Le lieu de la rencontre restera discret. À l’image de la porte qu’Eric Varone vient de pousser et qui ouvre sur une pièce de quelques mètres-carrés. Une table et quelques chaises en occupe la première moitié. C’est là que l’opticien retraité reçoit. Sur le mur, des photos témoignent du passage en ces lieux de convives de marque, comme Jean-Paul Belmondo ou Olivier Lejeune.

null

Cet article peut être lu dans notre magazine «Terroirs» en cliquant ici.

L’atmosphère du carnotzet appelle à débouchonner une bouteille. Et ça tombe bien. Des bouteilles, l’autre moitié de la cave en regorge. Stockées dans un espace vitré et correctement tempéré – «15 degrés en été, 13 en hiver», précise son heureux propriétaire.

Quarante ans de passion reposent dans cet espace exigu, enterré dans le sous-sol sédunois. Des dizaines de bouteilles y sont étagées. Les Romanée-Conti ont pour voisin de palier des Château Mouton Rothschild ou autre Château d’Yquem. Toutes ont un certain âge (on reviendra sur ce point). L’ensemble vaut… un certain prix, dira-t-on. Car Eric Varone ne souhaite pas parler d’argent. Uniquement de la passion. Celle qu’il porte pour les vins anciens. Et pour les histoires qui les entoure.

Une place dans un musée

L’ancien lunetier a tout préparé. Ce n’est pas la première fois qu’il présente ses pièces les plus rares. Probablement pas la dernière non plus. Il commence par la mise en contexte: 1735, un navire qui quitte les eaux néerlandaises et un naufrage au large des côtes britanniques.

«En 1981, douze bouteilles sont repêchées», poursuit l’homme à la monture bleue décalée. «Deux d’entre elles ont été rapidement ouvertes. La première à l’Université de Bordeaux, pour déterminer ce qu’elle contenait. Un pinot hollandais. La seconde en marge d’une vente aux enchères chez Christie’s, à Londres, où leurs clients les plus fidèles ont été invités à y goûter. Une des restantes est exposée au Musée naval royal de Copenhague. Une autre est ici.»

À cette phrase, le conteur se baisse et soulève de derrière sa chaise le flacon pluriséculaire. La surface du verre est émaillée par l’eau de mer. À l’intérieur, on devine le précieux liquide. «Ça, c’est ma passion des vins», annonce l’hôte. Le décor est posé.

Sion - 27 octobre 2022 - Eric Varone, collectionneur de vins.

Sous la poussière, l’histoire. D’un ministre de Louis XVI (à droite) à Napoléon, les bouteilles ont appartenu à des personnages illustres. @Sabine Papilloud

Pour les yeux uniquement

Des histoires, le collectionneur en a plein à raconter. Celle de la bouteille échouée tient une place particulière dans son cœur. Tout comme celle du vin de Napoléon. On vous le fait en bref. Les Britanniques ont confisqué un tonneau de Madère que l’empereur déchu espérait débarquer sur l’île de Sainte-Hélène pour son exil. Après la mort de Bonaparte, sa famille a rapporté le fût à l’encaveur, la maison Blandis. Celle-ci, flairant l’opportunité commerciale, a mis en vente, en 1840, 200 bouteilles de la cuvée de Napoléon. À dix fois le prix de ses autres millésimes. Et l’une d’entre elles repose évidemment désormais dans le sous-sol sédunois.

«Ces bouteilles ne sont pas les plus chères de ma collection», relève l’actif retraité. «Mais les autres, d’autres personnes peuvent les acheter.» Et hors de question pour lui de les ouvrir! «Elles vont rester pour l’histoire, complète-t-il.

Les rouges anciens sont plus délicats à déguster. Ils perdent ce côté enjôleur du fruit au profit d’arômes plus tertiaires.»

ÉRIC VARONE, COLLECTIONNEUR DE VINS ANCIENS

Un rituel bien précis

Des vins à déguster, le Valaisan en a de toute façon suffisamment en réserve. Ses favoris ? Probablement les Château d’Yquem. Hasard du calendrier, il a justement ouvert un millésime 1948 en prévision d’une dégustation agendée le lendemain. Un véritable caramel en bouche. «Les sauternes se conservent très bien grâce à leur sucrosité», explique Eric Varone. «Les rouges anciens sont plus délicats à goûter. Ils perdent ce côté enjôleur du fruit au profit d’arômes plus tertiaires. C’est une autre approche.»

