«C’est du 50-50, on s’attend à des résultats serrés.» A quelques jours du scrutin, les conseillers nationaux valaisans Philippe Nantermod (PLR) et Sidney Kamerzin (Le Centre) ne prennent pas de pari sur le résultat des urnes sur la lex Netflix. Cette révision de la loi sur le cinéma qui veut obliger les services de streaming à verser 4% de leur chiffre d’affaires en Suisse à la production audiovisuelle helvétique et imposer 30% de films ou séries européens dans leurs catalogues.

A Berne, ce mardi, les adversaires du jour jouent l’apaisement, évoquant l’un et l’autre une campagne équilibrée où chaque camp aura pu exposer sereinement ses arguments. Une prudence qui va vite voler en éclats dès les premiers échanges de ce face-à-face où coup de pouce culturel nécessaire et vision libérale se sont entrechoqués.

Philippe Nantermod, vous ne voulez pas soutenir le cinéma suisse. Pas très patriote sur ce coup-là?

On soutient déjà très largement le cinéma suisse avec 120 millions de francs de subsides, via nos impôts et Serafe. Des montants élevés que l’on peut augmenter si c’est nécessaire et utile. Mais la question est bien de savoir si l’Etat doit se mêler de la politique d’investissement d’entreprises privées. Dans notre démocratie libérale, il n’a pas à intervenir dans le catalogue culturel des acteurs privés, que ce soit les plateformes, les salles de théâtre ou les festivals de musique.

Sidney Kamerzin, on est dans l’ingérence étatique avec cette loi sur le cinéma?

Pas du tout. Le constat est simple: on a des sociétés privées basées à l’étranger qui gagnent des centaines de millions de francs sur le marché suisse et ce, sans générer aucune recette ni emploi. Alors que l’abonné suisse paie un des abonnements les plus chers au monde. On a un vrai problème: il faut que l’argent gagné ici soit réinvesti dans le pays, au moins partiellement. 4%, c’est le compromis trouvé pour aider la production audiovisuelle nationale.

Il faut que l’argent gagné ici soit réinvesti dans le pays, au moins partiellement.

Sidney Kamerzin, conseiller national du Centre

Les services de streaming ont largement tiré profit de la pandémie. N’est-ce pas un juste retour des choses qu’ils passent à la caisse?

P.N.: Le principe général est que les multinationales paient leurs impôts là où elles ont leur siège. Il y a des discussions internationales pour les taxer différemment mais la Suisse s’y oppose car elle exporte plus qu’elle n’importe. Quand Téléverbier vend une semaine de ski à un touriste anglais, elle ne paie pas l’impôt en Angleterre. La lex Netflix est un mauvais prétexte pour pallier les carences d’une fiscalité que certains jugent bancale.

S.K.: C’est faux! Philippe Nantermod dévie le débat sur la fiscalité, or on parle ici d’obliger les plateformes de streaming de réinvestir une partie de leurs revenus colossaux dans la production locale. C’est une collaboration. C’est comme une amende, on ne l’inflige pas pour faire de l’argent mais pour induire un comportement souhaitable.

Quand TéléVerbier vend une semaine de ski à un touriste anglais, elle ne paie pas l’impôt en Angleterre.

Philippe Nantermod, conseiller national PLR

Reste que cette obligation d’investir ressemble furieusement à une taxe…

S.K.: La taxe est subsidiaire. La loi prévoit d’inciter les services de streaming à collaborer. Aujourd’hui, le Suisse qui veut vendre sa production doit aller soit à Berlin, soit à Paris. On veut créer les conditions-cadres pour l’accès au marché. Si la plateforme ne veut pas collaborer, alors à ce moment-là, effectivement, il y aura une taxe.

P.N.: Il s’agit bien d’une taxe, de remplacement. Si je suis le raisonnement de mon préopinant, la taxe militaire n’en serait pas une. On ne peut pas écrire «taxe» dans la loi comme c’est le cas et prétendre ensuite qu’elle n’existe pas.

Mais d’autres pays européens ont légiféré dans ce domaine, pourquoi pas la Suisse?

