L’affluence est celle d’un lundi matin, en plein milieu des vacances de Pâques. Quelques plaques vaudoises, genevoises et une poignée de fribourgeoises entrent et sortent du parking d’Ikea d’Aubonne.A lire aussi: Ikea débarque à Riddes le 17 avril: près de 20 000 clients attendus chaque semaine

Située à peu près à mi-chemin entre Lausanne et Genève, cette commune vaudoise abrite une filiale de l’entreprise depuis 45 ans. Le 21 mars 1979, Ikea ouvrait ici son vingt-deuxième magasin dans le monde, son deuxième en Suisse, son premier en terre francophone.

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Archives de presse: «Tribune de Lausanne», le 22 mars 1979.

Avec un peu moins de 4000 âmes, Aubonne partage quelques similitudes avec Riddes: deux grands villages, relativement éloignés des centres urbains. Et pour comprendre quels bénéfices la commune valaisanne pourrait tirer de l’implantation du géant suédois, «Le Nouvelliste» a posé la question aux Aubonnois.

Une visibilité «hors frontière»

Le cœur d’Aubonne se trouve un peu plus haut, à cinq minutes à peine de cette zone industrielle. Dans ce village, ou plutôt cette «ville» comme aiment le souligner les Aubonnois, Ikea est indissociable de la commune. «J’avais 11 ans quand ils ont construit ce magasin historique», commence Yves Charrière, actuel syndic d’Aubonne, qui voit des bribes de souvenirs émerger: «C’était notre premier contact avec le discount. Ikea a soufflé un vent nouveau sur nos jeunes esprits.»

Aubonne, le 25 avril 2021. Elections communales.1er tour de l'élection de syndic. Yves Charrière, élu syndic dès le premier tour, ici devant l'administration communale. © Gilles Biéler, La Côte

Yves Charrière, actuel syndic d’Aubonne, assure entretenir une bonne collaboration avec Ikea. Photo: Gilles Biéler, La Côte.

A l’époque, son implantation a suscité «beaucoup d’enthousiasme», selon Luc-Etienne Rossier, syndic de 2011 à 2021. Rencontrée dans la rue, Denise tempère cette passion pour les meubles suédois: «J’étais indifférente à cette construction. Mais je me souviens que des citoyens s’inquiétaient d’un manque de végétation.»

Au fil des années, le succès du géant bleu accroît la renommée d’Aubonne: «C’est devenu un point de repère pour les gens hors canton», sourit Jacqueline Cretegny, présidente de la société de développement et ancienne secrétaire communale.

Le «deuxième contribuable d’Aubonne»

Un peu plus loin, au tea-room de la Couronne, trois clients l’affirment: «C’est une bonne chose pour les Valaisans.» Pour quelles raisons? La fiscalité d’abord.

Aubonne le, 8 avril 2024 : Centre commercial IKEA à Aubonne. Micro trottoir avec les habitants de Aubonne : Clients du café de la couronne: Valérie, Jean-Luc et Rémy . ©Sacha Bittel © Le Nouvelliste SA / Sacha Bittel

Selon Valérie, Jean-Luc et Rémy, l’implantation d’Ikea à Riddes est une bonne chose pour les Valaisans. Photo: Sacha Bittel.

Un point confirmé par le syndic actuel et son prédécesseur: «Disons que c’est un contribuable tout à fait bienvenu», explique Luc-Etienne Rossier sans entrer dans les détails.

Pierre-Alain Blanc, municipal de 1987 à 1998, puis syndic jusqu’en 2011, se montre plus bavard: «C’est le deuxième contribuable d’Aubonne, derrière le laboratoire pharmaceutique Merck», explique-t-il avant de raconter: «L’Etat a offert une gratuité d’impôt pendant dix ans à Ikea. Puis cinq ans à 50%. La politique de l’époque voulait attirer ces entreprises dans le canton de Vaud.»

Un privilège fiscal bénéfique selon lui: «Ikea a créé des centaines de places de travail pour des employés qui, eux, habitent la commune et paient des impôts.»

Aubonne le, 8 avril 2024 : Centre commercial IKEA à Aubonne. Micro trottoir avec les habitants de Aubonne : Pierre-Alain Blanc, ancien Syndic d'Aubonne . ©Sacha Bittel © Le Nouvelliste SA / Sacha Bittel

Pierre-Alain Blanc, municipal depuis 1987, vante une entreprise novatrice à la pointe de la technologie. Photo: Sacha Bittel.

Difficile d’obtenir les retombées financières exactes à Aubonne, mais l’ensemble des filiales suisses d’Ikea réalisent, en moyenne, un chiffre d’affaires annuel d’environ 1,1 milliard de francs.

Un «pot de miel»

La création d’emplois est un second avantage. «Ikea a ouvert des postes pour des personnes moins qualifiées», souligne Luc-Etienne Rossier. Abram Pointet, directeur de Microgis, une société spécialisée dans l’analyse de données géographiques, confirme: «En plus des postes annoncés par l’enseigne, les répercussions en termes d’emplois sont plus larges du fait de l’attractivité de la zone prise dans sa globalité ce qui au final double, voire triple ce nombre.»

A Aubonne, Ikea a accéléré le développement de la zone industrielle. «C’est un pot de miel», ose Luc-Etienne Rossier. «Son arrivée a suscité l’intérêt de toute une génération d’entreprises», explique-t-il en citant Interio, Pfister ou Hornbach.

Aubonne, jeudi 27 mai 2021, portrait de Luc-Etienne Rossier, il quittera la syndicature le 30 juin 2021 après 24 ans au conseil communal et 10 ans en tant que syndic, ici photographié dans sa maison familiale, photos Cédric Sandoz © Cédric SANDOZ

Selon Luc-Etienne Rossier, ancien syndic d’Aubonne, Ikea est une réussite sur le plan économique et social. Photo: Cédric Sandoz, La Côte.

