Gamin, il admirait le jeu tout en muscles d’un Arnold Schwarzenegger. Un acteur indissociable de ses premiers émois cinématographiques. Mais depuis Tristan Albrecht, 44 ans, s’est choisi d’autres références que le colosse hollywoodien.

S’il a tenté le rêve américain après sa maturité, le natif de Chermignon est vite retourné sur la voie académique. Diplôme de juriste en poche, il ne revêt pas la robe d’avocat mais est irrésistiblement aimanté par les plateaux de cinéma. Il part tout au bas de l’échelle en servant boissons et pizzas aux équipes de tournage. Puis il grade pas à pas jusqu’à devenir lui-même réalisateur puis producteur.

Président de l’association Valais Films et nouveau «film commissioner» chargé de faire du Valais un lieu de tournage prisé internationalement, Tristan Albrecht connaît le 7e art sur le bout des doigts. Mais qu’en est-il des autres disciplines artistiques? Son interview culturelle.

Tristan Albrecht, quand vous entendez le mot culture, vous sortez…?

Je sors…mon ouverture d’esprit. C’est une question de tolérance, d’ouverture, d’apprentissage.

Vous êtes plutôt nature ou culture?

Pour être franc, je suis certainement plus nature que culture. Mais on peut lier les deux. Un exemple: Valais Films a lancé ses «projections insolites». Cet été, on a projeté un film d’un de nos membres au cœur du Clos des Châteaux au-dessus de Sion, en face de Valère et de Tourbillon. Ça alliait vraiment nature et culture.

Si vous deviez donner une définition personnelle de la culture?

Au-delà des différentes pratiques, la culture, c’est avant tout la capacité de l’ouverture à l’autre, à tout ce que l’on ne connaît pas. C’est la capacité de s’enrichir de l’inconnu.

Il a étudié le droit mais n’a pas voulu devenir avocat. © DR

Vous avez la double casquette de producteur et de réalisateur. Quelles sont les qualités que vous cultivez dans votre art?

Ce sont deux métiers distincts. En tant que producteur, je citerai la discipline et l’écoute à l’égard du réalisateur avec lequel on travaille. Il faut être pragmatique mais aussi suffisamment ouvert pour le laisser vivre avec son histoire. En n’hésitant toutefois pas à le ramener sur terre de temps en temps. (Il sourit.)

En tant que réalisateur, c’est un peu l’inverse. La grâce du documentaire, c’est de réapprendre le monde avec le temps. On prend le temps d’aller à la rencontre d’un sujet, d’un décor, d’une histoire, avec le risque de se faire surprendre. Car on a souvent des préjugés avant de se lancer et on s’aperçoit ensuite que rien n’est tout noir ni tout blanc.

J’ai trouvé très riche de pouvoir exercer ces deux métiers qui donnent deux visions complémentaires d’un même projet.

J’aimerais mettre en lumière tous les créatifs de l’ombre.

Quelle est la dernière «baffe» culturelle ressentie?

C’était dimanche lors de l’avant-première du film «Presque» d’Alexandre Jollien et de Bernard Campan, une jolie surprise! Ma femme m’a dit à la sortie: «Tu as la larme à l’œil.» Et c’était vrai. Ça m’a fait très plaisir pour Alexandre qui a eu visiblement un passé difficile avec le Valais et qui a eu droit à une standing ovation.

La bande-annonce de «Presque» qui sortira le 26 janvier 2022

Y a-t-il un artiste valaisan qui vous séduit spécialement? Et à l’échelle internationale?

(Il réfléchit.) Je n’ai pas de nom à donner mais je pense à des compétences cachées. Pour revenir au cinéma, je suis très admiratif de tous ces techniciens qui œuvrent en coulisses, aux décors, aux costumes, aux éclairages, et qui se fédèrent pour donner vie à des bijoux. J’aimerais mettre en lumière ces créatifs de l’ombre. Si on devait tirer du positif de la pandémie, elle a contribué à rapprocher les différents domaines artistiques, révélant des talents incroyables.

Mais y a-t-il un lieu culturel valaisan où vous aimez vous rendre?

