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Grâce à un chimiste, les perles du Léman retrouvent de la couleur

En redécouvrant les procédés qui permettent la création des perles, Jean-Loïc Selo fait revivre un savoir qui a fait les beaux jours de Saint-Gingolph.

15 mai 2021, 17:00
Jean-Loïc Selo «Je suis revenu à la recette originale. Tout du moins de ce que l’on savait à l’époque.»

Il aura fallu près de 2000 essais, des centaines de brevets compulsés, de l’intuition, de la ténacité et un peu de chance à Jean-Loïc Selo, chimiste diplômé de l’Impérial Collège de Londres, pour faire revivre l’artisanat de la nacre.

Celui-ci était tombé dans l’oubli après la fermeture de la dernière manufacture à SaintGingolph en 1974.

Retour dans le passé

Mais tout d’abord rembobinons le fil du temps. Imaginez-vous dans le village franco-suisse entre les deux guerres. L’endroit est un lieu de villégiature chic comme l’on dit à l’époque: hôtels, pensions et restaurants accueillent les belles touristes débarquant du Bonivard, du Simplon et des quatre jamans faisant la navette depuis Montreux.

La raison? C’est qu’il y a quatre manufactures ayant pignon dans la rue principale: la Perle de Saint-Gingolph, la Perle du Lac, la Perle Orion et la Perle du Léman.

 

Dans l’atelier de fabrication des perles, des Gingolaises au travail. Musée des traditions et des barques du Léman

Certaines belles Anglaises viennent même directement par hydravion, depuis Londres. «Une ligne reliait la capitale anglaise à Montreux les faisant atterrir sur le lac», explique Claude Martenet, président du comité des amis du musée de Saint Gingolph.

 

Une carte postale montrant le succès des perles aux alentours de 1930. Musée des traditions et des barques du Léman

 

Si on le cite, c’est que le musée a son importance dans cette nouvelle aventure. «Les perles n’existeraient pas s’il n’y avait pas de mémoire collective, je ne suis qu’un acteur du projet», tient à souligner JeanLoïc Selo.

«Des personnes ont souhaité fonder un musée pour garder la mémoire des traditions du village. Seul, je n’aurais jamais eu l’idée de faire des perles à SaintGingolph.

C’est à ce moment qu’on me dit, toi qui es ingénieur pourquoi tu ne te lancerais pas?»

Breton du bout du lac

Lorsque tout est aligné, les événements peuvent s’enchaîner en souplesse. Gingolais de par sa maman, breton du côté paternel, issu d’une lignée de capitaine au long cours, même si «Parisien de naissance», Jean-Loïc Selo avait une prédestination à retrouver un savoir-faire venant de lamer, à la mode douce, d’eau douce. Celle du lac.

Saint-Gingolph pour lui c’est les vacances d’été, comme celles qu’il passait aussi dans le Morbihan (pour l’anecdote, l’ingénieur qui amènera la création de manufacture perlière à Saint-Gingolph en 1920, Monsieur Douarin, était aussi originaire de ce département français… Quand les coïncidences s’accumulent…).

La baronne et son collier
«On raconte qu’une baronne désargentée venait chaque année chez Monsieur Patural, ouvrait son collier de perles fines, faisait faire une copie de l’une d’elles, vendait l’original pour se rendre au casino d’Evian et jouer la somme reçue.

A sa mort, ses héritiers se frottaient déjà les mains, mais ne purent rien retirer du collier, toutes avaient été vendues.» Claude Martenet, président du comité des amis du musée de Saint Gingolph.

Responsable marketing d’une multinationale, l’ingénieur en génie des procédés avait besoin de redonner du sens à sa vie. Nous sommes en 2017. «Nous avions très peu d’informations sur la technique, puisque les manufactures avaient disparu en 1974. On ne savait que deux choses, on utilisait des écailles de poissons et du coton. J’ai perdu du temps à essayer de reproduire les techniques anciennes, près de 2000 essais. Je m’étais fixé une règle, ne pas utiliser de produits chimiques, toxiques et être à zéro déchet.»  

