Fin février paraissait le sixième rapport du GIEC (voir encadré) dans sa version pour les décideurs. Dans la foulée, le Conseil national débattait de l’initiative pour les glaciers qui veut interdire les carburants fossiles à partir de 2050. En cette fin de mars 2022 où le mercure dépasse les 20°C, le débat climatique est brûlant.

A Sion, comme à Berne, gauche et droite s’écharpent sur les moyens à engager pour réduire l’augmentation des températures et ses effets potentiellement catastrophiques. Pour les premiers, des mesures radicales sont nécessaires. Les deuxièmes ne jurent que par des incitations.

«Le Nouvelliste» a invité deux conseillers nationaux pour débattre sur le fond. Le vert Christophe Clivaz et le centriste (ex-PDC) Sidney Kamerzin ne s’entendent pas. Ils s’écoutent, certes, se coupent la parole très souvent, mais ne parlent pas le même langage. Si le vert a pour lui des rapports scientifiques chaque année plus alarmistes, le centriste fait une lecture politique et martèle que le problème est global et échappe à l’influence de notre petit pays.

Dans tous les scénarios du GIEC, la barre du 1,5°C sera franchie, avant 2040. Ça vous inquiète?

Sidney Kamerzin: C’est préoccupant à l’échelle mondiale. Il faut donc chercher des solutions globales à cette problématique et non pas taxer les ménages et les entreprises en Suisse.

Christophe Clivaz: Le rapport s’intéresse à la planète, mais le Valais est concerné. Nous vivons ces événements extrêmes: les laves torrentielles, le permafrost qui fond, les glaciers qui disparaissent. Et si nous continuons comme ça, ce sera très compliqué de vivre dans certaines régions du canton à la fin du siècle car nous n’aurons plus les moyens de sécuriser les infrastructures, les routes d’accès, les villages. C’est très inquiétant.

Sidney Kamerzin: Sur le constat, je suis d’accord. Mais à une situation globalisée, il faut une solution à grande échelle. En Suisse, nous devons participer à l’effort en produisant propre et en diminuant nos émissions de gaz à effet de serre, notamment dans l’industrie, les bâtiments et la mobilité. Ce travail est déjà en construction à tous les niveaux, sauf la mobilité qui est vraiment le point faible aujourd’hui.

Christophe Clivaz: Aucun de nos objectifs ne sera rempli. D’après le GIEC, en continuant comme aujourd’hui, nous arriverons à +5°C à la fin du siècle.

En parlant d’urgence et de catastrophe, la gauche n’exagère-t-elle pas?

Sidney Kamerzin: Si, il y a un marketing électoral des verts et des vert’libéraux sur ce thème, une exploitation et une catastrophisation de la situation afin de servir des intérêts partisans. C’est de bonne guerre et ça leur a permis d’obtenir des résultats électoraux.

Une partie de la population et des élus ne mesurent pas ce que sera la vie si nous continuons sur les mêmes tendances.

Christophe Clivaz, conseiller national vert

Christophe Clivaz: Nous ne dictons pas l’agenda du GIEC. Les chercheurs tirent la sonnette d’alarme depuis longtemps. Une partie de la population et des élus ne mesurent pas ce que sera la vie en Valais et ailleurs si nous continuons sur les mêmes tendances pendant les cinquante prochaines années.

Le GIEC appelle à prendre des mesures fortes, ce que nous ne faisons pas ou pas assez?

Sidney Kamerzin: C’est faux. Nous en prenons. Premièrement, nous devons produire une énergie propre, et ce, tout de suite. Mais les oppositions systématiques des associations environnementales nous ont retardés de vingt à trente ans. Le rehaussement du barrage du Grimsel n’a toujours pas commencé, après avoir traîné des décennies devant les tribunaux. Simonetta Sommaruga a, en concertation avec plusieurs milieux, dont des écologistes, choisi quinze projets d’importance afin d’augmenter la production d’énergie renouvelable, notamment en hiver. Voilà des mesures concrètes et immédiates plutôt que d’importer du nucléaire français ou du charbon allemand, mais des oppositions sont malheureusement déjà annoncées.

Christophe Clivaz: Pourquoi construire un nouveau barrage qui produira 0,6 TWh ou investir près d’un milliard dans des centrales à gaz de réserve alors que la première chose à faire est de diminuer la consommation d’énergie? En Suisse, les chauffages électriques utilisent près de 3 TWh par année. Si nous les remplaçons par des pompes à chaleur grâce à un soutien financier, nous aurons économisé davantage que ce que les centrales à gaz ou le barrage du Gorner produiront.

Sidney Kamerzin: Pour sortir du fossile, nous allons avoir besoin de plus d’électricité. Si nous la produisons en Valais, c’est une chance pour toute la Suisse, mais, en plaçant la biodiversité ou le paysage avant la production d’énergie propre, les écologistes entravent la transition énergétique. C’est le plus grand paradoxe de la gauche sur ce dossier.

