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Architecture et patrimoine du XXe siècle en Valais: les édifices religieux

«Le Nouvelliste» propose une série de quatre épisodes sur les ouvrages d’art, l’art sacré, les constructions en lien avec le tourisme et la santé, l’habitat individuel. Focus sur les édifices religieux pour ce second rendez-vous.

19 juin 2020, 21:00



L’église Saint-Nicolas-de-Flüe (Amédée Cachin, 1960) à Albinen est implantée au sein d’un village compact et homogène, dans un site escarpé. Avec ses lignes douces et arrondies, elle s’intègre sans heurts.*

Série réalisée en collaboration avec le service cantonal de l’immobilier et du patrimoine (SIP)

Les trois premiers quarts du siècle dernier, époque faste de l’architecture religieuse, voient la construction de 250 églises et chapelles sur sol valaisan. Cet âge d’or se termine abruptement vers 1975. Depuis lors, seule une petite quarantaine d’édifices, surtout des chapelles, sont construits

«Nous devons apprendre à connaître les perles du XXe siècle. Un patrimoine méconnu, unique, qui subit de fortes pressions le mettant souvent en péril» rappelle l’architecte cantonal Philippe Venetz.

L’architecte Walter Maria Förderer a travaillé l’intérieur du clocher et le bâtiment de l’église Saint-Nicolas (1971) à Hérémence comme un objet sculptural. * Etat Valais/SIP © Robert Hofer

 

Si les églises de Lourtier (1932) et d’Hérémence (1974) s’imposent telles des icônes de l’architecture moderne, il n’est pas justifié, nuance d’emblée l’historienne d’art Catherine Raemy-Berthod, d’y voir un condensé de cette période.

«Ces édifices emblématiques. dit-elle, n’ont pas vraiment eu d’influence. Hérémence a seulement inspiré l’église de Riddes et Lourtier n’a pas eu de «petite sœur». 

Jusqu’aux milieu des années 1920, les églises empruntent encore beaucoup aux styles néo-médiévaux. L’architecture sacrée locale reste fidèle jusqu’aux années 1950 aux formes traditionnelles en les modernisant.

Béton brut, pierre et bois

«L’usage de plus en plus fréquent du béton dont on exploite la résistance et la plasticité permet des progrès techniques et des audaces formelles, comme à Fully (1934-1936) avec ses piliers si minces ou à Saas-Grund (1939) avec ses arcs en béton».

Après un retour à la tradition dans les années 1940, qui s’explique par la pénurie de matériaux et un repli identitaire, les années 1950 ouvrent la voie du changement. 

L’isolement de l’église Saint-Georges (Jean-Marie Ellenberger, 1953) à Chermignon d’en-Haut renforce l’impact d’une architecture moderne mariant savamment les matériaux. * Etat Valais/SIP © Michel Bonvin. 

 

Cette période se révèle foisonnante par la quantité de partis-pris, par une diversité de plans, le béton brut, mais aussi la pierre et le bois, des églises visibles de loin et d’autres, s’effaçant.

L’historienne de l’art compare deux édifices contemporains. «L’église monument d’Hérémence (Walter Maria Förderer, 1971) ordonne tout le village autour d’elle tandis que l’église Saint-Michel (Jean-Paul Darbellay, 1968) de Martigny-Bourg, cachée derrière une enceinte, se replie sur l’intérieur.

Avec les mêmes matériaux, le béton et le bois, l’expression architecturale et la relation avec l’environnement diffèrent radicalement».  

Polémiques en altitude

S’il n’y a pas de dissemblances notables entre les églises construites en altitude ou en plaine, les édifices modernes en montagne font toutefois l’objet de débats passionnés.

«Maurice Chappaz en 1963 proteste contre les «snobs du béton» et réclame une architecture qui s’inspire des caractéristiques du pays. Il fait référence à des exemples comme celui d’Albinen, avec cette grande église en béton qui tranche avec les maisons en bois de mélèze et les toits d’ardoise.» 

Influences diverses

La réflexion sur la liturgie en cours dès les années 1920 a une incidence directe sur l’architecture sacrée du milieu du XXe siècle. «Pour offrir une meilleure visibilité à l’action liturgique et faciliter la participation des fidèles, la séparation entre le chœur et la nef est atténuée.

Des plans en forme de fer à cheval, de trapèze comme à Chermignon (1951-1953), et très souvent de cercle comme à Sainte-Croix à Sierre (1959-1962) sont adoptés.»

