L’appellation sonne désuète et fait penser à ses rectangles de papier dentelés qu’on léchait pour les coller au dos d’une carte postale, du temps où on en envoyait encore de ses vacances au soleil. Les Suisses diront le 13 février s’ils sont d’accord ou non d’abolir le droit de timbre d’émission, une taxe qui n’a rien à voir avec les timbres-poste.

Le ministre des Finances Ueli Maurer a lancé mardi la campagne du oui, soulignant qu’il s’agissait là d’un pas nécessaire pour renforcer l’attractivité de la place économique suisse.

L’origine de ce droit de timbre se perd dans les méandres de l’histoire fiscale. Même le très pointu Adrian Hug, directeur de l’Administration fédérale des contributions, a dû reconnaître mardi qu’il ne connaissait pas précisément son origine. «Mais par le passé», a-t-il expliqué, «beaucoup d’activités dépendaient d’une autorisation délivrée par l’Etat, qui prélevait une taxe en échange».

En l’occurrence, le droit de timbre d’émission s’applique aux entreprises suisses qui mettent sur le marché de nouvelles actions. La taxe se monte à 1% des fonds levés, avec toutefois une franchise importante, fixée à 1 million de francs. Ses recettes sont assez irrégulières, mais représentent en moyenne 250 millions de francs par an sur les vingt dernières années.

C’est sur la suppression de ce droit de timbre spécifique que les Suisses voteront en février. Il ne faut pas le confondre avec le droit de timbre de négociations qui frappe les échanges de titres suisses et étrangers ni le droit de timbre qui frappe certaines assurances. Ceux-ci rapportent de l’ordre de 2 milliards de francs par an.

La «tactique du salami»

Pour la gauche, qui a lancé le référendum contre l’abolition du droit de timbre d’émission, c’est l’une des prochaines étapes qui nous attend. Samuel Bendahan dénonce la «tactique du salami» appliquée en matière de baisses d’impôts depuis les années 1990, avec les récentes réformes de la fiscalité des entreprises notamment.

L’objectif de toutes ces réformes est de faire porter tout le fardeau de l’impôt sur la classe moyenne.

Samuel Bendahan, PS,VD

«On est déjà au milieu du salami», ironise le Vaudois, qui signale deux nouvelles tranches coupées lors de la session parlementaire qui s’est achevée vendredi dernier. A savoir la réforme des droits de douane, qui va faire perdre 600 millions de recettes fiscales, ainsi que l’abolition de l’impôt anticipé (200 mio), contre laquelle la gauche a d’ailleurs lancé un autre référendum. Et le socialiste d’évoquer encore d’autres réformes prévues, comme celles de la valeur locative et de l’imposition des familles. «L’objectif de toutes ces réformes est de faire porter tout le fardeau de l’impôt sur la classe moyenne, par le biais de l’impôt sur le revenu», dénonce-t-il.

La crise en toile de fond

Surtout, pour Samuel Bendahan, «ce n’est pas le bon timing! Alors que 500’000 PME ont souffert de la crise sanitaire, on accorde là des privilèges fiscaux à quelques entreprises du secteur financier qui a, lui, bien résisté». L’an dernier, 55 grands groupes ont payé, à eux seuls, plus de la moitié des revenus du droit de timbre d’émission.

Ces 250 millions de recettes fiscales ne sont pas vraiment relevant pour le ménage fédéral.

Ueli Maurer, ministre des finances

Tout à l’inverse, pour Ueli Maurer, c’est le bon moment, et ce malgré les dizaines de milliards de dettes accumulées par la Confédération depuis le début de la crise sanitaire. «Je suis quelqu’un qui compte chaque franc», assure le Picsou fédéral. «Mais ces 250 millions de recettes fiscales ne sont pas vraiment relevant pour le ménage fédéral.»

Dans le camp du oui, la crise sert aussi d’argument: «Nous devons investir maintenant dans des conditions-cadres optimales pour les entreprises», professe Sabine D’Amelio, directrice de l’Administration fédérale des finances. «La stabilité et la bonne situation des finances de l’Etat ont permis une réponse très rapide et forte pour surmonter cette crise. Cette marge financière a été possible grâce à la croissance économique et au frein à l’endettement.»

Question d’attractivité

Ueli Maurer voit donc les pertes fiscales comme un investissement pour attirer de nouvelles entreprises. «Avec l’arrivée d’entreprises, des places de travail sont créées, souvent des emplois à forte valeur ajoutée et donc des contribuables qui vont payer de hauts impôts», développe-t-il. Et de montrer que les recettes fiscales de la Confédération ont continué à croître toutes ces dernières années, malgré les réductions liées aux réformes de la fiscalité des entreprises

Pour Ueli Maurer, la menace vient aujourd’hui de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et de son idée de fixer un taux minimal de 15% pour la fiscalité des entreprises. La Suisse va devoir s’aligner, perdant ainsi un avantage concurrentiel. Dans ce contexte, «il est important d’éliminer toutes les particularités fiscales suisses», estime Sabine D’Amelio. Or le droit de timbre d’émission n’est encore perçu en Europe plus que par l’Espagne et la Grèce.

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