Christophe Clivaz: Ces grands projets doivent être analysés au cas par cas. Je suis d’accord de laisser une marge de manœuvre sur la question paysagère qui est subjective. Mais la biodiversité et le climat sont intimement liés. Le rapport du GIEC le montre clairement, nous n’avons aucune chance de nous en sortir si, pour développer des énergies propres, nous détruisons la biodiversité. Les zones humides, par exemple, captent énormément de CO2 et nous en avons déjà détruit 90%.

Le débat sur le nucléaire est rouvert par le PLR et l’UDC. Ne faut-il pas construire de nouvelles centrales?

Sidney Kamerzin: C’est un réflexe électoraliste. Le peuple a voté la sortie du nucléaire et il faut se tenir à ce choix. Nous devons cependant faire durer le plus longtemps possible les centrales en activité. Nous pourrons revenir sur cette décision dans vingt ans si des systèmes sécurisés produisant moins de déchets existent.

Christophe Clivaz: Le timing n’est pas bon, puisqu’il faut vingt ans pour construire une centrale nucléaire et c’est la plus chère de toutes les énergies. De plus, cinquante-trois ans après la mise en service de la première centrale, nous ne savons toujours pas quoi faire des déchets.

Que ce soit pour la rénovation des bâtiments, les chauffages ou la mobilité, la droite veut des incitations tandis que la gauche veut interdire ou taxer ce qui émet trop de CO2. Qui a raison?

Sidney Kamerzin: Le résultat de la loi sur le CO2 montre que le peuple ne veut pas de taxe ou de contraintes par des taxes. Nous devons encourager les propriétaires à faire les modifications. Aller plus loin que ça, c’est se heurter au refus populaire. Et à juste titre.

Le résultat de la loi sur le CO2 montre que le peuple ne veut pas de taxe ou de contraintes par des taxes.

Sidney Kamerzin, conseiller national Le Centre

Christophe Clivaz: Les incitations seules ne suffisent pas. La force des habitudes pèse dans les choix. Il y a encore trop de propriétaires qui remettent une chaudière à mazout. C’est moins cher à l’achat, même si c’est plus onéreux à la longue. Il faut donc un panel d’actions car les interdictions seules ne fonctionnent pas non plus. Si on impose la fin du mazout, alors l’Etat doit contribuer financièrement au remplacement des installations.

Sidney Kamerzin: La population doit faire ses propres choix. Et l’Etat, dans la mesure de ses finances, doit réellement aider avec des subventions à hauteur de 50% pour des pompes à chaleur, des panneaux solaires ou l’isolation des bâtiments. Nous y arriverons tous ensemble.

La question climatique divise-t-elle population des villes et des campagnes?

Sidney Kamerzin: Concernant les énergies fossiles, une politique générale de taxes ou d’interdictions impactera plus les habitants des montagnes que ceux des villes car la voiture est le moyen de locomotion le plus adapté. Si c’est la voie que nous choisissons, il faut agir dans les villes. 70% de la population de Suisse romande réside à Genève ou à Lausanne, ces centres émettent la grande majorité du CO2. Or, ils viennent de là les grands écologistes qui donnent des leçons aux régions périphériques. Qu’ils prennent donc des mesures draconiennes et rapides, comme des parkings à l’extérieur et des transports publics efficaces, afin de réduire la circulation.

Christophe Clivaz: Mais ils le font déjà. C’est dans les centres urbains qu’il y a le moins de véhicules par habitant et les réseaux de transports les plus développés. Cette volonté d’opposer villes et campagnes est purement électorale. L’initiative pour les glaciers ou la loi sur le CO2 prévoyaient un soutien particulier pour les régions périphériques et c’est la voie à suivre.

Au début de la pandémie, nous avons accepté des restrictions car le danger était grand. Ne l’est-il pas bien plus avec le réchauffement climatique?

Sidney Kamerzin: C’est un problème mondial qui demande des solutions globales. Même si demain la Suisse interdit les chauffages à mazout, ça n’aura pas de conséquence sur la planète. 50% des émissions de gaz à effet de serre viennent de trois pays, la Chine, les Etats-Unis et l’Inde. Et ils continuent à augmenter leurs émissions. Nous devons contribuer à notre échelle et la Suisse est déjà exemplaire.

C’est un problème mondial qui demande des solutions globales.

Sidney Kamerzin, conseiller national Le Centre

Christophe Clivaz: C’est faux. Nous avons par habitant l’un des plus hauts bilans carbone du monde. Par personne et par an, nous émettons six tonnes de CO2 chez nous et huit tonnes à travers ce que nous importons. La Chine fabrique nos biens de consommation. Evidemment ces émissions sont faites là-bas, mais c’est pour assurer notre mode de vie à nous.

