Femmes et hommes ne sont pas égaux devant la maladie. Les premières sont par exemple nettement plus touchées par la maladie d’Alzheimer. C’est pour lutter contre les stéréotypes de genre et encourager des prises en charge spécifiques qu’Antonella Santuccione Chadha a cofondé l’organisation Women’s Brain Project (Projet cerveau féminin), qu’elle dirige. Selon elle, des progrès sont en cours.

C’est ce qu’elle a expliqué en marge du dernier Forum sur l’innovation de la Haute Ecole spécialisée de la Suisse italienne.

Comment est né le Women’s Brain Project, le WBP?

Antonella Santuccione Chadha: Il a été fondé en 2016 par quatre scientifiques, dont trois femmes. Aujourd’hui, une soixantaine d’experts spécialisés dans diverses disciplines – médecine, neurosciences, psychologie, pharmacie, entre autres – gravitent autour de l’organisation. Nous nous occupons de mettre en évidence, de façon scientifique, les différences entre les sexes et les genres en médecine, et leurs implications, en particulier pour ce qui est des maladies mentales et cérébrales.

Les femmes sont plus nombreuses à être touchées notamment par la dépression, la migraine, la sclérose en plaques et Alzheimer.

Quels sont vos domaines d’étude?

Les femmes sont plus nombreuses à être touchées notamment par la dépression, la migraine, la sclérose en plaques et Alzheimer. Outre la prévalence, les symptômes, les diagnostics, l’évolution de la maladie et les réponses aux traitements varient également selon le sexe des patients.

Luttez-vous contre les préjugés liés au genre et au sexe?

Oui, dans le cadre de la recherche, du traitement et de la prévention des maladies cérébrales et mentales. Nous faisons de l’éducation et de la sensibilisation en collaborant avec les autorités politiques, les compagnies pharmaceutiques, les autorités de surveillance et les universités pour que soit prise en compte la variable du genre. Si toute la population n’est pas représentée lorsqu’on étudie une maladie, les résultats seront forcément biaisés, et les remèdes aussi.

Nous ne nous appuyons que sur des chiffres: l’évidence est irréfutable.

Comment se concrétise votre action?

Notre mouvement connaît un immense succès. Le WBP est pionnier dans la mesure où il a contribué à générer un dialogue mondial sur le sujet. Au début, il était difficile de se faire entendre. Mais nous ne nous appuyons que sur des chiffres: l’évidence est irréfutable. Depuis 2015, les études européennes en neurosciences qui prennent en compte le genre, ainsi que les fonds qui leur sont attribués, ont explosé.

Souvent, les données ne font pas la distinction entre hommes et femmes. C’est problématique?

Il serait très utile qu’elles le soient, notamment pour savoir si un certain effet secondaire concerne davantage l’un ou l’autre sexe. Dans le développement préclinique déjà, on ne considère pas suffisamment ces différences. Lors des phases 1 et 2 de tests de nouveaux traitements, on retrouve le même problème, car il y a nettement plus de volontaires masculins que féminins. En phase 3, les femmes sont plus présentes, mais on est loin de savoir comment le sexe impacte une maladie, de sorte que l’on aboutit à des traitements approximatifs, superficiels. Pour trouver des remèdes spécifiques, ciblés, et pour éviter des effets collatéraux indésirables, les différences entre femmes et hommes doivent absolument être analysées.

Le corps des femmes était ignoré dans le sens qu’il a été assimilé à celui des hommes: elles étaient considérées comme de petits hommes!

Pourquoi ces différences ont-elles été systématiquement occultées?

Pour des raisons historiques et par ignorance, parce que les symptômes des femmes étaient attribués à l’hystérie! Le corps des femmes était ignoré dans le sens qu’il a été assimilé à celui des hommes: elles étaient considérées comme de petits hommes! Or, les sexes ne diffèrent pas seulement en raison du système reproductif: les femmes ont un cycle hormonal, une configuration anatomique, un microbiome (communauté de différents micro-organismes, ndlr) propres. Mais la science évolue et s’améliore. Un grave problème a été identifié, mais nous sommes en train de rectifier le tir.

Ces différences s’expliquent-elles par des raisons biologiques ou socioculturelles?

Les deux. L’ADN, le microbiome et les hormones jouent un rôle, tout comme le contexte social à l’arrière-plan. Par exemple, les femmes représentent 70% des proches aidants dans le monde. On sait que ces soignantes et soignants informels sont plus susceptibles d’être isolés socialement et plus exposés au risque de démence sénile ou d’Alzheimer. Par ailleurs, plus le niveau d’éducation est élevé, moins la prédisposition à souffrir de pathologies cérébrales est élevée. Or les femmes demeurent, globalement, moins éduquées que les hommes.

Vous prônez la médecine de précision. Pourquoi?

Pour accélérer les diagnostics. En neurologie, les durées sont beaucoup plus longues qu’en oncologie. Diagnostiquer Alzheimer, Parkinson ou la sclérose en plaques peut prendre des années. Le diagnostic précoce est donc fondamental pour protéger le cerveau, pour permettre à la personne de changer son mode de vie – en faisant plus d’exercice, en contrôlant davantage l’hypertension, en surveillant le diabète, en s’insérant dans un réseau social, etc. Tout cela peut retarder l’évolution de la maladie. Lorsque celle-ci est déjà avancée, en revanche, il est impossible de revenir en arrière: quand un neurone est mort, il est mort.

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