Pierre-Alain Blanc, lui, se souvient d’une entreprise inspirante. «Ils ont fait une demande pour avoir plusieurs nocturnes dans la semaine. D’autres magasins les ont suivis. Tous les commerces ont finalement été bénéficiaires de l’impulsion d’Ikea.»

Une loi de l’attraction confirmée encore par Abram Pointet: «Certaines activités s’attirent et d’autres se repoussent. Dans cette logique, le marché du meuble s’attire lui-même ainsi que tout ce qui tourne autour de la décoration intérieure/extérieure et de la fourniture des ménages», explique-t-il.

Selon le directeur de Microgis, cette concentration d’affaires génère la concurrence: «Par extension des activités en présence, le site de Riddes entrera progressivement en concurrence avec les zones commerciales de Martigny et de Conthey.»

Une offre de transport étoffée

Retour à Aubonne. Dans les rues, on vante volontiers les bienfaits de la proximité. «On n’est pas obligé d’y aller le samedi ou durant les vacances», explique Josselin Meylan, natif du coin. Ce dernier alterne entre Aubonne et Zurich. «La gare d’Allaman est devenue très prisée. Grâce à Ikea, l’offre de transport s’est étoffée», explique-t-il avant de lister les avantages de son restaurant «de qualité correcte, peu cher et qui dépanne».

Le trafic du samedi

Ikea, un cadeau du ciel sans nuage pour Aubonne? Pas si l’on considère les problèmes de circulation très intenses. «Ça génère beaucoup trop de trafic. Avec l’arrivée des autres centres commerciaux, c’est de pire en pire», déplore Denise.

Aubonne le, 8 avril 2024 : Centre commercial IKEA à Aubonne. Micro trottoir avec les habitants de Aubonne : Dame rencontrée au parc: Denise . ©Sacha Bittel © Le Nouvelliste SA / Sacha Bittel

Pour Denise, le trafic généré par Ikea et les nombreux commerces est un désavantage de taille. Photo: Sacha Bittel.

Le samedi, l’entrée d’autoroute et l’accès aux transports publics se révèlent particulièrement bouchonnés. «J’ai arrêté de compter le nombre de trains que j’ai ratés», explique Josselin Meylan.

Sur ce point, l’actuel syndic d’Aubonne souhaite éviter un faux procès: «C’est le développement de la zone dans sa globalité qui est responsable du trafic», lance Yves Charrière avant d’expliquer que le tronçon de la route concernée relève de l’Office fédéral des routes «qui planche sur des solutions».

Luc-Etienne Rossier, ancien syndic, confirme que le trafic est un vieux serpent de mer: «C’est un problème qui concerne de nombreux partenaires. Il faut réussir à harmoniser tous ces points de vue.»

Cette crainte des riverains était d’ailleurs déjà mentionnée dans la presse locale, le 9 mars 1979, quelques jours avant l’arrivée d’Ikea: «Cette augmentation attendue du trafic routier sera-t-elle de nature à troubler la quiétude?…. L’avenir nous apprendra si ces craintes sont justifiées.»

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Crainte des riverains relatée dans «Morges Hebdo, ouest lémanique», le 9 mars 1979.

Le départ des Valaisans, un soulagement?

Mais l’ouverture de Riddes pourrait soulager Aubonne selon les clients de la Couronne. «Depuis qu’ils ont ouvert un Ikea à Vernier, ça s’est un peu calmé. Et si on nous enlève les Valaisans, il ne nous restera plus que les Fribourgeois», sourit Valérie, toujours attablée au tea-room de la Couronne.

Selon l’expertise d’Abram Pointet, Riddes a justement pour vocation de détourner les Valaisans, une partie des Vaudois et, dans une moindre mesure, les Fribourgeois. «Aubonne sera impacté, favorablement du point de vue qualitatif, par le site de Riddes lequel va renforcer la présence de la marque sur un marché jusque-là plus périphérique dans une logique gagnant-gagnant.»

Une commune dans l’ombre d’Ikea

Au restaurant Le Cercle, on y voit aussi un autre problème: «Tout le monde connaît Ikea, mais personne ne connaît Aubonne», expliquent les gérants Sophie et Yves qui déplorent le manque de synergie avec les commerces locaux: «Voir tout ce potentiel à cinq minutes seulement du village, c’est frustrant.»

Aubonne le, 8 avril 2024 : Centre commercial IKEA à Aubonne. Micro trottoir avec les habitants de Aubonne : Gérants du restaurant Le Cercle: Yves et Sophie. . ©Sacha Bittel © Le Nouvelliste SA / Sacha Bittel

Yves et Sophie, gérants du restaurant Le Cercle, déplorent le manque de synergie entre Ikea et la commune d’Aubonne. Photo: Sacha Bittel.

Jacqueline Cretegny prolonge cette idée: «Ikea avait pour habitude de participer à la vie communale, par le biais d’espaces publicitaires, des dons de matériels ou de fournitures. Aujourd’hui, ces gros commerces ne donnent plus rien aux sociétés locales.»

Si la population d’Aubonne n’hésite pas à se plaindre des nuisances provoquées par le géant suédois et le développement de la zone industrielle, les trois syndics de la commune, eux, résument l’implantation d’Ikea à une aubaine. Et s’ils devaient offrir un conseil à leurs homologues riddans, tous prodiguent le même: «C’est extrêmement important de créer et d’entretenir des relations avec ces entreprises. Riddes doit chercher cette proximité avec Ikea», souffle Pierre-Alain Blanc.

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