pluie à haute altitude, Jean-Luc Lugon veut faire un relevé dans le versant nord de la Tête Carraye. Après une heure de marche en ski de randonnée, nous arrivons près d’une avalanche qui s’est déclenchée la veille sous le sommet. Après avoir analysé le danger résiduel, Jean-Luc Lugon s’en approche et prend une photo. Au-delà des mesures précises du manteau neigeux, il note les événements marquants sur le terrain. «Nous pourrons marquer le déclenchement spontané de cette avalanche dans la base de données du SLF», informe-t-il.

Une quinzaine de minutes plus tard, Jean-Luc Lugon quitte l’itinéraire pour se faufiler dans la pente nord, sous le sommet. Encore une fois, il scanne rapidement le terrain puis y déposer son matériel. C’est ici, dans cette pente à 37 degrés, vierge de traces de ski, à 2027 mètres d’altitude, qu’il ouvrira «le grand livre de l’hiver».

A cet endroit, il commence par le test de battage à l’air d’une grosse sonde creuse. Un exercice qui lui permet de déterminer la résistance des différentes couches de neige. Il s’empare ensuite de sa pelle pour ouvrir le manteau neigeux jusqu’au sol et y dégager un mur de 2 mètres de large sur 1,5 mètre de long. «Ce livre est un roman dont la trame change constamment. Pour le comprendre, c’est important de suivre tous les épisodes», image-t-il.

Aujourd’hui, il vient observer l’influence de la pluie de la veille. Durant plus d’une heure, il effectue méticuleusement une batterie de mesures qui rendront compte de la température de la neige à tous les étages ainsi que de la nature, de la résistance et de l’humidité des différentes couches. Toutes ces informations une fois rentrées dans le programme informatique du SLF permettent de connaître le niveau de stabilité du manteau neigeux à cet endroit précis. Le résultat de ces analyses sont disponibles pour le grand public sur le site du SLF.

En savoir plus: Le résultat du profil de neige réalisé sous la tête Carraye

Analyser chaque page du livre

En parcourant le manteau neigeux de haut en bas avec son doigt, Jean-Luc Lugon arrive à distinguer les différentes couches, comme autant de pages de ce grand roman. «Cet exercice demande du doigté, ce n'est pas si facile à sentir au début», concède-t-il. Il identifie par exemple facilement la croute dure formée par la pluie de fin d'année qui se retrouve à présent au milieu du manteau neigeux. Chaque portion fait l'objet d'une analyse détaillée. La température, l'humidité, la forme des grains de neige et leur cohésion sont consignés dans un cahier.

Les grains à la loupe

Toutes les neiges ne se ressemblent pas et ne se valent. S'il est facile d'identifier grossièrement des neiges mouillées ou sèches simplement en les touchant, il est essentiel d'analyser plus finement les grains pour mieux comprendre leur dynamique. Pour cela, l'observateur de terrain en prélève dans chaque couche et les observe à la loupe. «Selon leur forme, on sait s'ils ont une bonne cohésion entre eux ou pas.» Sur cette image, il s'agit de grains dits anguleux, qui ne se lient pas entre eux. Une telle couche est fragile, car elle peut faire office de surface de glissement.

Identifier les lignes de rupture

Le dernier test effectué est celui de compression. Pour cela, une colonne de trente centimètres sur nonante est découpée à l'aide d'une scie. «Il s'agit ensuite de pose la pelle sur le dessus et de taper successivement des séries de 10 coups.» Cela permet de distinguer une éventuelle rupture dans le manteau neigeux. Ici, une fissure s'est dessinée à une hauteur d'un mètre du sol. A ce moment-là, il s'agit de dégager le bloc cassé pour identifier la surface de glissement. Et le test reprend sur les couches restantes proches du sol.

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