P.N.: Seuls 9% des Etats européens ont introduit une obligation d’investir. Les pays scandinaves et les pays de l’Est n’en ont pas. En Allemagne, c’est 0,5%. La Grande-Bretagne, qui produit probablement les meilleures séries actuellement, en est exempte. Alors on peut considérer que le modèle culturel idéal est celui de la France avec ses 26%. J’en doute. Si les productions sont de qualité, elles n’ont pas besoin de quotas pour trouver preneurs.

La France, où Netflix investit déjà plus que le minimum légal dans des productions locales prisées du public. Le marché fait déjà ce que l’Etat veut lui imposer…

S.K.: Mais c’est justement un effet vertueux de l’outil mis en place pour favoriser la production locale. On voit que le système fonctionne. La Suisse mérite ce rééquilibrage.

Ceux qui veulent éviter à tout prix les productions suisses pourront s’en détourner.

Sidney Kamerzin

Mais n’est-ce pas une entrave à la liberté du consommateur qui choisit de s’engager contractuellement avec une plateforme?

S.K.: Non, et cela pour deux raisons. Premièrement, aujourd’hui le consommateur n’a aucune emprise sur le contenu du catalogue Netflix pour ne citer que cet acteur. Deuxièmement, les consommateurs qui ne souhaitent visionner que des blockbusters américains pourront continuer à le faire. Et ceux qui veulent éviter à tout prix les productions suisses pourront s’en détourner. Je fais volontiers un parallèle avec le vin. Ce n’est pas une entrave à la consommation que de proposer plus de vins suisses sur la carte des restaurants car le consommateur peut toujours continuer à préférer les vins étrangers. C’est un encouragement à l’économie locale.

P.N.: Je ne pense pas qu’on doive dicter aux restaurateurs la carte de leur établissement. Et c’est le président d’une cave valaisanne historique qui le dit. Les gens achètent nos produits parce qu’ils sont bons, pas parce qu’ils sont obligatoires. De même, les politiques ne doivent pas imposer le catalogue des plateformes. Ce sont des organismes privés qui ne doivent rien aux politiciens mais tout à leurs clients. Il reste des domaines dans lesquels le privé n’a pas de comptes à rendre à la politique. Netflix ne reçoit de l’argent que de ses clients, auxquels il est redevable, sinon il les perd. Le consommateur n’a jamais été entendu dans la rédaction de cette loi, c’est regrettable.

Si les productions sont de qualité, elles n’ont pas besoin de quotas pour trouver des preneurs.

Philippe Nantermod

Mais d’après Cinéforom, la Fondation romande pour le cinéma, 1 franc investi dans le cinéma c’est 3 francs de retombées dans l’économie locale. C’est tout bénéfice?

P.N.: On ne dit pas le contraire mais c’est aux producteurs suisses de convaincre Netflix de financer leurs films, pas à la Suisse de dire à Netflix quels films méritent un financement.

Ce serait alors un problème de qualité de l’offre. La production suisse n’est pas à la hauteur?

S.K.: On est au cœur du débat. Si on peut encourager nos acteurs locaux dans les règles de l’économie et du libéralisme, doit-on le faire? La réponse est oui, autant pour les vins que pour les œuvres artistiques. C’est un coup de pouce légitime. Car il y a une disproportion totale des moyens entre les plateformes comme Netflix et les petits producteurs suisses qui tentent d’émerger. Ce coup de pouce ne coûtera absolument rien à ces géants qui génèrent des millions ni au consommateur d’ailleurs.
Peut-être même que le prix des abonnements en Suisse va baisser grâce à ce mécanisme et à une concurrence accrue. Comme consommateur, en Suisse, nous sommes aujourd’hui un peu les dindons de la farce car les sociétés de streaming disent ouvertement: les Suisses sont riches, ils peuvent payer!

P.N.: Le prix des abonnements est fixé en fonction du pouvoir d’achat; sous cet angle, nos abonnements ne sont pas plus chers qu’ailleurs. Ce n’est pas un compromis équilibré: avec ces 4%, on introduit la quatrième taxe la plus importante du continent. Des pays sans taxe sont beaucoup plus présents que nous sur les plateformes de streaming, sans doute parce que leur cinéma colle davantage aux attentes des clients.

Donc le consommateur suisse n’est pas si bien loti, lui qui paie son abonnement très cher?

P.N.: Le consommateur est libre de s’abonner ou non. Vu le nombre d’abonnés, il faut croire qu’il est satisfait du produit. En revanche, ce qui est vrai, c’est que les Suisses paient déjà la redevance radio-TV la plus chère au monde, et celle-là est obligatoire.

