«C’est assez magique.» Dans le courant du mois de juin, le livre «D’écrire ma ville Sion» sera verni. Le quatrième volet du projet né en 2018 à Monthey de l’esprit fertile de l’écrivaine Abigail Seran a réuni plus d’une centaine de plumes qui ont raconté mille et une anecdotes sur la capitale. Des textes courts, savoureux, nostalgiques ou d’anticipation qui font la joie de la juriste de profession tombée en amour pour les mots.

Le printemps est capricant pour l’attachante Chablaisienne qui fourmille de projets personnels. Dont «Le journal d’Antigone», le récit de sa plongée dans les coulisses de la pièce montée en septembre par Lorenzo Malaguerra sur l’esplanade du Théâtre du Crochetan et qui revivra fin juin 2022.

Autre aboutissement littéraire: un roman condensé en 100 pages où elle aborde l’activité physique dans un esprit drôle et caustique, «à la montheysanne». Abigail Seran est une femme occupée mais toujours en appétit pour la nouveauté. Son interview culturelle.

Abigail Seran, quand vous entendez le mot culture, vous sortez votre (…)?

Je sors ma gourmandise (elle sourit), au sens de curiosité. Une envie de découverte et de surprise. Dans une exposition par exemple, j’aime d’abord cheminer et me faire mon propre ressenti avant d’avoir la contextualisation et le commentaire. Il y a l’émotion première puis l’intellectualisation, et les deux vont de pair.

Vous êtes plutôt «nature» ou «culture»?

Je suis plutôt «culture» parce que je suis une citadine à la base. J’aime beaucoup les villes pour leur côté foisonnant.

Si vous deviez donner une définition personnelle de la culture.

Pour moi, la culture est une manière d’interpréter le monde, de poser un regard, de susciter une émotion et une réflexion.

Vous êtes écrivaine. Quelles sont, selon vous, les qualités que vous cultivez dans votre art?

Je dirais la curiosité et l’observation. Et une réflexion sur la manière dont on peut retranscrire une matière première. Quand j’écris, j’essaie d’installer un jeu entre le lecteur et moi, pour qu’on fasse chacun un bout du chemin. C’est aussi cela la création.

Le Valais est à la fois une terre d’attachement et de séparation. Une géographie qui nous imprègne.

Et comment se découvre-t-on écrivaine?

Personnellement, c’est quelque chose que je portais depuis très longtemps en moi. Il aura fallu un anniversaire important, celui de ma maman, pour que j’ose lire en public l’un de mes textes. J’ai longtemps tergiversé avant de me lancer, poussée par mon entourage. Après la lecture, il y a eu un beau silence, très émouvant, qui a résonné comme un feu vert. Je suis rentrée à la maison et j’ai dit: «Je vais écrire un roman.» Personne n’a alors levé un sourcil sinon je ne l’aurais sans doute pas fait (elle sourit).

Quelle est la dernière grande émotion que la culture vous a procurée?

Dans le cadre du projet D’écrire ma ville, quand on fait un vernissage, que tous les gens ayant donné un petit bout d’eux viennent partager autour d’un livre devenu LEUR livre, ce sont des moments de communion extrêmement forts. C’est l’aboutissement d’une démarche collective. Sinon, au cinéma, j’ai vu dernièrement «The Power of the Dog», le film de Jane Campion, qui m’a scotchée. Il y a eu récemment le vernissage du nouvel album de la pianiste Béatrice Berrut au Crochetan. La lecture du dernier livre d’Anne Berest, «La carte postale», m’a aussi beaucoup émue.

Vous êtes une citoyenne du monde, vous avez notamment vécu à Dublin. A vos yeux, peut-on parler de culture valaisanne? Le Valais culturel a-t-il une identité propre?

Je pense que le Valais est à la fois une terre d’attachement et de séparation. On est nombreux à en partir et nombreux à y revenir. Probablement que cette géographie nous imprègne. Mais je crois que la culture valaisanne s’inscrit de plus en plus dans un paysage national et international, et c’est tant mieux.

Une musicienne comme Béatrice Berrut a une aura incroyable ce qui ne l’empêche pas de ramener le classique sur ses terres, via notamment son festival Les Ondes dont la première édition se déroulera en juin à Monthey. La culture valaisanne, c’est quelque chose qui a peut-être été développé ailleurs mais qui s’ancre ici et qui peut tout à fait s’exporter. J’aime cette idée de circularité.

Vous mentionnez Béatrice Berrut, une artiste valaisanne qui vous touche. Y en a-t-il d’autres?

Dans le même esprit d’ouverture, je pense à la chorégraphe et danseuse Rafaele Giovanola qui est aussi de Monthey. Avec Béatrice, elles créent cette porosité entre le Valais où elles ont leur camp de base et l’étranger où elles rayonnent.

Il faut aider les livres suisses à mieux s’exporter.

Et à l’échelle internationale, un ou une auteur(e) tutélaire?

J’ai énormément lu Joseph Kessel, j’espère arriver au bout de Marcel Proust. J’ai beaucoup aimé George Sand, j’ai adoré Colette. Ce sont deux écrivaines qui ont porté la voix des femmes. Mais choisir ainsi, c’est très réducteur. Je dirais qu’il faut être curieux de tout.

