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Initiative contre le mitage: on bétonne un pays ou son développement? Face-à-face entre Thomas Egger et Jean-Pascal Fournier

Les Suisses se prononcent le 10 février sur l’initiative anti-mitage des jeunes Verts. Débat entre le conseiller national Thomas Egger (PDC) et le président des Verts valaisans, Jean-Pascal Fournier.

28 janv. 2019, 05:30
Le conseiller national Thomas Egger (PDC), à gauche, et le président des Verts valaisans, Jean-Pascal Fournier, croisent le fer.

Est-ce correct si je résume cette campagne en disant que vous êtes l’un et l’autre d’accord pour stopper le mitage du territoire, mais que le remède que vous préconisez est différent?

Thomas Egger: C’est correct, oui. L’initiative des Verts est inutile car les Suisses ont voté en faveur de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) qui déploie déjà ses effets et continuera à le faire ces prochaines années.
Jean-Pascal Fournier: C’est vrai que la LAT, que nous sommes les seuls à avoir soutenue à l’époque d’ailleurs, a des conséquences positives. Nous craignons par contre que l’on exploite toute la marge de manœuvre de cette loi et que dans quinze ans, on fasse valoir la clause de nouveaux besoins pour ouvrir une nouvelle fois des zones à bâtir.

C’est ce qui va se passer Thomas Egger. On ronge son frein pendant quinze ans et on rouvre les vannes à la fin du moratoire?

Thomas Egger: Non, ce qui va surtout se passer c’est que si cette initiative est acceptée le 10 février, c’est le développement de notre canton qu’on va bétonner. On ne pourra plus rien construire pour s’adapter aux besoins de la population ou de l’économie. Cette initiative pénalise par ailleurs doublement les Valaisans puisque les effets de la LAT vont se déployer et qu’à ces effets s’ajoutera le nouveau tour de vis de l’initiative.
Jean-Pascal Fournier: C’est faux, notre initiative n’est qu’un complément de la LAT.
Thomas Egger: Les zones de réserves déjà gelées continueront à l’être en plus du gel futur prévu dans l’initiative. C’est donc bel et bien une double pénalisation.
Jean-Pascal Fournier: Je conteste cette théorie de la double peine. Par rapport à la LAT, l’initiative ne changera rien quant au dimensionnement des zones à bâtir qui seront réduites de 1000 hectares. Il est faux de dire que plus aucun développement ne sera possible après cela. Le canton du Valais, comme les autres, a élaboré son nouveau plan directeur exigé par la LAT, avec des projections démographiques assez hautes qui laissent suffisamment de terrains en zone à bâtir pour assurer son développement.
 

C’est une double pénalisation qui attend les Valaisans avec cette initiative.
Thomas Egger, conseiller national PDC


Il y a une lutte de chiffres dans cette campagne avec les initiants qui estiment qu’on construit toujours trop et les opposants qui insistent eux sur le fait qu’on construit moins qu’auparavant. Aidez-nous à trier le vrai et le faux…

Jean-Pascal Fournier: Une réalité incontestable, c’est que ces trente dernières années, nous avons énormément construit. Il n’y a qu’à voir certaines photos avant/après pour comprendre la réalité du mitage du territoire.
Thomas Egger: C’est incontestable, en effet. Par contre, vous jouez sur les statistiques en confondant zones à bâtir et surfaces d’habitation. Ces histoires de surfaces équivalentes à huit terrains de foot qui disparaissent tous les jours sont complètement à côté de la plaque. Ce qu’on peut affirmer par contre, c’est qu’entre 2012 et 2017, les surfaces construites de zones à bâtir – qui sont visées par l’initiative – ont stagné, voire diminué, alors qu’en même temps, la population a augmenté.
Jean-Pascal Fournier: La réalité, c’est quand même un développement extrêmement important des zones d’habitation qui se poursuit.

On parle beaucoup des appartements neufs et vides qu’on voit fleurir un peu partout dans notre canton. Ils sont une réalité, non

Thomas Egger: Encore une fois, je ne nie pas ce qui a été fait par le passé. Mais je constate aussi qu’il y a déjà, et de plus en plus, de la densification au sein des villes. Et je vais faire un constat que peut faire n’importe quel étudiant en première année d’économie: plus l’offre baisse, plus la demande augmente et plus les prix prennent l’ascenseur. C’est ce qui arrivera avec cette initiative qui va rendre impossibles beaucoup de nouvelles constructions. Au final, ce sont les locataires qui seront les premiers perdants.
Jean-Pascal Fournier: Je conteste cette analyse qui est démentie par les faits: malgré 6000 logements vides en Valais, les prix sont loin d’avoir baissé. Au contraire, en densifiant et en construisant en hauteur, les prix du logement devraient baisser. Certes, des efforts de densification ont été réalisés dans certaines communes, mais en même temps, d’autres ont ouvert d’énormes zones à construire un peu partout et n’importe comment. Il faut que cela cesse.
 