7
kilos
C’est le poids de la plus grande perle du monde, la perle d’Allah trouvée en 1934. Elle mesurait 22,5cm sur 12,5cm!

Une succession d’Eurêka va le mettre sur la voie. «Le premier, c’était de savoir ce que je recherchais. Là, il m’a fallu bien une année pour le comprendre. Le deuxième Eurêka, c’était comment faire une perle magnifique avec ce procédé?».

S’il y a secret, il est ici. Jean-Loïc Selo parle en riant de «poudre de perle impinpin» et de «perle ipopette».

Mais avant, il aura fallu lire et compulser une centaine de brevets. «C’est celui d’un Américain déposé en 1956, qui me donne “the Idea”. Le matin je ne savais pas faire de perles et le soir une était créée! Le procédé que l’on utilise aujourd’hui à Saint-Gingolph, personne ne l’utilise, la solution est unique!»

Alors comment ça marche, jamy?

La guanine du poisson: Par un procédé mécanique (un mixeur), on décolle simplement la guanine collée à l’écaille de poisson, ici du gardon. «Ce que vous voyez dans la bouteille, nous l’avons fait chez le pêcheur, cela a pris dix minutes.» Héloïse Maret

Maintenant que l’on vous a bien mis l’eau à la bouche, expliquons le processus. «Ce que l’on extrait de l’écaille de poisson (féra, gardon, perche du lac) c’est de la guanine pure. C5H5N5O. La molécule est déjà magique de par sa formule, elle fait partie de la base nucléique de l’ADN et de l’ARN avec la cytosine, la thymine et l’adénine. C’est la lettre qui code la vie», s’enthousiasme Jean-Loïc Selo.

«C’est une matière extrêmement précieuse et le fait d’avoir pu l’extraire facilement a été la clé. Reste la kératine que nous n’utilisons pas. C’est le seul déchet de tout ce processus complètement écologique.» Jean-Loïc Selo profite du reportage pour lancer un appel: «Si quelqu’un trouve une idée pour recycler cette kératine, nous sommes preneurs!»

 

La nacre à tremper: On obtient la couleur et le blanc selon le même procédé de fabrication de la nacre par l’huître. Les cœurs de la perle, l’émail, sont trempés dans une essence d’orient tenue secrète. Héloïse Maret

Les cœurs de perle (de l’émail)sont piqués dans des blocs de liège et retournés, sont trempés par bains successifs dans une lente macération appelée essence d’orient..

«Nous ne sommes pas une industrie, on ne sait pas exactement combien de trempage, mais en gros cinq pour les perles de couleur et de 25 à 40 pour les perles blanches, une irisation toute particulière appelée perlescence obtenue grâce à une épaisseur finale de deux millimètres de nacre.

La lustration: Un procédé mécanique pour polir et rendre plus brillante la perle. Héloïse Maret

 

Le finissage: Ensuite sera déposée une couche finale avec 80% de coton pour protéger la perle afin qu’elle ne meure pas, puis assemblage des pièces pour en faire un bijou. Héloïse Maret

Techniquement on fait comme l’huître»,souligne le chimiste. «On place des cristaux de guanine à la surface de la perle avec des polymères naturels à base de coton. On connaît bien le coton sous forme opaque et doux, mais avec un certain procédé on peut le rendre dur, transparent et brillant.

 

«Avec les Perles du Lac, nous sommes à zéro déchet. Ce n’est pas une contrainte mais une solution supérieure. C’est une indication qu’il faut faire différemment et qu’au final, le résultat est encore mieux. Si on respecte la nature, elle nous remercie.»

 

Si on rate une perle, on va la refaire et elle deviendra une “baroque” par sa forme différente. On utilise deux types de cristaux, ceux du poisson pour les blanches et pour les perles colorées des cristaux recouverts d’oxyde de fer et de titane qui permettent toutes les couleurs.»

Pour qu’une perle soit parfaite, notée 5A, La perle est considérée comme la reine des gemmes, avant le diamant, le rubis, le saphir et l’émeraude. il s’agit de tenir compte de plusieurs facteurs. «Celui de sa sphéricité, c’est la première difficulté, ensuite l’orient qui est la couleur, le fond de la perle qui doit avoir un aspect fin, uniforme et soyeux et la dernière propriété, la brillance, le lustre.»

