Tout au long de l’année passée, la Fédération internationale de football (Fifa) n’a cessé de le répéter: sa Coupe du monde 2022 serait, pour la première fois, entièrement «neutre en carbone» et toutes les émissions de CO2 générées par le tournoi «intégralement» compensées.

Sur son site internet, elle invitait même les détenteurs et détentrices d’un billet pour le Qatar à calculer leur empreinte carbone, en insérant leurs données de voyage. L’envoi des données permettait de participer à un tirage au sort. Mais surtout, de déculpabiliser: à peine la procédure effectuée, un message indiquait que la Fifa avait, dans la foulée, compensé leurs émissions de CO2.

De quoi faire bondir l’Alliance climatique suisse, réunissant 140 organisations issues de tous les secteurs de la société. Deux semaines avant le début de la compétition, l’association a déposé une plainte auprès de la Commission suisse pour la Loyauté (CSL), institution chargée d’évaluer si les communications commerciales sont conformes aux lois.

Des associations françaises, belges, anglaises et hollandaises ont suivi le mouvement et déposé à leur tour des plaintes pour concurrence déloyale.

Communication jugée «déloyale»

Le verdict est tombé ce mardi: la commission estime que la communication de la Fifa en matière d’environnement était bel et bien «déloyale». Pourquoi? Parce qu’elle a fait recours «à des messages formulés en termes absolus et a ainsi suscité l’impression erronée et fallacieuse selon laquelle la Coupe du monde (…) aurait déjà atteint la neutralité climatique ou la neutralité carbone pendant le tournoi».

C’est une décision incroyable! C’est un message fort pour toutes les entreprises qui voudraient se prêter au greenwashing

Quentin Cuendet, membre d’Avocat.e.s pour le Climat

D’après la commission, n’étant pas en mesure de prouver ce qu’elle alléguait, la Fifa aurait dû abandonner, ou au moins clarifier ou relativiser ses déclarations. L’autorité estime que la Fifa n’a pas apporté de preuves crédibles sur la manière dont «toutes les émissions de CO2 générées par le tournoi pouvaient être compensées conformément aux standards suisses».

Elle recommande donc à la Fifa de renoncer à utiliser de telles formulations à l’avenir.

Une grande victoire pour les plaignants: «C’est une décision incroyable! C’est un message fort pour toutes les entreprises qui voudraient se prêter au Greenwashing» se réjouit Quentin Cuendet, membre d’Avocat.e.s pour le Climat, l’association qui a élaboré la plainte helvétique.

Un engagement «authentique et sincère»

La fédération a bien tenté de se défendre. Le 31 mars dernier, elle a transmis ses arguments à la CSL. En premier lieu, elle déclare que les formules contestées ne sont pas de «la publicité», mais un «effort de transparence de la part des organisateurs en lien avec l’impact environnemental d’une grande manifestation».

Surtout, elle estime ne pas avoir trompé les consommateurs car son engagement envers le climat est «authentique et sincère». Elle affirme d’ailleurs qu’elle publiera cette année encore un rapport pour évaluer le volume total des émissions carbone générées et s’engage à effectivement compenser le volume restant de CO2.

Deux arguments rejetés par l’autorité de contrôle de la publicité.

Reste que, contrairement à ce que laisse sous-entendre le communiqué de presse de l’Alliance climatique suisse publié ce 5 juin, la CSL n’a pas condamné la Fifa pour avoir sous-estimé les émissions générées par le tournoi. La commission a au contraire considéré qu’elle n’était «pas en mesure de juger de manière concluante si l’estimation de la Fifa est réaliste ou pertinente».

«Ce qu’elle affirme par-là, c’est qu’on ne peut pas présenter un événement, quel qu’il soit, en disant qu’il est climatiquement neutre, car c’est impossible à démontrer», analyse Arnaud Nussbaumer, président d’Avocat.e.s pour le climat.

Cette décision rappelle qu’en matière de communication sur l’environnement, la loi sur la concurrence déloyale s’applique

Arnaud Nussbaumer, président d’Avocat.e.s pour le climat

«C’est une décision forte non seulement pour la Fifa, mais pour toute l’industrie. Elle rappelle qu’en matière de communication sur l’environnement, la loi sur la concurrence déloyale s’applique et que les entreprises sont tenues de s’y tenir.»

Décision non contraignante

La décision de la Commission suisse pour la loyauté n’a pas de valeur juridique à proprement parler et n’est pas contraignante pour la Fifa.

Le rôle de la CSL est d’édicter des «recommandations ayant pour but qu’à l’avenir, les publicitaires les appliquent et qu’ils puissent ainsi éviter des risques juridiques de plaintes ou de procédures pénales devant les autorités étatiques», indique-t-elle sur son site internet.

Dans le cas présent, l’autorité considère toutefois que la Fifa a contrevenu à la Loi fédérale sur la concurrence déloyale, ce qui pourrait constituer une infraction pénale, soulignent les avocat.es pour le climat.

Ces derniers pourraient donc poursuivre l’affaire devant les tribunaux suisses. «C’est une piste que nous envisageons», fait simplement savoir Arnaud Nussbaumer.

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