S.K.: C’est un autre débat…

P.N.: Cela fait tout de même partie du budget des ménages pour l’audiovisuel.

Sidney Kamerzin, vous parlez de coup de pouce mais si le cinéma suisse va si mal, ne vaut-il pas mieux le subventionner directement?

S.K: Ce serait alors le contribuable qui passerait à la caisse. Avec notre solution, on ne le touche pas et c’est là l’intérêt. Je saisis difficilement l’opposition à l’impulsion qu’on pourrait donner avec cette révision au marché suisse et valaisan. On a vu le succès de la série «Hors-saison» qui a généré 800 000 francs de retombées sur la commune de Champéry. On peut la désapprouver dogmatiquement mais dans la pratique, on a tout à gagner.

P.N.: Ce n’est pas le contribuable, mais le consommateur qui passera à la caisse. Si je veux des séries made in USA, avec ces 4%, j’en aurai moins pour mon argent. Je croyais que dépenser l’argent des autres, c’était le credo des socialistes. Si on veut faire des politiques publiques, on le fait avec nos moyens, pas avec l’abonnement des clients de Netflix. Avec cette révision, j’ai l’impression qu’on punit l’offre qui plaît pour soutenir celle qui peine à trouver son public.

S.K.: Rien à voir! Ça s’appelle l’exception culturelle.

P.N.: C’est Jack Lang, c’est le ministre de la culture de Mitterrand qui parle ainsi, ce n’est pas notre modèle suisse. Si notre pays est riche et innovant, c’est parce qu’on n’a jamais cédé à cette facilité. Et pour quel succès? En France, on invente le Minitel et on passe le même film à Noël depuis trente ans, alors se gargariser d’exception culturelle…

On peut la désapprouver dogmatiquement mais dans la pratique, on a tout à gagner.

Sidney Kamerzin

4%, ce sont 18 à 30 millions de francs générés. Comment être sûr que cet argent sera investi uniquement en Suisse?

S.K.: Ce sera du ressort de l’Office fédéral de la culture qui va vérifier la réaffectation des fonds. Il y aura un contrôle.

P.N.: On se réjouit d’avoir un fonctionnaire fédéral en chaussettes-Birkenstock décider des films qui plairont au public suisse…

Philippe Nantermod, la Suisse est un petit marché. Cette loi ne lui permettrait-elle pas de batailler à armes égales?

P.N.: 90% des pays n’ont pas cet outil et leurs productions sont bien plus présentes sur les plateformes. Ils font des produits qui répondent aux attentes des clients. Je veux bien qu’on mette en place tous ces outils mais je rejette en revanche cette arrogance de décider à la place du consommateur ce qui est bon ou mauvais pour lui. La Suisse n’a jamais été autant mise en valeur que par un James Bond, cela sans aucune obligation de ce genre. Comme la Nouvelle-Zélande qui s’est promue avec le «Seigneur des anneaux».

Je croyais que dépenser l’argent des autres, c’était le crédo des socialistes.

Philippe Nantermod

S.K.: Mais ce n’est pas tombé du ciel, des structures ont été mises en place pour tenter d’attirer des tournages. Ce sont des outils complémentaires et le Valais vient de mettre sur pied la Valais Wallis Film Commission pour accompagner les professionnels. Ces 4% seraient un outil complémentaire pour accéder au marché. On veut juste inciter les services de streaming à collaborer avec les structures suisses, et sans cette loi, ça ne se fera jamais. Des séries tournées en Valais ont déjà rencontré un certain succès et si avec ces 18 millions on peut faire aboutir même qu’une seule série de plus tournée en Valais, ce serait tout bénéfice.

P.N.: Encourager l’investissement, mille fois oui. Le rendre obligatoire, jamais. Cela ne garantit ni la qualité ni le succès. Et ce n’est pas avec 18 millions que l’on concurrencera Hollywood.

Lex Netflix: Philippe Nantermod et Sidney Kamerzin croisent le fer

Le PLR, opposé à la révision de la loi sur le cinéma, et l’élu du Centre, partisan, ont eu de vifs échanges. Echos d’un face-à-face animé organisé mardi sous la Coupole.