Il est attendu avec impatience par certains et inquiétude par d’autres. L’appel d’offres pour le sauvetage héliporté que le Conseil d’Etat valaisan lancera ce printemps ne laisse personne indifférent sur le tarmac sédunois. Pour Héli-Alpes, c’est l’aboutissement d’une longue procédure jusqu’au Tribunal fédéral dans l’optique de pouvoir prendre part au sauvetage héliporté, assuré depuis des décennies par les compagnies Air-Glaciers et Air Zermatt.

La plus haute instance du pays a en effet sommé le gouvernement valaisan de recourir à une soumission publique pour ce service. En vue de cette dernière, la société de Francis Sermier s’est rapprochée de la Rega qui a déjà stationné un hélicoptère à Sion, bien qu’elle ne soit pour l’heure pas habilitée à intervenir pour du sauvetage en Valais. Le canton est d’ailleurs une exception dans le paysage suisse. C’est le seul territoire sur lequel la Rega n’est pas active.

Ce rapprochement ne rassure pas leur voisine de tarmac, la compagnie Air-Glaciers, détenue depuis 2020 par Air Zermatt. Aujourd’hui, les deux sociétés parlent d’une même voix pour rappeler qu’elles sont pionnières dans le sauvetage en montagne, que le secours fait partie de leur ADN. Et que, bien qu’elles détiennent à elles seules le mandat du sauvetage héliporté, elles offrent «le meilleur réseau de sauvetage de Suisse avec quatre biturbines sur l’ensemble du canton», selon les mots de Philipp Perren, président du conseil d’administration des deux compagnies. Mais malgré plus de cinquante ans d’expérience dans le domaine, les consœurs sont aujourd’hui inquiétées par la venue de la Garde aérienne suisse de sauvetage (Rega) en Valais.

Pourquoi ces rivalités et quels sont les enjeux de cet appel d’offres pour les différentes compagnies? Les dessous d’une guerre du ciel entamée il y a déjà plusieurs années…

Une convention de collaboration signée puis rompue, le début de la discorde

Tout commence en 2014, lorsqu’une convention de collaboration entre Héli-Alpes et Air-Glaciers est signée. Cette dernière a pour but d’«offrir un service de qualité pour les transports et de garantir le respect de la planification des urgences pour la partie francophone du Valais». En d’autres termes, «il s’agissait d’une sous-traitance d’Air-Glaciers à Héli-Alpes pour des interventions secondaires tels que des transferts interhospitaliers», précise Jean-Marc Bellagamba, directeur de l’Organisation cantonale valaisanne des secours (OCVS).

Il ajoute que pour intégrer le dispositif de sauvetage d’interventions primaires, à savoir sur le terrain, la compagnie doit être au bénéfice d’une autorisation d’exploiter. «A l’époque, Héli-Alpes ne répondait pas à tous les critères requis et l’autorisation ne lui a pas été délivrée.»

Directeur d’Héli-Alpes, Francis Sermier a démarré son combat en 2015 pour obtenir une concession lui permettant de réaliser des missions de sauvetage en Valais. Pour lui, «le monopole actuel n’est plus acceptable». © Sacha Bittel

Francis Sermier n’attendait qu’une chose, mettre son nouvel hélicoptère biturbine, un Bell 429, à plus de 7 millions de francs, au service des blessés. Fin 2016, un accord de collaboration est signé entre Air-Glaciers et Héli-Alpes et une formation est organisée pour que deux pilotes d’Air-Glaciers prennent en main cette machine. Mais huit mois plus tard, une nouvelle missive tombe. Air-Glaciers rompt la collaboration. «La convention soulève aujourd’hui en interne plusieurs questions et problèmes liés principalement au personnel et à la démarche d’Héli-Alpes SA auprès de l’OCVS pour participer de manière autonome à la planification des urgences», stipule la lettre.

Hier, je n’avais rien à perdre, aujourd’hui en collaborant avec la Rega, Héli-Alpes et le Valais ont tout à gagner.