Sidney Kamerzin: Ces chiffres sont très controversés.

Par personne et par an, nous émettons six tonnes de CO2 chez nous et huit tonnes à travers ce que nous importons.

Christophe Clivaz, conseiller national vert

Christophe Clivaz: Ils viennent de la statistique fédérale. Mais pourquoi la droite se braque dès qu’on dit le mot «interdiction»? Il en existe déjà dans tous les domaines. Personne ne peut construire une maison sans respecter certaines règles.

Mais même en réduisant à zéro les émissions de la Suisse, l’impact serait faible sur la planète?

Christophe Clivaz: Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera. Les pays occidentaux ont une dette historique envers les autres. Ils ont commencé tôt à émettre des gaz à effet de serre, sans savoir, au début, que c’était nocif, et ils y ont gagné leur prospérité. Je le répète, par habitant, les émissions de la Chine et de l’Inde sont très en dessous des nôtres.

Sidney Kamerzin: C’est un argument qui n’est pas audible. Comment dire à la Suisse qu’elle doit se faire toute petite et laisser les autres continuer à polluer parce que nous avons une dette. Nous devons plutôt collaborer avec ces pays afin qu’ils évitent certaines erreurs du passé.

Christophe Clivaz: Le climat, c’est de la physique. Ne pas prendre l’avion, faire des trajets sans son véhicule individuel, manger moins de viande. Chacun de ces gestes a un effet en diminuant l’émission de CO2.

Diminuer la consommation en général, donc.

Christophe Clivaz: La surconsommation, surtout. Il y a beaucoup d’enjeux autour de la publicité car elle donne envie d’acheter des choses dont nous n’avons pas nécessairement besoin. Je ne parle pas forcément d’interdire, mais on pourrait mentionner si un achat est nocif pour le climat.

Sidney Kamerzin: Ça, je suis prêt à l’entendre. La publicité a un impact. On pourrait informer sur les conséquences climatiques des denrées alimentaires et encourager à consommer local. J’étais favorable à des restrictions publicitaires en matière de tabac. On peut le faire aussi pour les biens de consommation et leurs effets climatiques.

Quant à parler de décroissance, personne ne peut entendre ce message.

Christophe Clivaz: Ça va venir. Il ne s’agit pas de décroissance à proprement parler, mais plutôt de faire des choix conscients. En Suisse la moitié des trajets en voiture font moins de cinq kilomètres et pourraient souvent être faits à vélo. Nous prenons l’avion plus que quiconque. Les possibilités de modifier son comportement sans perdre trop en confort existent. Et nous n’avons pas le choix. Soit nous l’acceptons, soit la décroissance nous sera imposée par les conséquences d’un climat déréglé. Nous ne pouvons même pas imaginer ce que signifie un monde à +5°C, voire +10°C en Valais où les températures se réchauffent deux fois plus vite.

Nous devons faire confiance à l’innovation et aux progrès technologiques. L’humain a toujours réussi à s’adapter.

Sidney Kamerzin, conseiller national Le Centre

Sidney Kamerzin: Je ne partage pas ce pessimisme. Le débat n’est pas entre la croissance et la décroissance. On ne peut pas modifier les comportements du jour au lendemain et dire aux gens qu’ils doivent manger moins de viande, ne plus prendre l’avion ou se séparer de leur voiture. Ce n’est pas envisageable démocratiquement. Nous devons faire confiance à l’innovation et aux progrès technologiques. L’humain a toujours réussi à s’adapter.

Nous faisons face à un danger potentiellement catastrophique. N’est-ce pas risqué de parier sur une technologie qui n’existe pas encore?

Sidney Kamerzin: Dans une démocratie, c’est la population qui doit décider de ses choix stratégiques. Elle l’a fait avec la loi sur le CO2. Je suis optimiste. Pour moi les mesures mises en place au niveau suisse doivent l’être au niveau global.

Le débat autour du climat est très polarisé entre la gauche et la droite. Arriverez-vous à dégager un consensus?

Christophe Clivaz: Un compromis est possible autour des incitations financières, de l’information et de l’encouragement à l’innovation. La guerre en Ukraine est un accélérateur dans la prise de conscience qu’il faut sortir des énergies fossiles. Il y a toujours un parti, l’UDC, qui ne veut rien entendre, mais dans les discussions auxquelles je participe en commission, je vois qu’on avance.

Sidney Kamerzin: Je rejoins Christophe Clivaz sur ce constat. Nous sommes souvent dans la même configuration. Le PS et les Verts sont sur la même ligne, le PLR et le Centre ont la leur, mais les deux blocs peuvent s’entendre. Il y a cependant un clivage avec l’UDC qui risquera toujours de lancer un référendum.

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