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La taurine ne sert à rien!

Les boissons énergisantes, plus qu'un phénomène de mode, un phénomène idéologique qui touche surtout la jeunesse.

10 oct. 2013, 00:01

Brahim, 15 ans, France, 2009: arrêt cardiaque lors d'une course à pied. Avant le départ, il a bu plusieurs canettes de boisson énergisante. A la suite de la publication d'un rapport de l'Agence française de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES, la semaine dernière, la polémique est relancée dans l'hexagone: ces produits représentent-ils un danger? "J'ai changé de chaîne. Je craignais que tout ce battage ne m'énerve" , confie le docteur Bernard Barras, spécialiste en médecine sportive, à Sion.

"Cet adolescent était destiné à avoir un problème de coeur" , assure-t-il. "Si on poussait les investigations, on découvrirait vrai semblablement une malformation d'une valve cardiaque ou un syndrome de Wolff-Parkinson-White, soit un trouble rare du rythme cardiaque, j'en suis convaincu." Ce qui est certain toutefois, sur 212 dossiers étudiés, huit concernaient une défaillance du coeur. L'ANSES a pu établir un lien probable avec la consommation de boisson dans trois des cas. Pour les cinq autres, elle ne parle que de soupçons.

La principale molécule incriminée contenue dans ces boissons est la caféine. "De façon générale, les personnes qui ont des problèmes cardiaques ou hépatiques devraient limiter au maximum leur consommation" , explique Florence-Morciano Girard, diététicienne à Martigny-Croix. "Comme les femmes enceintes et les enfants." Les adultes en bonne santé, en revanche, peuvent en ingérer jusqu'à 400 mg par jour, soit six espresso, "même s'il est préférable de ne pas atteindre cette dose au quotidien" . Un Red Bull, la marque la plus populaire*, en contient 80 mg pour une canette de 250 ml.

Huit carreaux de sucre

"Les adultes peuvent en boire deux canettes par jour, maximum, les ados éventuellement une, même si ce n'est conseillé pour personne finalement" , poursuit-elle. Ces boissons contiennent également sept à huit carreaux de sucre par 250 millilitres. "Les fabricants utilisent du glucose de maïs" , reprend le docteur Barras. "Soit le sucre le moins cher du marché, celui qui pénètre le plus vite dans l'organisme."

Le risque sanitaire majeur lié à la consommation régulière de ces boissons est donc le surpoids. Selon les derniers chiffres publiés par Promotion Santé Suisse, cette problématique concernerait 20% des adolescents, "le public cible de ces marques" , note Corine Kibora, porte-parole pour Addiction Suisse. "Et on ne peut nier un phénomène de mode."

Une étude européenne menée en 2012, sur près de soixante mille individus dans 16 pays, dont la France, l'Italie et la Belgique, montre que 68% des 10-18 ans ont consommé des boissons énergisantes dans l'année. En Suisse, le rapport publié en 2010, par HBSC, l'enquête suisse sur la santé des écoliers et écolières, révélait que 14,2% des garçons et 7,6% des filles en buvaient plusieurs par jour.

S'affirmer?

"J'habite le quartier des Collines à Sion" , commente le docteur Barras. "J'en vois le matin par groupes descendre à l'école canette aux lèvres pour se réveiller." Le phénomène représente cependant plus à ses yeux qu'une réponse à un manque de sommeil. "Boire du Red Bull dit qui je suis" , analyse-t-il. "J'aime l'action, prendre des risques, mais pas trop: ce n'est pas de l'alcool non plus."

"Les fabricants font tout juste!" , s'exclame-t-il encore. A des boissons somme toute d'une grande banalité, ils ajoutent de la taurine, "un acide aminé dont le nom fait rêver, mais qui, dans l'état des connaissances actuelles, a priori, ne sert à rien" , reprend le docteur Barras. Et ils lui attribuent des vertus énergisantes, tout en laissant planer le doute d'un éventuel danger lié à sa consommation. "Si les jeunes savaient ce qu'ils boivent" , reprend Jean-Henri Francfort, publicitaire à Lau sanne. "A tout point de vue, c'est du vent!" 30% du chiffre d'affaires de Red Bull est consacré au marketing et au sponsoring d'événements de sports extrêmes, base jump, VTT, escalade. "On leur vend un "american way of life" basé sur la prise de risque, le dynamisme et la performance, alors que cette boisson est autrichienne" , sourit-il.

Le goût de l'inculture

"Les jeunes ont tendance à aimer la contre-culture" , rebondit le docteur Barras, "alors ils apprécient ce goût qui, lui aussi, ne correspond à rien dans la nature." Et si on le mélange à de l'alcool, "qui a pourtant une origine et une tradition" , celui-ci perd aussi de ses caractéristiques. "Cette association de produits nous inquiète" , confie Corine Kibora d'Addiction Suisse. "Les boissons énergisantes masquent le goût et l'effet de l'alcool, ce qui conduit à en boire plus, avec des risques accrus."

D'un point de vue idéologique aussi, elles alarment. "Ces marques racontent aux jeunes esprits que pour être à la hauteur, on a besoin d'un produit" , poursuit-elle. Le philosophe québécois, Joan Sénéchal, en 2009 déjà, commentait ce phénomène dans "La Liberté": "Elles accusent l'être humain tel qu'il est fait de chair et d'os: trop lent, trop doux, trop vulnérable, trop humain en somme."

A ses yeux, elles s'inscrivent dans le courant post-humaniste porté par les fondateurs de l'Intelligence et de la Vie Arti ficielles, un mouvement "nihiliste" qui contraint l'homme à se plier "au culte de la croissance et de la productivité" . Boire une boisson énergisante, plus que dire qui l'on est, c'est dès lors participer à la propagation d'une idéologie qui veut "créer des individus plus adaptés aux exigences du monde d'efficience qui est à l'oeuvre" . Et qui considère l'homme dans son état originel "obsolète" .

* Avec une part de marché évaluée à 70% au niveau mondial. En 2009, près de 100 000 millions de doses ont été vendues en Suisse.

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