L’ancien commerçant n’apprécie pas seulement raconter des histoires. Il aime aussi faire découvrir, le plus souvent lors de repas combinant mets et boissons. La majorité des invités sont des habitués, mais il initie régulièrement des néophytes.

La préparation de ces rendez-vous tient presque du rituel. La veille, le collectionneur débouche un contenant, verse un fond dans un verre, fait le vide et remet le bouchon. Première dégustation. Une opération qu’il répète toujours par groupes de quatre bouteilles. «Une demi-heure plus tard, je regoûte chaque verre, pour voir comment il a évolué.»

Si le vin lui convient, il procède à la fameuse double décantation. Il filtre le liquide à travers une passoire dans un décanteur, nettoie la bouteille à l’eau, puis y reverse le nectar. Intervient une troisième dégustation. «C’est là que je décide si je rebouchonne pour la nuit ou si je laisse ouvert.»

Sion - 27 octobre 2022 - Eric Varone, collectionneur de vins. Le collectionneur s’intéresse aussi aux vieilles bouteilles valaisannes. Sabine Papilloud

Le collectionneur face aux investisseurs

«Je peux me permettre de faire déguster de tels vins, parce que je les ai achetés il y a 20 ou 30 ans», relève Eric Varone. À l’époque où ces crus se trouvaient à une soixantaine de francs. Aujourd’hui, il serait impossible pour lui d’acquérir les mêmes grands Bordeaux et Bourgogne. «Les investisseurs russes et chinois s’intéressent avant tout à l’étiquette. Mais rarement aux vins qui ont plus de trente ans. L’augmentation des prix a donc surtout touché les millésimes les plus jeunes. C’est moins vrai pour les bouteilles qui ont plus de 70 ans.»

L’amour du Sédunois pour les étiquettes prestigieuses l’a donc naturellement porté vers des millésimes plus anciens. Pour les débusquer, il peut compter notamment sur son réseau. D’ailleurs, il vient de recevoir un message d’un collectionneur belge. Pour un cognac de 1927. Mais ses meilleures affaires, il les fait le plus souvent lors de ventes aux enchères, le plus souvent en France, «lorsque les descendants vident la cave de grand-papa après son décès, pour s’acquitter de l’impôt sur les successions».

Sion - 27 octobre 2022 - Eric Varone, collectionneur de vins. De 1882 à 1995: l’évolution d’un Château d’Yquem sur plus d’un siècle en une seule image. @Sabine Papilloud

L’illumination à 21 ans

Eric Varone est tombé dans la cuve étant petit. Avec un grand-père et un père propriétaires-encaveurs, il aurait été difficile pour lui d’y échapper. «À neuf ans, lors des fêtes de famille, on avait le droit de goûter au vin doux servi au dessert», se remémore-t-il. L’origine de son affection particulière pour les surmaturés?

Le déclic pour les grands crus s’opère quelques années plus tard, en 1976. Il a alors 21 ans. «Lors d’une soirée, mon ami Dominique Fornage m’a fait goûter pour la première fois un Mouton Rothschild», se remémore-t-il. «J’ai été très surpris. Je n’avais pas été habitué à un tel goût pour un vin rouge.» À l’époque, le vieillissement en fût de chêne à la bordelaise passe pour un artifice chez les vignerons valaisans, encore peu ouverts à l’innovation. Intrigué, le jeune Eric Varone s’inscrit à un cours de dégustation dispensé par son ami. Et tombe dans un nouvel univers.

Sa soif de découvertes le mène dans la région de Bordeaux pour des stages. L’ouverture de son commerce d’optique, en 1982, marque le début de sa collection. « En ayant un peu plus de moyens, j’ai commencé à acheter chaque année, en primeur, des Bordeaux», raconte-t-il.

Quelques placements l’aident à agrandir sa collection. La vente d’une partie de ses vins lui permet même de créer sa propre montre, la Sbarro. Avec son trou à la place du cadran, l’objet a même fait son entrée au Musée international de l’horlogerie à la Chaux-de-Fonds. Mais ça, c’est une autre histoire. Et probablement qu’en rencontrant Eric Varone, il sera ravi de vous la raconter.

Sion: Eric Varone cultive le goût des vins prestigieux et des belles histoires

Désormais retraité, l’opticien sédunois entretient un amour particulier pour les bouteilles anciennes. Une passion qu’il se plaît à partager et à raconter.