«Actuellement, on fait toutes et tous de la sculpture sur nuages…» Administratrice du théâtre du Martolet – noble institution du canton forte de ses 900 fauteuils –, Alexia Coutaz a le sens de la formule. Celle-ci résume bien l’atmosphère qui règne dans les lieux culturels depuis l’ouverture de cette saison d’automne. Quand les portes ont rouvert, les espoirs étaient grands de retrouver chez les gens l’envie, l’allant, l’enthousiasme de retrouver le chemin du spectacle vivant. Mais à l’épreuve du contexte et de la complexité du réel, les espoirs ont été un peu réfrénés.

Car tous les théâtres et toutes les salles de concert contactées font l’amer constat d’une baisse de fréquentation très concrète. Selon les lieux, celle-ci oscille entre 30 et 50%, mais surtout, le faisceau des causalités est difficile à circonscrire et les facteurs expliquant cette baisse s’avèrent multiples, variant d’une salle à l’autre, selon sa jauge, sa ligne de programmation, son public…

Un déséquilibre entre l’offre et le bassin de public

Quels enseignements tirer dès lors de cette rentrée? Le premier semble être celui d’une offre culturelle autant voire plus importante qu’en 2019, pour un public susceptible de l’absorber ayant fortement diminué. «C’est assez organique… Plus d'un tiers des gens ne sont pas vaccinés et n’ont pas le certificat. D’un autre côté, les reports de spectacles et les nouvelles créations ont amené un début de saison pléthorique», analyse Julien Jacquérioz, directeur du TLH-Sierre, qui estime à 30% la baisse de fréquentation de son théâtre.

Nous restons dans une situation extraordinaire. La pandémie n’est pas derrière nous.

Stefan Hort, directeur du Spot de Sion

C’est certain, le contexte sanitaire pèse sur les théâtres. Au Spot de Sion – fusion des deux théâtres municipaux – on préfère ne pas articuler de chiffre. «Nous avons inauguré une nouvelle ligne artistique, sous une direction unique. On voit de nouveaux visages, d’anciens abonnés vont ailleurs trouver l’offre plus classique qui leur manque… On veille à ne pas tirer de conclusions trop hâtives», souligne le directeur Stefan Hort. «Cela dit, nous restons dans une situation extraordinaire, où on doit contrôler la validité des certificats à l’entrée… Ces contraintes se font sentir. Quand elles seront levées, on pourra vraiment comparer les résultats. Mais il faudrait déjà qu’on puisse établir un plan de reprise. Ça prendra encore du temps.»

De nouvelles habitudes de consommation

Directeur du théâtre du Crochetan à Monthey, Lorenzo Malaguerra note de nouvelles habitudes de consommation qui se manifestent dans le public. «Les gens ont tendance à réserver plus au dernier moment et prennent plutôt des billets uniques que des abonnements. Je remarque aussi que les têtes d’affiche continuent d’attirer du monde. Mais pour les spectacles qui drainaient moins de public avant la crise, la situation est encore plus difficile.»

Les gens ont tendance à réserver plus au dernier moment et prennent plutôt des billets uniques que des abonnements.

Lorenzo Malaguerra, directeur du théâtre du Crochetan à Monthey

Ces observations, les autres théâtres les font aussi. Au Martolet, grand théâtre d’accueil qui programme beaucoup d’artistes internationaux, les reports se sont succédé, notamment pour la programmation hors saison. «Ce sont des dates groupées, et si les ventes de billets ne sont pas suffisantes, toute la tournée est reportée. Cette instabilité inquiète le public, plus encore que le certificat», explique Alexia Coutaz. Avec une perte de billetterie estimée à 35%, le théâtre fait le dos rond et attend que la crise passe. «On sait que cette période est transitoire. En attendant, on remercie les gens qui viennent et ceux qui acceptent de payer leur test en plus du billet…»

On sait que cette période est transitoire. En attendant, on remercie les gens qui viennent et ceux qui acceptent de payer leur test en plus du billet.

Alexia Coutaz, administratrice du théâtre du Martolet à Saint-Maurice

Un public moins nombreux et plus sélectif – ou moins aventureux –, donc. Car, effectivement, la question des tests, en termes de coût et d’organisation, est un paramètre qui peut grever l’envie du public de se rendre dans les salles. «Payer un test 50 francs, plus le billet, plus quelques bières, ça fait cher la soirée. T’es d’accord de le faire pour les Foo Fighters dans un stade, mais pas forcément quand le test coûte trois fois le prix de ton billet en club», image Cyril Huguet, programmateur du Pont Rouge à Monthey.

La peur de la contagion?

La question du risque sanitaire est également relevée. Même vaccinée, une partie du public semble avoir du mal à retrouver le chemin des théâtres. «C’est une nouvelle tendance inquiétante», souffle Pierre Devanthéry, administrateur du théâtre Le Baladin à Savièse. «Plus de 20% de clients qui ont acheté des places ne se présentent pas le soir du spectacle.» Même son de cloche au Martolet. «Pour Patrick Fiori, programmé par la fondation, ou Inès Reg, à l’affiche du programme hors saison, nous avions des salles pleines en prélocation. Et entre 150 et 200 personnes ne sont pas venues. C’est très surprenant.»

Plus de 20% des clients qui ont acheté leurs places ne se présentent pas le soir du spectacle.

Pierre Devanthéry, administrateur du théâtre Le Baladin à Savièse

Même musique dans les salles de concert

Dans les salles de concert, le public est sensiblement plus jeune, mais les constatations sont à peu près les mêmes. «Entre les reports incessants, les normes qui changeaient constamment, une atmosphère générale très tendue vis-à-vis des contraintes sanitaires, on sent beaucoup de fatigue dans le milieu des musiques actuelles», soupire Stéphane Torrent, administrateur du Port Franc à Sion.

On sent beaucoup de fatigue dans le milieu des musiques actuelles.

Stéphane Torrent, administrateur du Port Franc à Sion

«Il semble que les gens ont pris l’habitude de rester chez eux durant ces deux dernières années, devant Netflix, ou alors se réunissent en extérieur pour faire la fête en petits comités. Il faut que nous allions rechercher ce public», explique-t-il, tout en précisant qu’avant la fin de la gratuité des tests, le club avait perdu 30% de sa fréquentation, et 50% depuis qu’ils sont payants.

L’épuisement guette

Les chiffres articulés sont les mêmes aux Caves du Manoir, où le président de l’association Subnascor Mathieu Roduit relève deux problèmes majeurs. «Le manque à gagner est terrible. Nous avions programmé ce début de saison en imaginant une saison qui se serait tenue dans des conditions normales. En outre, nous avons énormément de mal à trouver assez de bénévoles pour les différentes raisons évoquées. Ce sont les membres du comité qui comblent les trous et à raison de dix ou quinze soirées par mois, tout le monde est épuisé.»

Nous avons énormément de mal à trouver assez de bénévoles. Les membres du comité comblent les trous et à raison de dix ou quinze soirées par mois, tout le monde est épuisé.

Mathieu Roduit, président de l’association Subnascor

L’espoir pour la suite

Le tableau semble donc morose pour les lieux culturels. Mais tous les interlocuteurs relèvent la satisfaction, dans ce climat difficile, de voir la joie sur les visages de celles et ceux qui viennent au spectacle. «Cela justifie largement le fait que l’on reste ouverts», appuie Stefan Hort. Reste aujourd’hui à savoir jusqu’à quand les aides cantonales et fédérales seront encore versées et ce qu’il ressortira des urnes le 28 novembre prochain.

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