«Ouistreham»

Romancier, scénariste et réalisateur, Emmanuel Carrère s’est toujours intéressé au mensonge, en révélant la vérité derrière le fait divers («L’adversaire») ou en jouant sur la perte du sentiment de réalité («La moustache»). Dès lors, il ne pouvait qu’être fasciné par «Le quai de Ouistreham», récit autobiographique de la journaliste Florence Aubenas. Réalisé sous l’impulsion de Juliette Binoche et présenté cet été à l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, son adaptation nous plonge dans le monde méconnu de la précarité, dénonce les injustices sociales et l’inégalité des chances, tout en interrogeant le poids et la légitimité du mensonge.

A bord des ferries

Désireuse de consacrer son nouveau roman aux conséquences de la crise économique, l’écrivaine Marianne Winckler décide d’expérimenter elle-même le travail précaire. Elle quitte sa vie parisienne et, pendant plusieurs mois, vit sous une fausse identité aux côtés des plus démunies, en travaillant comme femme de ménage à bord des ferries qui relient Ouistreham et Portsmouth. De vrais liens se tissent alors entre elle et ses «collègues», avec lesquelles elle nettoie chaque nuit des centaines de cabines à un train infernal. Peu à peu, Marianne devient très proche de l’une d’entre elles, Christèle, mère célibataire de trois petits garçons. Mais l’écrivaine s’enferme ainsi dans le piège de son propre dispositif…

Suspense psychologique

Tourné avec Juliette Binoche et des actrices non-professionnelles qui jouent les rôles de leur vie, «Ouistreham» constitue une fiction à la lisière du documentaire. Le film dévoile d’abord les enjeux et les difficultés inhumaines du travail précaire, qui en plus d’être payé au lance-pierre et de nécessiter une disponibilité constante, implique une extrême pénibilité, sans compter les humiliations, le harcèlement et la pression du licenciement. Mais Emmanuel Carrère a choisi, à raison, de privilégier le suspense psychologique et le récit d’une femme menteuse malgré elle à l’enquête journalistique menée par Florence Aubenas. Partant, le film s’ouvre sur les relations complices et solidaires qui unissent les travailleuses, auxquelles s’intègre peu à peu la protagoniste, jusqu’à douter elle-même de sa réalité. Et le réalisateur de tirer ainsi un film bouleversant, qui allie l’authenticité du drame social à une atmosphère parfois surréelle.

Infos pratiques

d’Emmanuel Carrère, avec Juliette Binoche, Hélène Lambert, Léa Carne…
Durée: 1 h 46
Age légal/conseillé: 12/14

«Jane par Charlotte»

Filmée en d’autres temps par la réalisatrice Agnès Varda sans réellement se dévoiler («Jane B. par Agnès V.», 1988), Jane Birkin nous offre aujourd’hui de découvrir une grande part de son intimité dans ce documentaire initié par sa fille.

Pour Charlotte Gainsbourg, passer derrière la caméra constitue un prétexte pour regarder sa mère avec une attention nouvelle. Sa mère, elle, craint que «l’entretien ne tourne au règlement de comptes», ainsi que la cinéaste nous l’a confié au FFFH en septembre dernier. Une crainte absolument non fondée: l’air de rien, mue par toute la pudeur et la douceur qui la caractérisent,

Charlotte approche peu à peu Jane qui s’ouvre à elle avec simplicité et générosité, jusqu’à une séquence finale inoubliable, d’où émerge une bouleversante déclaration d’amour filial.

A l’intuition

Tourné sans scénario, dans une pure intuition de l’instant, «Jane par Charlotte» amorce une redécouverte mutuelle de la mère par la fille et vice-versa. Au mitan du tournage étalé sur plusieurs années, Jane est victime d’une première attaque cérébrale. A sa demande, Charlotte abandonne sa caméra pendant deux ans, puis recommence à tourner, forte de l’assentiment de son sujet, habitée par une urgence qu’elle essaye de dissimuler du mieux qu’elle peut.

En secret, la «filmeuse» comme la filmée sont en proie à la plus vive émotion, toutes les deux s’efforçant d’exorciser la peur d’une disparition peut-être imminente. Et les interrogations se font toujours plus essentielles: «Pourquoi est-ce que l’on ne s’embrasse jamais?»

Infos pratiques

«Jane par Charlotte», un documentaire de Charlotte Gainsbourg
2021, France, 1 h 30
16/16

Cinéma: «Ouistreham» et «Jane par Charlotte»... Les sorties de la semaine à ne pas rater

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