Comme pour la question précédente, je n’ai pas de nom précis à donner. Mais j’affectionne tous les lieux anciens, qui ont du vécu, une histoire, pas forcément culturelle mais qui sont réinvestis par la culture. A l’exemple de la Belle Usine à Fully.

Tristan Albrecht est parti six mois à Hollywood après sa maturité. © DR

Et où sont en Valais ces lieux dont le potentiel culturel est encore inexploité?

Il y avait notamment les halles Usego à Sierre mais elles vont être reprises par la nouvelle Haute école d’art du Valais. Il y a l’usine de Chandoline à Sion ou encore tous les anciens forts militaires. Valais Films a d’ailleurs soumis au canton un projet de transformation qui vise à redonner vie culturellement à des lieux désaffectés. On espère une réponse positive.

Selon vous, peut-on parler de culture valaisanne? Le Valais culturel a-t-il une identité propre?

Non, je pense que le Valais est multiple et surtout très mouvant en ce moment. Anciennes et nouvelles générations se fécondent. En tant que «film commissioner», j’essaie de mettre en avant des décors historiques, classiques mais aussi une culture plus urbaine. Loin d’être figée, la culture est labile, un peu comme le Rhône descend jusqu’à la mer. Pour filer la métaphore, je dirais qu’elle est sans cesse en mouvement mais qu’elle est aussi ancrée dans un glacier plus solide. Elle a des racines mais elle évolue de manière différente et surprenante.

Décrivez-nous votre week-end idéal, placé sous le signe de la culture.

J’essaierai de faire un week-end combo de tous les arts possibles! On pourrait commencer par la musique, continuer par la littérature et finir par le cinéma, en fréquentant différents lieux.

Tristan Albrecht préside l’association Valais Films qui compte plus de 80 membres. © DR

Et si on devait l’ancrer en Valais, ce serait où?

J’irais par exemple écouter un concert à Derborence, assister ensuite à des lectures à Ossona dans le val d’Hérens, et finir par un film projeté contre le mur d’un barrage. Encore une manière de lier nature et art.

On dit que la culture, c’est comme la confiture. Quel genre de tartine culturelle vous faites-vous le matin?

Le matin, j’écoute RTS la Première, «La Matinale» de Romaine Morard suivie de l’émission «Tout un monde». Je suis très radio, je n’ai d’ailleurs pas de téléviseur chez moi.

On a des besoins primaires à assouvir mais on a aussi une âme à nourrir.

Vous produisez de la culture. Mais en êtes-vous un grand consommateur vous-même?

Pas suffisamment, même si dernièrement beaucoup plus. Mais je peux faire mieux. Notamment en ce qui concerne la musique qui est une grande frustration de ma vie. Je fais peut-être trop de sport. (Sourire.)

Auriez-vous un bon plan culturel à proposer à nos lecteurs pour l’année à venir?

Je pense aux projections insolites déjà citées que l’on va relancer en 2022 avec Valais Films. Cinq ou six dates permettront de relier un lieu à un film en présence du réalisateur. Mention particulière aussi aux avant-premières des productions de nos membres que l’on soutient toujours.

On vous donne 1 million de francs à dépenser dans la culture. Quelles seraient vos priorités?

Le cinéma! (La réponse fuse.) Je verserai ce million dans la formation des jeunes qui ont la volonté d’apprendre le métier sans vouloir forcément s’exiler. C’est très riche d’aller voir ailleurs mais certaines personnes n’en ont pas l’envie et ce serait bien qu’elles trouvent des opportunités de formation ici, dans quelque domaine artistique que ce soit d’ailleurs. In fine, il s’agit de donner à la culture la place qu’elle mérite.

«La culture, ce qui fait de l’homme autre chose qu’un accident de la nature», disait Malraux. Vous avez trois heures…

Je pense qu’il a tout à fait raison. Bien évidemment on peut axer notre vie sur l’argent, sur les biens matériels. Mais je ne pense pas que ça nous remplisse. Le Covid devrait nous aider à prendre conscience qu’on a besoin d’être nourris autrement que par des aliments d’Aligro. On a des besoins primaires à assouvir certes mais on a aussi une âme à nourrir. La culture, ce n’est pas un passe-temps, c’est une nécessité.

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