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«L'agriculture conventionnelle n'existe plus»

A la suite de l’interview de Lucien Willemin, ancien économiste qui défend le bio européen face au non-bio local, les agriculteurs valaisans se sont fortement mobilisés. Pierre-Yves Felley, directeur de la Chambre valaisanne d’agriculture, répond à son tour aux questions du «Nouvelliste».

17 oct. 2018, 18:01
/ Màj. le 17 oct. 2018 à 20:30
Pierre-Yves Felley, directeur de la Chambre valaisanne d’agriculture, défend les agriculteurs locaux, qu’ils fassent de la production intégrée ou de l’agriculture biologique.

Dans l’édition du «Nouvelliste» du 10 octobre, vous avez été outré par l’interview de Lucien Willemin, qui milite contre l’emploi de produits chimiques de synthèse dans l’agriculture. Pourquoi?

Toute production agricole sur le globe, à part les potagers familiaux, présuppose la lutte contre les ravageurs, maladies et insectes. Quel que soit le mode de production, on ne peut pas laisser une culture à l’abandon et imaginer y récolter des végétaux comestibles de bonne qualité et en quantité suffisante. Bio ou pas bio, l’agriculture utilise forcément des produits phytosanitaires qui sont produits industriellement. Ses propos laissaient entendre que l’agriculture biologique n’était pas traitée et que les autres polluaient la planète. Ce qui est faux. Pour moi, il vaut mieux manger du non-bio local que du bio étranger.

 

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C’est vrai qu’il y a plus de risques d’accumulation de produits de synthèse dans le sol que de produits autorisés en culture biologique.

 

 

 

Faites-vous une distinction entre les produits de synthèse, qui s’accumulent dans le sol, et les produits naturels, que le sol arrive à décomposer?

Certaines molécules présentes dans des produits phytosanitaires peuvent s’accumuler dans le sol et avoir des effets nocifs. On le sait. C’est vrai qu’il y a plus de risques d’accumulation de produits de synthèse dans le sol que de produits autorisés en culture biologique. Mais tout n’est pas aussi simple. Certains produits naturels ne peuvent pas être décomposés par la nature. Le cuivre est un exemple très préoccupant, et il y en a d’autres.

Il est donc plus sain de produire bio que non bio?

Oui, il y a moins de risque à cultiver en production biologique. Mais il est important de préciser que la Confédération développe actuellement un plan à dix ans de réduction des risques liés aux produits phytosanitaires en agriculture et que les agriculteurs ont déjà fortement diminué l’utilisation de produits de synthèse dans leurs cultures.

Pourquoi alors défendre l’agriculture conventionnelle?

L’agriculture conventionnelle n’existe plus en Suisse. Elle voulait maximaliser les productions par tous les moyens. Cultiver comme on le faisait ne pouvait mener qu’à la catastrophe. La profession s’est remise en question. Depuis vingt-cinq ans, on pratique en Suisse la production intégrée ou raisonnée  qui ne cherche plus la maximalisation, mais l’optimisation. Le producteur réfléchit ses interventions en considérant la culture dans sa globalité. On est à des années-lumière de ce que la génération précédente faisait et il faut reconnaître ça aux agriculteurs.

Alors, que vise-t-on avec la production intégrée actuelle?

L’agriculture intégrée vise un optimum environnemental, économique et social  faire le mieux possible avec le moins possible –, gage de durabilité, car la génération suivante doit pouvoir continuer à produire de la même manière.

Donc on tend vers le bio?

Oui, on peut le dire. Mais ici, le constat est purement économique. Passer en agriculture biologique augmente les coûts de production et demande plus de main-d’œuvre pour moins de rendement.

 

Peut-être faut-il revenir à un mode de consommation plus basique et se dire que l’abricot n’a pas besoin d’être parfait.

 

 

 

Pour vous, qu’est-ce qu’un abricot parfait?

Il n’y a pas d’abricot parfait. Ça dépend du profil de la personne à qui l’on s’adresse. Un chercheur, un agriculteur et un consommateur n’auront pas le même avis. Tous les produits alimentaires sont une synthèse d’intérêts différents. Un bon abricot est un abricot mûr, mais un abricot mûr ennuie la grande distribution, car il doit être manipulé avec plus de précaution. Pour un abricot moins mûr, les pertes en magasin sont limitées. Il y a parfois des conflits d’intérêts.

Mais au final, l’objectif de l’abricot est de nous nourrir, non?

Oui, sans oublier le plaisir de le manger.

Par quoi ce plaisir est-il créé?

C’est l’expression de plusieurs sens qui sont mis en émoi. On commence à manger par les yeux, il y a ensuite l’odeur, le goût, la texture. Le plaisir est indissociable de l’alimentation.

Si vous voulez un abricot qui soit extérieurement parfait, il n’y a pas d’autre solution que de protéger les cultures. Dans un grand magasin, les gens vont systématiquement mettre de côté les fruits qui n’ont pas une apparence parfaite. La grande distribution a des règles strictes, tout est normé de telle sorte qu’on puisse procéder partout de la même manière avec des fruits et légumes qui ont tous la même forme.

Mais il y a une clientèle qui prend du plaisir à manger des produits sains, non?

Tous nos produits alimentaires sont sains. Il y a une clientèle pour qui l’apparence est moins importante que la façon dont les fruits et légumes ont été cultivés. Peut-être que d’ici quinze ans, tout le monde raisonnera de cette manière, mais on n’est pas encore arrivé à ce stade. La majorité des gens veulent encore, à l’heure actuelle, des produits qui ont un bel aspect.

Pourquoi ne désire-t-on plus que des aliments parfaits?

Maintenant, les consommateurs ont le choix. Avant, on mangeait ce qu’on produisait. Depuis les trente glorieuses, on vit une époque totalement différente des siècles d’avant. On vit dans une société d’opulence. Honnêtement, je ne sais pas pendant combien de temps l’être humain va encore pouvoir se permettre de vivre comme nous vivons. Pour nous, il est normal de se trouver dans un magasin qui ressemble à la caverne d’Ali Baba. On y trouve de tout, n’importe quand et d’une qualité irréprochable. Je ne suis pas sûr que l’on fasse juste. Peut-être faut-il revenir à un mode de consommation plus basique et se dire que l’abricot n’a pas besoin d’être parfait.

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