La sonnerie retentit. Les bielles se mettent à avancer et reculer dans un mouvement circulaire qui, lui-même, actionne les axes centraux faisant tourner les roues à aubes du «Rhône». Dernier bateau à vapeur construit en Suisse et inauguré en 1927 lors de la Fête des Vignerons, le navire a retrouvé les eaux du Léman hier, après trois ans de travaux de restauration.

La presse était conviée à cet événement festif à Ouchy, auquel ont pris part notamment le conseiller fédéral Alain Berset, la présidente du Conseil d’Etat vaudois Nuria Gorrite et les conseillers d’Etat genevois Serge Dal Busco et valaisan Franz Ruppen.

«Capitaine, je vous prie de prendre soin de ce bateau», a lancé Alain Berset dans une boutade, faisant allusion à un accident survenu en 1928 et ayant causé la perte de l’ornement de proue. Plus sérieusement, le conseiller fédéral a rappelé que l’Office fédéral de la culture (dont il est ministre de tutelle) a contribué à la restauration du «Rhône» à hauteur de 1,7 million de francs, pour un budget total de plus de 15,8 millions.

Alain Berset a mentionné que ce navire, aux côtés d’autres bateaux à vapeur, fait partie des biens culturels d’importance nationale, ce qui explique la participation de la Confédération aux travaux de restauration. Les cantons de Vaud, de Genève et du Valais ont accordé des subventions de respectivement 6,8 millions, 3,7 millions et 0,9 million de francs.

A cela s’est ajouté le soutien de l’Association des amis des bateaux à vapeur du Léman (ABVL) pour un montant de 2,7 millions de francs. «C’est le quatrième navire à roues à aubes à avoir été restauré avec l’aide de l’ABVL», a précisé son président Maurice Decoppet.

Une restauration «complexe»

La restauration du «Rhône» a été «complexe», selon le directeur technique de la Compagnie générale de navigation sur le Léman (CGN) Irwin Gafner. «Il a fallu concilier préservation du patrimoine et innovations technologiques.» L’objectif des travaux: reconstituer le navire au plus près de sa silhouette d’origine.

Les différents salons aux murs lambrissés en témoignent. Si ce n’était l’habillement des personnes présentes, l’on se croirait presque dans les années 1920, au milieu de touristes anglais venus admirer la région lémanique…

La restauration du navire a également permis de l’alléger afin de diminuer son empreinte carbone, étant donné que la vapeur est produite avec du mazout désoufré. «L’utilisation de combustibles alternatifs est à l’étude», tient à souligner Irwin Gafner. En attendant, le «Rhône» sera le premier bateau à vapeur du Léman appelé à voguer toute l’année, et non uniquement durant la belle saison.

L’aide de Berne

Ce joyau du patrimoine lacustre helvétique n’est cependant pas le seul à avoir subsisté jusqu’à nos jours. Rien que sur le Léman, les navires historiques sont au nombre de huit, dont l’un («Helvétie») attend depuis 2002 sa rénovation complète. La flotte de bateaux à roues à aubes sur ce lac constitue la deuxième en termes de taille en Europe.

«Elle illustre le remarquable développement touristique qu’a connu en particulier la Riviera vaudoise à la Belle Epoque», s’enthousiasme Benoît Dubosson, chef conseils et expertise à la section culture du bâti à l’Office fédéral de la culture.

Cet office joue d’ailleurs un rôle souvent important dans la préservation de ce patrimoine. «Plusieurs bateaux de la flotte du Léman ont déjà été restaurés à l’aide de subventions fédérales: «La Suisse» en 2010, le «Vevey» en 2013 et l’«Italie» en 2016», poursuit le responsable.

«Ces remarquables restaurations ont permis d’illustrer la qualité et le professionnalisme des artisans et des chantiers navals. La Confédération a également subventionné des bateaux similaires sur d’autres lacs, notamment le «Neuchâtel» (voir encadré) et le «Lötschberg» sur le lac de Brienz, ainsi que le «Blümlisalp» sur celui de Thoune.»

«Des musées qui voguent»

Ailleurs en Suisse, des bateaux à vapeur voguent sur le lac des Quatre-Cantons et sur celui de Zurich, notamment. Des associations de sauvegarde de ce patrimoine ont vu le jour, il y a une cinquantaine d’années déjà.

«Les navires à vapeur sont des biens culturels précieux et des témoins historiques uniques d’une certaine époque», estime Sonja Hablützel, directrice de l’association des amis des bateaux à vapeur du lac des Quatre-Cantons. «Ils sont comme des musées qui voguent et constituent une attraction essentielle pour les touristes et les habitants de la région.»

Benoît Dubosson renchérit: ces navires sont également «importants du point de vue de l’histoire des techniques. Une grande partie de ces bateaux étaient construits en Suisse. Les conserver, c’est sauvegarder des traces de cette industrie».

A l’heure actuelle, il existe 21 bateaux à roues à aubes en Suisse (qui voguent ou sont appelés à le faire dans le futur), même si certains sont en attente de révision et d’autres ont perdu leur propulsion à vapeur au profit d’un moteur diesel-électrique.

Après 22 ans d'absence, l'association des Fêtes du Rhône décroche un prix

Le prix Cohésion & Solidarité récompense le savoir-faire et l’esprit d’innovation autour du bassin lémanique. Basée à Sion, l’association des Fêtes du Rhône figure parmi les lauréats.