Après quatre ans «sans», la faute au Covid, la Patrouille des glaciers devrait de nouveau s’élancer de Zermatt et d’Arolla, entre les 26 et 30 avril prochains. Durant un mois, «Le Nouvelliste» vous propose une quinzaine d’articles sur cette course de ski-alpinisme mythique. Nous nous intéresserons aussi bien à ceux qui visent la gagne qu’aux populaires qui s’entraînent depuis des mois pour repousser leurs limites.

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Pierre-Marie Taramarcaz: alors que les inscriptions s’arrachaient par le passé, on ne s’est pas pressé au portillon pour participer à la PdG cette année. Comment l’expliquez-vous?

La pandémie a assurément laissé des traces. Sur les cinq courses auxquelles j’ai pris part cette année – à l’exception de l’Inalpe de Nendaz qui a dû refuser du monde – les organisateurs ont à chaque fois eu de la peine à remplir les quotas.

Les récentes affaires qui ont entouré l’épreuve auraient pourtant pu ternir son image…

Tout ce qui s’est passé n’a évidemment pas contribué à donner une bonne image de la Patrouille. En termes de scandale, on ne pouvait pas faire pire que ce qui a été fait. Mais l’armée et la Patrouille ont corrigé le tir. Mais ces affaires n’ont pas eu de lien avec l’absence de bagarre pour les inscriptions.

En termes de scandale, on ne pouvait pas faire pire que ce qui a été fait.

Le Bagnard vivra un 13e départ sur le grand parcours de la PdG cette semaine. ©Héloïse Maret

Une fois encore, on parlera donc de cette course loin à la ronde. Qu’est-ce qui fait la force de cette épreuve?

C’est une course exceptionnelle disputée dans son style.

C’est quoi, son style?

D’être organisée par l’armée et de s’inscrire dans un exercice militaire. Les soldats sont formés à l’échelle 1:1. En parlant de la PdG à l’étranger, les gens sont toujours impressionnés de voir tout ce qui est mis en œuvre pour cette course. Le ski-alpinisme a une énorme chance de bénéficier de cette aide et, par conséquent, de cette épreuve.

En parlant de la PdG à l’étranger, les gens sont toujours impressionnés de voir tout ce qui est mis en œuvre pour cette course.

On évoque toujours une course « mythique ». En quoi est-elle plus mythique qu’une autre?

Ce qui la rend mythique, déjà, c’est qu’elle a une sacrée histoire derrière elle. Mais pas seulement. Le parcours et le fait de partir de nuit rendent aussi ce rendez-vous unique. Passer sur des glaciers et affronter la distance offerte par cette course sont aussi de sacrés challenges. La PdG est une épreuve longue et surtout très intense. L’effort est continu. Au contraire d’une course de cyclisme où l’on s’observe et où il y a des échappées, on est ici à fond du départ à l’arrivée.

C’est l’épreuve de ski-alpinisme la plus dure au monde?

Je ne pense pas. Sur le Trophée Mezzalama, on passe sur les sommets du Castor qui culminent à 4200 mètres d’altitude. Et ça, je vous le promets, c’est dur.

Au contraire d’une course de cyclisme où l’on s’observe et où il y a des échappées, on est ici à fond du départ à l’arrivée.

Aussi dur que les conditions que vont affronter les concurrents sur la PdG cette année?

Il est vrai que cette année, les glaciers sont dangereux. Mais comme lors des précédentes éditions, Jean-Michel Bournissen (ndlr: le chef de la sécurité de la PdG) a posé ses jalons. Par beau temps, les crevasses et les dangers sont contournés. Si l’édition est exceptionnelle au niveau des glaciers, le parcours est, lui, bien sécurisé.

Vous allez vivre votre 13e Patrouille des glaciers sur le grand parcours. Le profil des participants a-t-il changé en trente ans?

Il a évolué de la même manière que la discipline s’est professionnalisée. On a aussi assisté à une incroyable évolution du matériel. A mes débuts, je participais aux courses en skis de fond, puis en télémark sur des skis plus larges et des carres avant de bénéficier du matériel actuel. En fait, on est passé du ski de fond à des skis carbone ultralégers de 620 grammes sans la fixation. On ne pourra pas faire plus léger pour des raisons de sécurité mais ce matériel a rendu accessible le sport à un plus grand nombre. Aujourd’hui, vous pouvez aller en magasin et vous procurer les mêmes chaussures de ski-alpinisme que le champion du monde.

On ne pourra pas faire plus léger pour des raisons de sécurité mais ce matériel a rendu accessible le sport à un plus grand nombre.

Cette ouverture fait-elle qu’on trouve moins de «montagnards» dans la discipline qu’à son origine?

Mais justement, les compétitions permettent de gommer les dangers de la montagne et d’offrir une chance aux gens moins montagnards de pratiquer du ski-alpinisme en passant à des endroits magiques comme sur la PdG à Tête Blanche ou au col de Bertol. Si vous n’êtes pas montagnards, vous n’allez pas vous aventurer sur ce type de terrain. Mais l’esprit de la montagne, lui, est toujours là. On n’a d’ailleurs pas besoin d’être montagnard pour l’avoir. Il faut être respectueux, prudent et se montrer humble devant la montagne.

Aura-t-on une édition de la Patrouille des glaciers dans dix ans?

J’espère. Mais on ne peut être sûr de rien. Ce n’est pas comme dans le privé où l’on peut signer un contrat pour les dix prochaines années. A chaque fois, l’organisation de la PdG doit être discutée au niveau fédéral. Le parcours et la neige seront en revanche, eux, toujours là dans dix ans (il sourit).

