Textes et photos Mireille Chèvre

En partant du col de la Furka, l’itinéraire jusqu’à la source est très accessible. Une petite grimpette depuis le parking et le sentier offre une jolie traversée d’alpages verdoyants dans un panorama des plus majestueux sur le jeune Rhône s’écoulant en direction de Gletsch et le Grimsel.

Des rochers en enfilade et l’on arrive déjà à la borne signalant la source du Rhône, située bien en dessous. À droite, le glacier étale ce qu’il subsiste de sa langue. «Qu’y a-t-il de plus beau», s’émerveillait en ce jour de juillet un marcheur alémanique, faisant fi des bâches qui recouvrent sa partie basse. En effet, et l’on se sent bien petit dans ce pierrier face à cette étendue grisâtre, qui s’étire le long du Galenstock, du Tiefenstock et du Dammastock. En bas, un lac d’eau de fonte, le nouveau lac, s’est formé devant la langue du glacier et l’eau se fraie un chemin à travers une gorge étroite.

Un lac à la Préhistoire

Pour tenter de cerner le Rhône, rendons-nous à Gletsch, dans la vallée de Conches. Le long du chemin qui remonte le cours d’eau, un pieu indique le niveau du glacier en 1856. Même en levant les yeux bien haut, on ne le voit plus. Glaçant.

Le Rhône vu de Gletsch. Le glacier est trop loin pour être aperçu.

Mais le Rhône, qu’a-t-il à nous dire? Les traditions orales valaisannes sont couchées sur papier dès les années 1870. L’une décrit une plaine du Rhône occupée à la Préhistoire par un vaste lac. Parfois, c’est l’eau du lac Léman qui remonte jusqu’à Conches, d’autres fois les eaux venues des glaciers sont prisonnières du Valais.

Selon la légende, des hommes vivaient au bord de ce lac, sur lequel ils naviguaient. Des points d’accostage avec de gros anneaux en fer fixé dans la roche témoigneraient encore aujourd’hui de ce Valais lacustre. On aurait trouvé l’un de ces anneaux à Saint-Maurice-de-Laques, sur la commune de Crans-Montana, précise Muriel Borgeat-Theler, historienne.

“Je rentre d’un tour à vélo du col de la Forclaz à Genève. Il faut redonner une place à la nature.”

La source du Rhône était, elle, sujette à discussion, selon Jean-Baptiste-Balthazar Sauvan, dans «Le Rhône, description historique et pittoresque de son cours depuis sa source jusqu’à Genève», réédité par les Éditions Slatkine en 1984.

Il relève ainsi que «le cours d’eau qui, à sa naissance, doit porter exclusivement le nom de Rhône, est celui qui sort du Saasberg par trois filets très déliés (…). Après un cours de quarante ou cinquante toises, il va se perdre dans le torrent du glacier. Les habitants du pays ont tellement affecté l’idée de source du Rhône à ce ruisseau, qu’ils en refusent le titre à un autre cours d’eau plus voisin du glacier, parce que les eaux de celui-ci sont trop froides (…).»

Laurence Piaget-Dubuis, éco-artiste, graphiste et photographe établie à Sion, a décidé pour sa part de contribuer à donner une identité culturelle contemporaine au Rhône. Depuis 2014, elle est l’auteure de plusieurs projets nationaux et internationaux sur les enjeux du dérèglement climatique en territoire alpestre. Se reconnecter à la nature, créer du sens, du lien et susciter des émotions en partant du réel, explorer les nouveaux territoires qui se forment au gré du réchauffement, sa palette de réflexion est vaste. Elle va également dans le sens de la troisième correction du Rhône, qui a pour objectif de donner plus de place au fleuve et de le rendre plus naturel.

Redonner une place à la nature

Sa démarche vise à amener le public à prendre conscience de son rapport à l’environnement, à se reconnecter, à concevoir de nouveaux modèles de cohabitation et à partager du territoire, explique-t-elle. «Je rentre d’un tour à vélo du col de la Forclaz à Genève. Il faut redonner une place à la nature, l’amplifier, aménager des espaces publics, de véritables îlots de fraîcheur, favoriser l’accessibilité des berges qui sont un bien commun», milite-t-elle avec sa joyeuse ferveur.

Infos sur: www.watergaw.ch

Retour aux sources: le Rhône, un fleuve qui se cherche encore

Le Rhône ne s’apprivoise pas facilement. Jaillissant d’un glacier, il file entre les rochers jusqu’à Gletsch, puis traverser la plaine qui porte son nom. Et ses origines glissent entre les doigts.