On vous le donne en mille. Le rendez-vous avec Robert Bolognesi est fixé dans la neige. En montagne. Loin de son bureau sédunois. Loin de sa maison à Grimisuat. Nous sommes sur les hauts de Crans-Montana.

Dans la neige, Robert Bolognesi joue à domicile. La métaphore sportive ne lui sied pas. L’homme n’a rien d’un compétiteur. La montagne, il la vit en scientifique. Un scientifique contemplatif. S’il admire les concurrents des courses de haute montagne, dont il prend soin de sécuriser les parcours, il préfère la solitude. Lui, il aime faire sa trace. «Et pour cela en compétition, il faudrait être loin devant tous les autres, ce qui n’est vraiment pas mon cas.»

Soif d’apprendre

Mais gardons la formule «jouer à domicile» pour le verbe. Quand il a les pieds, pardon, les genoux, les mains et le cœur dans la neige, Robert Bolognesi est un gamin qui s’extasie de tout. S’intéresse à tout. Une âme d’enfant dans un corps et une tête d’expert assoiffés de s’instruire davantage. «Il accepte toujours de sortir de sa zone de confort pour apprendre, apprendre et encore apprendre», résume la freerideuse Géraldine Fasnacht.

Nivologue, météorologue, créateur d’un logiciel de prévision avalanches, pisteur-secouriste, éditeur d’une collection de livres sur la neige, guide pour skieurs aveugles, Robert Bolognesi est autant qualifié qu’il est inqualifiable. Bref. Rencontre avec Monsieur Neige.

Il accepte toujours de sortir de sa zone de confort pour apprendre, apprendre et encore apprendre.

Géraldine Fasnacht, freerideuse

Une évidence dès l’enfance

Il devait avoir six ou sept ans. «Ma grand-maman m’avait prêté son appareil photo, je m’étais levé aux aurores pour prendre des clichés de la neige et c’était tellement beau que j’ai su.» Su que la neige serait sa vie. Sa passion oui, mais surtout son métier.

Robert Bolognesi à l'âge de 2 ans. © DR

«Et tu aurais combien d’employeurs potentiels, dans le domaine?» lui demande son pragmatique de père. «Papa, ce n’est pas une question du nombre d’employeurs, mais de besoin.» Besoin d’en savoir plus sur cet or blanc. Sur les avalanches. Besoin de comprendre le phénomène pour éviter des drames. Comme celui survenu le 10 février 1970 à Val d’Isère. «C’était le jour de mon dixième anniversaire. Je me souviens de ma tristesse. J’ouvrais des cadeaux et eux étaient morts sous la neige.» Eux, c’étaient 39 personnes, principalement des enfants et des ados en camps de vacances.

Un homme de terrain

C’est décidé. Robert Bolognesi intègre l’Institut de géographie alpine de Grenoble, où il a grandi. Il y étudie la glaciologie, l’hydrologie, la météorologie, la nivologie, les mathématiques, les statistiques. Un premier doctorat en géographie précède d’un second en sciences, délivré par le laboratoire d’intelligence artificielle de l’EPFL.

Mais ça, c’est pour les papiers. Robert Bolognesi est avant tout un homme de terrain. Des montagnes françaises, il débarque en Suisse au début des années nonante. D’abord à Davos, où il travaille auprès de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches SLF. En Valais ensuite, où il conduit le projet de l’antenne SLF-Valais et coordonne le laboratoire d’observation des grandes avalanches à la vallée de la Sionne.

Ce Valais devenu sien, il ne le quittera plus. «Le bon sens et la mentalité valaisanne m’ont immédiatement plu. Les gens sont attachés à leur pays. A leur montagne. Ils n’y vont pas pour s’y montrer mais juste pour y être. Et puis ici, pas de chichis, pas d’amas de papier, les Valaisans sont dans l’action. Au lieu de dire qu’ils font, eux, ils font.»

En Valais, les gens sont attachés à leur pays. A leur montagne. Ils n’y vont pas pour s’y montrer mais juste pour y être.

Robert Bolognesi, nivologue

A son compte dès 1999

Son expérience, ses compétences et ses logiciels novateurs de prévisions des risques lui bâtissent une réputation sans pareille parmi ses pairs. En 1999, la multitude de propositions de mandat qu’il doit refuser et une nouvelle gouvernance au SLF l’encouragent à monter son propre bureau, meteorisk.

Depuis, notre Monsieur Neige est appelé pour tout ce qui touche à l’or blanc. Bulletin avalanches pour les communes, conception de domaine skiable, sécurisation de piste de ski comme lors des Jeux olympiques de Sotchi, sensibilisation des écoliers aux risques d’avalanches, développement d’une application pour aider à l’estimation du risque local de coulées de neige, lancement d’un magazine ou création de sentiers didactiques rythment l’agenda surchargé d’un homme pourtant toujours disponible.

Les analyses sur le terrain, le quotidien de Robert Bolognesi. © DR

Disponible pour les secours d’abord. «Son aide est précieuse», confirme Pascal Gaspoz, responsable de la Maison FXB du sauvetage. «Lors des interventions, son expertise permet de limiter notre responsabilité autant que notre stress.»

Pour les athlètes aussi. «C’est un vrai homme de terrain, il arrive à se mettre à notre place et ses analyses sont toujours précises», explique Géraldine Fasnacht. «C’est lui qui réussira à donner le créneau exact à la réalisation des projets les plus fous. Ma confiance en lui est totale.»

Disponible pour les journalistes enfin, dès les premiers flocons qui pointent à l’horizon.

L’heure de partager

Après plus de quarante ans de métier, Robert Bolognesi veut désormais transmettre. «Comme les anciens ont partagé leur savoir avec moi, je veux communiquer tout ce que j’ai accumulé.»

En 2017, il lançait Florineige, une collection de livre destinée autant aux professionnels qu’au grand public. «Bien qu’il soit ultraperfectionniste, Robert sait démystifier ses connaissances tout en étant ultrapédagogue», souligne Clément Crettaz, son ami et ancien responsable sécurité des domaines d’Anzère ou de Crans-Montana. «Et comme il faut aussi en dire du mal, je dirais que le seul défaut de Robert est de ne pas savoir se vendre à la hauteur de ses compétences.»

25 heures de travail en un jour

Une humilité qui ne quitte jamais notre expert de l’or blanc. Celui qui se considère comme un ultradébutant en photographie, aquarelle ou dessin aura toutefois été exposé à de multiples reprises.

Ah oui, on a oublié de vous le dire: Robert Bolognesi peint, dessine et fait des photos. Il faut dire que ses journées ne sont pas tout à fait comme les nôtres. L’homme ne s’arrête pratiquement jamais. «Une année, il a même pointé 25 heures de travail en un jour», se marre Clément Crettaz.

Une anomalie rendue possible par le retour d’un voyage des Etats-Unis. Une anomalie qui en dit long sur notre personnage. «C’est surtout que je n’ai jamais eu l’impression de travailler», se défend l’intéressé. «Et ce qui m’embête, c’est que la neige continue de m’intéresser comme au premier jour.» On vous le donne en mille, ça risque de durer jusqu’au dernier.

Le danger d’avalanche devient fort en Valais

Avec les nouvelles chutes de neige et le vent, le degré de danger d’avalanche passe au niveau 4 sur une grande partie du Valais, une situation qui ne se voit que quelques jours par hiver.