L’esprit de la montagne est toujours là.

Parlons performance pure: 5 heures et 35 minutes, c’est le nouveau record établi sur la PdG il y a quatre ans. Que vous inspire-t-il?

Il m’impressionne, mais pas plus que les records précédents. Il faut toujours mettre les nouveaux temps de référence en lien avec l’évolution du matériel et la préparation des athlètes. Or elle s’améliore d’année en année. Le bagage technique des coureurs est impressionnant de nos jours. Le record dépend aussi du terrain et des conditions. Il y a quatre ans, on avait pu mettre les skis dès la sortie de Zermatt jusqu’à Médran à Verbier. En plus, les Italiens qui ont établi ce chrono record étaient dans la forme de leur vie puisqu’ils viraient en tête de la Coupe du monde.

Peut-on encore gagner du temps sur la traversée?

Même si on arrive gentiment à la limite, je pense que le record peut encore être battu de dix minutes. Mais il ne pourra tomber que sur une édition rapide avec de l’enneigement sur tout le parcours.

Le record établi en 2018 ne m’impressionne pas plus que les records précédents.

Améliorer le chrono grâce aux conditions, au matériel, au physique et… aux substances interdites ? Le dopage existe-t-il dans le ski-alpinisme?

On a pu constater qu’il y a eu du dopage dans ce sport. En 2008 notamment, quand le 2e avait été testé positif. On avait d’ailleurs pu monter sur le podium grâce à la disqualification de cette patrouille (il sourit). Plus sérieusement, je constate que les athlètes se font contrôler de la même manière que dans les autres sports.

©Héloïse Maret

Les populaires, eux, comme dans les autres sports d’ailleurs, peuvent dormir paisiblement: ils ne sont jamais contrôlés…

Si les populaires commencent à se doper, franchement, c’est triste. Je pense toutefois qu’il serait dommage de dépenser de l’argent pour des contrôles à ce niveau. On est davantage dans un cas d’une conscience personnelle pour l’individu qui triche. Il vaut mieux continuer à bien contrôler le sport d’élite et de mettre encore plus de moyens à ce niveau-là.

Revenons à des choses plus… positives: les jeunes peuvent aussi compter sur des structures, ce qui n’était pas forcément le cas il y a quelques années.

Exactement. Ils sont pris en charge et suivent des programmes d’entraînement dès 12-13 ans, alors qu’avant, on venait sur le tard. Personnellement, j’ai commencé les courses à 20 ans.

Les jeunes sont pris en charge et suivent des programmes d’entraînement dès 12-13 ans, alors qu’avant, on venait sur le tard.

Les jeunes ne peuvent par contre plus profiter de s’entraîner dans le cadre de leur travail comme ce fut le cas à l’époque avec les gardes-frontières ou le corps des gardes-fortiﬁcations.

C’était effectivement un souci financier en moins pour nous puisque sans cela, il est difficile de vivre de cette activité sportive. Aujourd’hui en revanche, ils peuvent devenir sportifs d’élite au sein de l’armée. Mais cela ne représente qu’un tiers environ du salaire que l’on percevait à l’époque. Du coup, la plupart doivent travailler, durant l’été en tout cas. Certains bénéficient aussi d’une aide supplémentaire s’ils obtiennent de bons résultats sur les championnats du monde ou les championnats d’Europe. Ils décrochent alors une carte Swiss Olympic. Cela équivaut à un deuxième revenu. Enfin, le reste peut être complété par des sponsors et leur travail. Ça fait du bien de travailler aussi un peu (il rigole).

Ces jeunes peuvent être de sérieux candidats aux médailles lors des prochains JO où le ski-alpinisme fera son apparition. Le ski-alpinisme qui devient olympique, c’est une bonne nouvelle?

Evidemment. Cela va faire parler de notre sport et c’est valorisant pour les athlètes.

Le ski-alpinisme discipline olympique? Cela va faire parler de notre sport sans compter que c’est valorisant pour les athlètes.

Aux JO, les (télé-) spectateurs verront des sprints et des individuelles, puisque ce sont ces deux disciplines qui ont été retenues. Vont-ils vraiment voir l’essence du ski-alpinisme?

Je ne sais pas si on montrera l’essence de ce sport mais plusieurs sports sont passés par là. Prenez le VTT: pour beaucoup de gens, il peut se résumer à des épreuves du type Grand Raid, ou d’autres grandes et longues aventures du même type. Or aux JO, les vététistes tournent en boucle. Le spectateur peut choisir la version qu’il préfère. Il en ira de même avec le ski-alpinisme: soit vous regardez ces épreuves formatées pour la télé comme on en retrouve en Coupe du monde, soit vous vous intéressez aux grandes courses telles que la PdG. Mais le ski-alpinisme est obligé de passer par ces formats pour être olympique. Le cyclisme l’a aussi fait: il existe en format olympique avec des parcours en boucles tout en proposant de mythiques tours comme le Tour de France.

Mais pour vous, Pierre-Marie Taramarcaz, c’est quoi le véritable ski-alpinisme: des épreuves rapides comme en Coupe du monde ou aux JO, ou des longues sorties comme la PdG?

Je suis assez ouvert et avant tout, un compétiteur. Voir tourner des athlètes sur une boucle ne me dérange pas. L’état d’esprit sur ce type de course peut être tout aussi bon et aussi louable que sur une Patrouille des glaciers. Disons qu’une équipe nationale ne peut fonctionner qu’avec des Mondiaux, Européens et Coupe du monde. Les épreuves de la Grande Course, c’est une sorte de cerise sur le gâteau.

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