Francis Sermier, directeur d’Héli-Alpes

Héli-Alpes passe à l’offensive

Pour Francis Sermier, c’en est trop. Il dénonce à la fois «l’arrogance» de la compagnie de sauvetage avec laquelle il partage le tarmac valaisan et des «magouilles valaisannes» qui protégeraient l’hégémonie de cette dernière et de son homologue haut-valaisanne. «Faut-il être estampillé PDC pour obtenir le label d’entreprise valaisanne et recevoir un minimum de reconnaissance? Héli-Alpes SA en est une et contribue également à l’économie du canton.»

Après avoir échoué par trois fois entre 2015 et 2018 à obtenir l’autorisation lui permettant d’exercer dans le domaine du sauvetage héliporté auprès du Département de la santé de l’Etat du Valais et de l’OCVS, le patron d’Héli-Alpes lance une procédure auprès du tribunal de district. Ce dernier le déboute.

Il fait ensuite recours au Tribunal cantonal, devant lequel il perd à nouveau. Ça sera finalement le Tribunal fédéral qui, en septembre 2020, lui donnera raison, soulignant que l’organisation d’un appel d’offres remplissant certaines conditions strictes est «expressément prévue» par le droit cantonal.

… et se tourne vers la Rega

Sûr de ses moyens techniques mais conscient qu’il ne dispose pas de ressources humaines pour pratiquer des secours, le directeur d’Héli-Alpes se tourne vers la Rega et lui ouvre les portes de l’aéroport de Sion. Depuis décembre, un hélicoptère de la Garde aérienne suisse de sauvetage est stationné dans l’entrepôt d’Héli-Alpes, à quelques mètres d’Air-Glaciers. Pour l’heure, il intervient dans le canton de Vaud et dans l’Oberland bernois, régions dans lesquelles la compagnie nationale a voulu renforcer son dispositif.

Nous avons toujours eu une saine collaboration avec la Rega. Nous sommes intervenus en renfort sur certains de leurs sauvetages et eux de même. Et aujourd’hui, ils investissent des millions chez nos concurrents…

Philipp Perren, président du conseil d’administration d’Air-Glaciers et d’Air Zermatt

Francis Sermier assure qu’ensemble ils répondront à l’appel d’offres auprès du canton. «Le but est de travailler avec deux biturbines au départ de Sion, un hélicoptère de la Rega et un d’Héli-Alpes. Chaque machine sera évidemment pourvue d’un équipage complet pour le sauvetage.» Sur ce point, la Rega reste plus vague. «La forme de l’appel d’offres n’étant pas encore connue, il nous est pour l’heure impossible de nous prononcer là-dessus.»

Dans tous les cas, les contrats de collaborations entre les deux parties sont déjà signés. Un important projet de halle commune est également à l’étude. Selon Francis Sermier, elle devrait voir le jour début 2024.

L’hélicoptère de la Rega stationné à Sion intervient pour le moment dans l’Oberland bernois et dans le canton de Vaud. Mais la Garde aérienne suisse de sauvetage, présente dans tous les autres cantons suisses, entend bien participer à l’appel d’offres pour percer le marché valaisan. © Le Nouvelliste

Un combat de David contre Goliath?

Pour Air-Glaciers, le loup est entré dans la bergerie. Fort de plus de 3,6 millions de contributeurs, dont 50 000 en Valais, lui rapportant plus de 107 millions de francs de donations en 2020 (soit 60% de son budget), la Rega dispose de moyens financiers bien supérieurs à ceux des deux compagnies historiques. Ensemble, elles comptabilisent environ 100 000 donateurs qui rapportent près de 3,5 millions de francs par année. C’est en quelque sorte le David des Alpes contre le Goliath suisse.