Malgré 6000 logements vides, les prix sont loin d’avoir baissé en Valais.
Jean-Pascal fournier, président des Verts valaisans


Au fond, cette initiative n’est-elle pas le meilleur moyen pour assurer durablement un aménagement du territoire maîtrisé, alors que l’on sait que la LAT permet davantage d’exceptions et, surtout, est limitée dans le temps?

Thomas Egger: Par le passé, la LAT n’a pas toujours été respectée, mais cela n’impliquait aucune sanction. Aujourd’hui, la loi sanctionne. Si les plans directeurs n’ont pas été révisés et approuvés par Berne, certaines communes n’ont simplement plus le droit de zoner, quand bien même elles pourraient en avoir besoin. La preuve que l’outil actuel fonctionne.
Jean-Pascal Fournier: C’est vrai, avec la LAT, nous sommes déjà en mode gel des zones à bâtir et nous voyons bien que le développement économique ne s’est pas arrêté pour autant.
 

Pour Jean-Pascal Fournier, l’initiative laisse la possibilité de construire hors des zones lorsqu’il s’agit de bâtiments d’utilité publique. Thomas Egger rétorque que l’initiative ne prévoit pas d’exceptions utiles au développement économique ou touristique du canton. Photo: Sacha Bittel


Aujourd’hui, la LAT permet des exceptions pour certaines installations à certains endroits hors zones. Mais est-ce aussi le cas de l’initiative?

Thomas Egger: C’est bien là le problème et on l’a déjà rencontré dans le cadre de la lex Weber par exemple. L’article constitutionnel est si peu précis qu’on va se poser la question durant quatre ou cinq ans de ce qui sera permis ou non. Nous allons au-devant d’une grande insécurité juridique. L’initiative permettra la construction d’exceptions d’utilité publique, mais qu’est ce qui le sera ou ne le sera pas?
Jean-Pascal Fournier: Vous peignez le diable sur la muraille. On sait bien que le législateur devra mettre en œuvre une loi d’application et on trouvera les solutions nécessaires. Vous faites peur aux gens, comme vous leur avez fait peur en assurant qu’il y aurait 4000 chômeurs en Valais, qu’on n’a jamais vus d’ailleurs, à cause de la lex Weber.

Il y a quelques jours, la conseillère d’Etat vaudoise Jacqueline de Quattro écrivait dans une tribune qu’avec l’initiative, on n’aurait jamais pu construire l’hôpital de Rennaz par exemple. C’est vrai?

Jean-Pascal Fournier: L’initiative laisse la possibilité de construire hors des zones lorsqu’il s’agit de bâtiments d’utilité publique. Un hôpital en fait partie.
Thomas Egger: Peut-être, mais l’initiative ne prévoit pas d’exceptions utiles au développement économique ou touristique du canton. Des entreprises sises dans nos vallées ne pourront pas bénéficier de régime de faveur pour pouvoir se développer, alors qu’elles ont déjà fait l’effort de s’implanter en montagne. Il n’y aura pas de dérogation non plus pour des bâtiments comme des cabanes du Club alpin, de restaurants d’altitude, alors que la LAT, elle, laisse une place à ces exceptions. Avec l’initiative, on ne pourrait plus construire de remontées mécaniques.
 

Avec l’initiative, on ne pourrait plus construire de remontées mécaniques dans le futur.
Thomas Egger, conseiller national PDC


Des remontées mécaniques? On sait déjà certaines d’entre elles à la peine, on imagine mal que dans quinze ans, notre canton aura besoin d’en développer de nouvelles, non?

Thomas Egger: On sait que ce sont les remontées mécaniques de moyenne altitude qui vont mal. Peut-être faudra-t-il justement les démonter pour développer davantage celles qui sont en altitude.
Jean-Pascal Fournier: Je suis abasourdi par vos propos et l’on revient là à la vision touristique de notre canton. Une vision que nous avons toujours défendue sous l’angle du tourisme quatre saisons, pour mieux tenir compte du changement climatique.
Thomas Egger: Moi aussi, je défends un tourisme quatre saisons, mais il faut justement pour ce faire laisser aux entreprises la possibilité de se transformer et de se développer.

Jean-Pascal Fournier, c’est donc cela que vous voulez: figer ce pays tel qu’il est aujourd’hui?

Jean-Pascal Fournier: Non justement, on veut moins et mieux construire. Densifier les centres et promouvoir les écoquartiers. Nous ne figeons rien puisque l’initiative laisse le loisir d’ouvrir de nouvelles zones, pour autant qu’elles soient compensées ailleurs par des zones agricoles ou nature.
Thomas Egger: C’est bien là le problème. Ce principe de compensation à l’échelle nationale est une vision théorique qui n’a jamais été expérimentée dans aucun autre pays. Je n’ai pas envie de jouer les cobayes sur un sujet si important.
 