Une production respectueuse

La perle de culture par l’huître fait énormément de déchet. «Il faut beaucoup en jeter et on utilise un animal vivant!»,regrette Jean-Loïc Selo.

«Au xxe siècle on se fichait de tout ça. Mais nous sommes au XXIe siècle et les valeurs ont changé. La perle de Saint-Gingolph ne nécessite pas de ferme d’élevage contrairement aux perles traditionnelles.»

«Avec notre procédé, on n’aura plus de raison de martyriser ces pauvres huîtres!»

 

 

Dans ces dernières, le bilan est plutôt négatif. Ce qui est un euphémisme: 10% des huîtres meurent immédiatement, 10% dans les deux ans, 30% rejettent le nucléus. Sur les 30% donnant une perle utilisable, seulement 1% sont des perles parfaites.

«Avec notre procédé, on n’aura plus de raison de martyriser ces pauvres huîtres!»

Aujourd’hui, l’aventure a l’air presque simple, mais trois ans de développement ont été nécessaires. «Il y a eu un engouement pour cette activité, ce qui fait que j’ai été très vite débordé.» Jean-Loïc Selo lance alors une bouteille au lac. Depuis, une dizaine de personnes du village lui prêtent main-forte pour la réalisation des perles.

L’affiche conçue par Jean-Loïc Selo pour les Perles de Saint-Gingolph. J-l Selo

 

Après 18 mois, le chimiste tient encore à développer cette idée du naturel en créant de nouvelles perles. «En transformant l’aluminium en cristaux, je construis du saphir et du rubis. C’est la magie de la chimie que de faire d’une matière une autre matière. Nous ne faisons que des bijoux écologiques.Ces perles sont inaltérables et écologiques, car il n’y a pas besoin d’extraire coûteusement le minerai du sol. C’est un modèle déposé, la préciosité dépend juste de mon envie de me lever le matin et de les créer», sourit-il.

 

En transformant de l’aluminium en cristaux, Jean-Loïc Selo peut créer des saphirs et des rubis. Héloïse Maret

 

Vieilles comme le monde

Monsieur et Madame Patural avec leurs employées devant l'échoppe de la Perle du Lac. Musée des traditions et des barques du Léman

Les perles fines, naturelles, existent depuis la nuit des temps, on a retrouvé dans des tombes des personnes ensevelies il y a 35000 ans avec des centaines de perles autour d’elles.

Les familles romaines qui en avaient les moyens achetaient à leurs filles une ou deux perles chaque année, afin qu’elles aient un collier complet à leur majorité.

Selon Jean-Loïc Selo, «les perles de culture ont été découvertes en 1690 à Paris. La première mention d’une technologie, en Suisse, permettant la fabrication d’une perle remonte à 1753 dans le Journal helvétique.»

A Paris, à l’origine on créait la nacre à partir d’ablettes, un poisson facile à attraper. Au fur et à mesure que les ablettes disparaissent de la Seine, puis de la Loire, de la Saône, on ira les chercher de plus en plus loin. C’est ainsi qu’un ingénieur parisien, Monsieur Douarin, débarque à Saint-Gingolph en 1920. Il y a des ablettes, mais comme la nacre ne dure pas à température ambiante, puisqu’au bout de deux jours elle commence à sentir mauvais et perd de son brillant et qu’il est impossible d’envoyer les poissons à Paris sous réfrigération, il faut implanter les manufactures à Saint-Gingolph.

Tant mieux. «La Perle du Lac, fabrique de Monsieur Patural, chimiste diplômé de Cambridge, comptait à l’époque une quinzaine d’ouvrières à l’étage et une dizaine de vendeuses pour accueillir les clientes. Les bijoux étaient confectionnés pendant l’hiver à domicile. Une source de revenu non négligeable», note Claude Martenet.

 

INFOS PRATIQUES

Les Perles du Lac, route cantonale 6, Saint-Gingolph. Perlesdulac.ch

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