Quel est le lieu culturel valaisan où vous aimez le plus aller?

Je vais jouer la carte régionale en citant le Théâtre du Crochetan à Monthey. C’est un lieu fondateur qui, adolescente, m’a ouverte à l’art. Je continue d’ailleurs d’y faire des découvertes grâce à la programmation très équilibrée. Depuis sa création il y a plus de trente ans, la population se l’est approprié. C’est un lieu de vie avec des soirées de fanfares, des repas de soutien à des sociétés locales. Et l’aménagement de l’esplanade qui s’est fait attendre ancre encore davantage le théâtre dans la ville.

Autre lieu qui me tient à cœur: le Quartier culturel de Malévoz, un formidable projet d’inclusion. Enfin, j’ai une tendresse spéciale pour la Bavette destinée au jeune public. A Monthey, on est très fort pour transformer d’anciens abattoirs en lieux culturels (elle rit). Blague mise à part, on est verni d’avoir chacun de ces lieux dotés d’une âme propre.

On a traversé deux ans de pandémie. Comment l’avez-vous vécue cette période, plutôt corsetante ou épanouissante?

Comme juriste, ce fut une période d’intense travail, avec beaucoup de questions. On n’a jamais vu un système juridique changer aussi vite! Nous n’étions plus dans un temps long mais dans l’instant. Comme écrivaine, ce fut compliqué. J’ai eu de grosses pannes d’inspiration. J’ai un livre qui est sorti durant la pandémie et la fermeture des librairies a fait beaucoup de mal avec des ventes en chute libre. L’absence de dédicaces nous a aussi privés de ce lien précieux avec le public. C’était assez triste.

Pendant le Covid, j’ai eu de grosses pannes d’inspiration.

Mise en berne par le Covid, la culture a été soutenue via différentes aides. On vous donne un million de francs à dépenser dans le secteur. Quelles seraient vos priorités?

Ce serait de soutenir la diffusion notamment au niveau littéraire. Les livres suisses rencontrent des difficultés à sortir des frontières. Ce sont des objets physiques qu’il faut créer et exporter, ce qui a un coût.
Autre domaine à soutenir: la traduction. Ce serait fantastique dans un pays quadrilingue de pouvoir se lire dans une autre langue.
Enfin je trouve primordial de toucher les enfants, le public de demain. J’aimerais que tout élève puisse rencontrer une fois, durant son cursus, un écrivain ou une écrivaine vivant(e), pour montrer que la littérature ce ne sont pas que des vieux messieurs décédés depuis deux cents ans (elle rit).

Depuis la fin février, la culture revit. Décrivez-nous votre week-end culturel idéal.

J’irais d’abord dans un lieu dédié aux arts de la scène. Je me rendrais ensuite dans une exposition. Sans être une experte, je trouve les arts visuels passionnants. Cinéphile, j’irais voir un film en version originale, par exemple au Grain de sel à Bex où l’offre est très riche. Le soir, je profiterais de lire un peu, notamment de belles plumes valaisannes comme Pierre-André Milhit ou Laure Coutaz. Le dimanche matin, c’est en revanche souvent un moment d’écriture.

On dit que la culture, c’est comme la confiture. Quel genre de tartine culturelle vous faites-vous le matin?

Comme dit précédemment, le matin est une période propice à la création. J’écris souvent très tôt, entre 4 et 7 heures du matin. Avant que toute la maison ne s’éveille.

Vous produisez de la culture. Mais en êtes-vous une grande consommatrice?

J’essaie (elle sourit). J’ai la chance comme membre du Conseil de la culture de l’Etat du Valais depuis trois ans de faire beaucoup de découvertes. Il y a un vrai foisonnement culturel dans le canton. Ça vaut la peine de rester à l’affût. On n’est jamais à l’abri d’une belle surprise!

Auriez-vous un bon plan culturel à proposer à nos lecteurs, hormis vos ouvrages à paraître?

Je suis toujours surprise par la richesse des propositions artistiques juste à nos portes. Chaque fois que je me suis laissé embarquer, ce fut une vraie découverte. J’aime par exemple beaucoup l’idée de vernissage commun chapeauté par la ville de Saint-Maurice pour ses différents lieux culturels. Il y a des choses qui nous touchent, d’autres moins mais c’est ainsi que se forge l’esprit critique. J’apprécie aussi les expositions dans le foyer du Crochetan, là où le public déambule. Je pense au dernier accrochage «J’existe» en lien avec les 10 ans de la course pédestre La Montheysanne. On est au cœur de la vie et, in fine, la culture, c’est la vie!

On en vient à la fameuse phrase d’André Malraux: «La culture, c’est ce qui fait de l’homme autre chose qu’un accident de la nature». Vous avez trois heures…

Je ne peux qu’abonder. La vie est un chemin et la culture est une manière de regarder le chemin. C’est une proposition faite par un(e) ou des artistes qui permet de regarder son propre parcours avec un autre œil. C’est riche et questionnant, parfois perturbant, voire rebutant. Mais c’est ce qui fait réfléchir et permet d’avancer.

Mont-HEY! s’associe à l’artiste Fichtre pour son image

La ville de Monthey a sollicité l’illustrateur veveysan Fichtre à l’occasion d’une carte blanche artistique. Un nouveau slogan et plusieurs produits dérivés ont été réalisés.