Ceux que vous traitez de rêveurs sont justement les réalistes. Il y a urgence. On ne peut plus continuer à bétonner à tout va.
Jean-Pascal fournier, président des verts valaisans


Cette initiative signe-t-elle la fin de la villa individuelle?

Thomas Egger: Bien entendu. Et même si l’on va, sans cette initiative déjà, vers une densification des centres, il ne faut pas oublier que tout concentrer va engendrer de nouveaux problèmes de mobilité et de pollution. Il y aura aussi des dommages collatéraux. La mobilité de loisir, pour sortir des villes, sera toujours plus dense et engendrera de nouveaux problèmes.
Jean-Pascal Fournier: Les problèmes, c’est aujourd’hui qu’on les constate. Avec des constructions éparpillées un peu partout, on fait exploser la facture des collectivités publiques qui doivent équiper en routes la moindre parcelle, tout en éloignant les gens de leur lieu de travail.

Plus que jamais peut-être, la tendance est à la protection du climat, avec les discussions qui ont cours à Davos ou encore les manifestations de jeunes dans la rue. Le monde n’est-il pas aujourd’hui partagé en deux camps, les promoteurs et les entrepreneurs qui veulent se développer à tout va et les partisans d’un vivre autrement, plus en accord avec la nature?

Thomas Egger: Pour moi, les deux camps sont: d’un côté les rêveurs, de l’autre les gens aux prises avec la réalité. Lorsqu’on gèle des zones à bâtir dans un canton ou un pays, on lui interdit tout développement.
Jean-Pascal Fournier: Ceux que vous placez dans le camp des rêveurs sont au contraire les réalistes. Il y a urgence. On ne peut pas continuer à bétonner à tout va, à rendre les sols imperméables. On ne peut pas attendre d’explorer toutes les largesses d’une loi durant quinze ans, pour après prôner de nouveaux besoins et recommencer à ouvrir des zones à bâtir. La Suisse a des zones à bâtir en réserve pour 1,5 million d’habitants supplémentaires.
Thomas Egger: Encore une fois, on diverge sur les chiffres. Je pense qu’on est plus proches de réserves réalistes pour 0,9 million de personnes. Cette initiative bétonne un développement, alors que seuls 7,5% du territoire suisse sont en zone à bâtir. Il faut arrêter de parler toujours de cette Suisse qui serait entièrement bétonnée. 

 

Les agriculteurs durablement divisés

Cette initiative est censée protéger les terres agricoles et pourtant, le monde paysan est divisé. Comment expliquer cette dissension?
Jean-Pascal Fournier: Il y a toujours eu deux camps dans le monde paysan. D’un côté, l’Union suisse des paysans qui est aux mains des partis bourgeois et, de l’autre, un syndicat comme Uniterre qui est favorable à l’initiative. Uniterre défend un développement local et durable de l’agriculture.
Thomas Egger: Justement, votre initiative est aberrante puisqu’elle interdit ce qu’elle prône. En septembre 2017, les Suisses ont plébiscité l’article de loi sur la sécurité alimentaire. Ils veulent manger des poulets suisses et des salades en hiver qui ne viennent pas de l’étranger. Et ce circuit court passe par la construction de halles ou de serres pour la culture hors-sol. Or avec votre initiative, vous voulez priver les paysans de ces installations parfois nécessaires pour la diversification de leur production et de leur survie.
Jean-Pascal Fournier: Les serres seront toujours possibles en zone agricole. Par contre, pour les cultures hors-sol qui ne dépendent pas du sol, les paysans pourront construire ce genre d’installations, qui s’apparentent plus à de l’agrobusiness, dans les zones industrielles.
Thomas Egger: Pour des terrains qui sont 40 fois plus chers, oui. C’est irréaliste.

 

Les Verts bien seuls

Nous voterons le 10 février sur l’initiative contre le mitage du territoire. Ce sont les jeunes Verts qui ont déposé ce projet en 2016. 
L’idée: chaque création de nouvelle zone à bâtir devra être systématiquement compensée par le dézonage d’une nouvelle surface, de taille et de valeur de production similaire, dévolue à la nature ou à l’agriculture. Les zones à bâtir ne devront pas dépasser le niveau actuel sur l’ensemble du territoire suisse. L’initiative veut donc geler, pour une durée illimitée, la surface totale des zones à bâtir à son niveau actuel et inscrire ce principe dans la Constitution et non plus uniquement dans la loi. Dans ce combat censé prolonger la LAT, les Verts sont assez esseulés. Si sur le plan suisse, le parti socialiste les soutient, il n’en est pas de même en Valais, où la section a donné un non pour mot d’ordre, estimant ce remède au mitage trop extrême. Le monde paysan se montre divisé, comme celui des architectes ou certains milieux de protection du paysage. 
Les deux premiers sondages de l’institut GfS n’en ont pas moins donné l’initiative gagnante à 54 et à 52%.

 

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