L’église Saint-Maurice (Felix Grünwald, 1963) à Hohtenn marque une rupture avec l’architecture religieuse traditionnelle. Sa silhouette résulte de la juxtaposition de deux prismes triangulaires. * Etat Valais/SIP ©  Thomas Andenmatten
 

«La vogue du plan en forme d’éventail intervient après Vatican II, ainsi qu’une accentuation du dépouillement des espaces et le rôle croissant dévolu à la lumière pour la mise en valeur de l’autel».

Et s’il faut chercher d’autres influences, c’est dans notre pays, notamment en Suisse allemande, terrain d’innovations en matière d’architecture sacrée. Dès les années 1960, l’inspiration provient aussi d’ailleurs, du Japon notamment.

À Sion, le Couvent des Capucins, transformé par Mirko Ravanne (1962-68) avec la collaboration d’artistes étrangers en est la remarquable démonstration. 

Délicate rénovation 

Le bureau Genoud Architectes Sàrl procède en 2015-2016 à la réhabilitation de l’église de Noës, construite en 1936 par Lucien Praz. L’édifice est depuis lors classé au niveau cantonal.


L’église Saint-Thérèse de Lisieux à Noës a retrouvé, après restauration, sa polychromie initiale. Elle appartient au courant de la «Nouvelle Tradition», mélangeant le style néo-roman et le béton.* Etat du Valais /SIP © Martine Gaillard
 

Lucien Praz est surtout connu comme étant le créateur du style «néo-valaisan», un style régionaliste qui a eu son heure de gloire dans les années 1940.

Pourtant ce grand constructeur d’églises signe au début des années 30 des réalisations optant clairement pour la modernisation des styles historiques.

L’église est repeinte en blanc

Il adhère en 1936 au groupe romand de la Société de Saint-Luc, mouvement du renouveau aux accents paléochrétiens, faisant appel à des artistes reconnus pour la décoration des murs, des fenêtres et la confection du mobilier liturgique. L’église de Noës relève précisément de cette époque.

En 1974 toutefois, l’intérieur de l’édifice est repeint d’un blanc uniforme. «Les couleurs initiales assombrissaient vraisemblablement les lieux et la technologie d’éclairage n’était pas celle d’aujourd’hui» signale l’architecte Jean-Marc Genoud.

En 1974, le plafond en béton très original de l’église est entièrement repeint en blanc. Les paroissiens y gagnent en luminosité. Mais l’édifice est vidé de sa substance historique. Etat Valais/SIP © Robert Hofer

 

Près de 40 ans après cette opération de blanchiment, l’architecte est approché par le maître d’ouvrage l’«Oeuvre de Sainte-Thérèse» pour redonner à l’église, sa substance historique perdue.

L’édifice caractérisé par un haut clocher, nécessite un assainissement des façades. A l’intérieur, les murs portent les stigmates de légères dégradations.

«Nous avons identifié des tonalités intenses de bleu et de jaune sous l’enduit blanc. Des sondages stratigraphiques (au scalpel) effectués par un restaurateur d’art confirment leur présence.»

Lessivage et travail de surpeint

Jean-Marc Genoud s’attelle dès lors à la restauration les murs dans le respect rigoureux des couleurs d’origine, sans glisser dans une quelconque interprétation personnelle des décors initiaux.

La technique retenue est celle du lessivage des murs et non du décapage, afin d’effectuer ensuite un travail de surpeint. «Ceci dans l’objectif de conserver les traces historiques de chaque intervention».

Une fois le réglage des couleurs effectué et le choix de leur variante mate arrêté, l’architecte s’intéresse à l’éclairage.

Le format du chemin de croix de Paul Monnier ainsi que la géométrisation des formes de l’église de Noës relèvent de l’esthétique Art déco et du style «Nouvelle Tradition». Les vitraux sont l’œuvre de Joseph-André Müssler.* Etat Valais/SIP © Martine Gaillard
 

Trois grands lustres à intensité variable offrant des ambiances différentes suivant les cérémonies, sont posés dans la nef.

«Le processus de rénovation est délicat. Le travail s’effectue sur un échafaudage à 2m50 de la voûte, avec des échantillons de couleur sur feuille A4.

Ce n’est qu’une fois ce dernier retiré et les ajustages entre lumières naturelle et artificielle réalisés, que l’on découvre depuis le sol, soit 15 mètres plus bas, le résultat final. C’est à ce moment-là que j’ai pleinement compris ce que Lucien Praz avait voulu réaliser en 1936.» 

 

* Propos tirés de «L’Architecture du 20e siècle en Valais 1920-1970». Ouvrage réalisé sous la direction de l’Etat du Valais en collaboration avec les Archives de la construction moderne, 2014.

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