Mais ce qui déplaît tout particulièrement à Philipp Perren, président du conseil d’administration des compagnies valaisannes de sauvetage, c’est «l’attitude incorrecte» du géant suisse alémanique, pour ne pas parler de trahison. «Nous avons toujours eu une saine collaboration avec la Rega. Nous sommes intervenus en renfort sur certains de leurs sauvetages et eux de même. Et aujourd’hui, ils investissent des millions chez nos concurrents…»

Pour Philippe Perren, président du conseil d’administration d’Air-Glaciers et d’Air Zermatt, le partage des missions entre plusieurs prestataires ne ferait qu’affaiblir la qualité du service. «La concurrence dans ce domaine ne fonctionne pas comme entre deux boulangeries, car les tarifs sont fixés par les assurances.» © Sacha Bittel

Selon lui, un accord tacite était établi entre les compagnies valaisannes de sauvetage et la Rega. «Les responsables de la Rega nous ont toujours assurés, même par écrit en 2014, qu’ils ne viendraient pas en Valais, sans y être appelés.»

Du côté de la Rega, on assure s’être «pleinement engagé à trouver une solution valaisanne» rassemblant Air-Glaciers, Air Zermatt et Héli-Alpes. «Cette solution valaisanne n’ayant pas vu le jour, la Rega a décidé de renforcer son dispositif national grâce au site d’intervention de Sion et à la collaboration avec Héli-Alpes», répond Adrian Schindler, porte-parole de la compagnie. «L’hélicoptère de cette compagnie, le Bell 429, sera intégré au dispositif de la Rega. En cas de pic d’activité, la centrale d’intervention nationale de la Rega l’engagera également pour des missions de sauvetage.»

De la place pour tous?

A l’issue de l’appel d’offres, Air-Glaciers et Air Zermatt espèrent bien rester les uniques mandataires des secours héliportés dans le canton. Pour Philipp Perren, il n’y a pas de place pour tout le monde. «Si on ajoute deux ou trois hélicoptères supplémentaires de différentes compagnies, cela ne sera pérenne pour personne sur le long terme. Pour le service de sauvetage, la concurrence ne fonctionne pas comme entre deux boulangeries. Les tarifs des vols et prises en charge sont fixés par les assurances maladie et accident. Cela ne mettra aucune pression sur les prix. Mais par contre, les équipes interviendront moins souvent, perdront leur routine et cela impactera la qualité de leur service.»

Francis Sermier, directeur d’Héli-Alpes, n’est pas aussi catégorique. «Je ne me bats pas pour exclure qui que ce soit du système, cela serait d’ailleurs présomptueux de ma part, mais j’aspire plus que jamais à être intégré dans l’OCVS.» Et d’ajouter que «le monopole actuel n’est plus acceptable». Les missions doivent être partagées entre tous les protagonistes. «Le nombre de sauvetage ne cesse d’augmenter, tout le monde va y gagner et surtout le patient.»

C’est au canton à décider combien de prestataires seront impliqués dans le sauvetage en Valais. Imaginer telles ou telles collaborations est aujourd’hui de la spéculation.

Adrian Schindler, porte-parole de la Rega

Il assure en tout cas que lui ne lâchera pas l’affaire. «Hier, je n’avais rien à perdre, aujourd’hui en collaborant avec la Rega, Héli-Alpes et le Valais ont tout à gagner.»

Pour la Garde aérienne suisse de sauvetage, il est encore trop tôt pour se prononcer. «Nous ne connaissons pas encore les détails de l’appel d’offres annoncé pour 2022. Nous y participerons avec un ensemble de prestations encore à définir», souligne son porte-parole Adrian Schindler. «Dans tous les cas, ça ne sera pas à la Rega de décider combien de prestataires seront impliqués dans le sauvetage en Valais et quelles missions leur seront confiées, mais au canton. Imaginer telles ou telles collaborations est aujourd’hui de la spéculation.»

La guerre du ciel s’annonce rude en Valais. Rachetée en 2020 par Air Zermatt, Air-Glaciers est dans une situation financière encore fragile. Les chiffres noirs sont attendus pour 2022, selon le président. «Nous sommes confiants des prestations accomplies durant plus de cinquante ans, mais cet appel d’offres est à prendre au sérieux», conclut Philipp Perren.

Valais: 970 personnes sauvées en montagne en 2021

Les organisations de secours n’ont jamais autant été mises à contribution que l’an passé avec 3680 personnes secourues dans les montagnes suisses. Elles ont été très actives en Valais, le canton qui a compté le plus de victimes.