«Aujourd’hui, nous avons apporté de la compétition dans le marché des moteurs de recherche. (…) Mais nous avons un titan face à nous. J’espère qu’il va vouloir montrer que lui aussi sait danser. Et je veux que les gens sachent que c’est nous qui les avons poussés à danser.»

Il est rare d’entendre le patron de Microsoft défier ainsi l’un de ses concurrents. C’est pourtant ce qu'a fait Satya Nadella le 7 février dernier auprès du média «The Verge», peu après la présentation de la future version de son moteur de recherche, Bing.

Dans les 48 heures qui ont suivi, plus d’un million de personnes se sont inscrites sur liste d’attente pour tester un moteur de recherche qui, jusqu’à présent, suscitait au mieux de l’indifférence, au pire des ricanements.

Grâce à l’alliance stratégique entre Microsoft et le laboratoire de recherche en intelligence artificielle OpenAI, créateur du phénomène ChatGPT, Bing va bientôt être capable d’apporter des solutions aux questions des internautes non pas en leur soumettant une liste de liens vers des sites à visiter, mais en générant un texte semblant écrit par un humain.

La cible désignée? Google, champion incontesté de la recherche sur internet avec ses 94% de part de marché.

Satya Nadella, CEO Microsoft, pictured during the 49th annual meeting of the World Economic Forum, WEF, in Davos, Switzerland, Thursday, January 24, 2019. The meeting brings together entrepreneurs, scientists, corporate and political leaders in Davos under the topic “Globalization 4.0” from 22 - 25 January 2019. (KEYSTONE/Gian Ehrenzeller) © © KEYSTONE / Gian Ehrenzeller

Satya Nadella, le CEO de Microsoft (ici au Forum économique mondial de Davos en 2019). KEYSTONE/Gian Ehrenzeller

Comme l’espérait Satya Nadella, Google s’est immédiatement jeté sur la piste de danse. Il a présenté Bard, une copie conforme de ChatGPT qui intégrera bientôt son moteur de recherche. Mais cet outil, encore instable, n’arrivera pas entre les mains du public avant plusieurs mois.

Preuve en est: Bard a fait une erreur factuelle en pleine conférence de presse… L’action Google a depuis perdu plus de 10% en bourse et certaines voix osent chuchoter une question: et si Google s’apprêtait à tomber de son piédestal? «Les régulateurs ont la volonté de casser l’hégémonie de Google, et c’est peut-être le marché qui va y arriver», note Stéphane Roder, fondateur du cabinet de conseil AI Builders.

«Le leadership de Google dans la recherche en intelligence artificielle (IA) est incontestable», note la banque Truist. Transformer, le modèle d’apprentissage profond sur lequel reposent tous les produits d’OpenAI, est d’ailleurs une découverte publiée par les chercheurs de Google en 2017.

«Google innove énormément dans l’IA. Mais ils n’ont jamais connu le même succès médiatique que ChatGPT», souligne Pierre Harand, coprésident du cabinet de conseil Fifty-five.

Cet outil a attiré 100 millions d’internautes en seulement deux mois, un record absolu en vitesse d’adoption, selon une étude UBS.

«Microsoft a réussi un excellent coup tactique. Google s’est retrouvé sous la pression des marchés et a été contraint de répliquer dans l’urgence, sous peine de paraître dépassé, selon Stéphane Roder, fondateur du cabinet de conseil AI Builders.

Google Search et ses 160 milliards de dollars de recettes publicitaires pèsent 55% du chiffre d’affaires annuel de Google. Avec 11 milliards de dollars, Bing ne représente que 5% des recettes de Microsoft.

Si la stratégie de Microsoft est claire, sa réussite n’est pas garantie. «Google verse chaque année à Apple des milliards de dollars pour être le moteur de recherche par défaut sur iPhone», rappelle le consultant en marketing Frédéric Cavazza.

Pour que les internautes prennent la peine de modifier leurs réglages, le gain d’efficacité apporté par le nouveau Bing devra être significatif. C’est grâce à cela que le navigateur Google Chrome, plus rapide, a réussi à s’imposer face à Internet Explorer de Microsoft il y a près de vingt ans.

Risques à l’horizon

«Les réponses générées par l’IA risquent d’être un gadget aux yeux du public», prévient Pierre Harand. D’autant qu’elles sont encore loin d’être fiables. Bing Chat a été surpris cette semaine à affirmer que nous étions en février 2022 et à s’agacer face au testeur qui lui expliquait qu’il avait tort.

Microsoft a encore du chemin à faire pour se mesurer à la qualité des pages de résultats de Google. «C’est parce que Google capte 94% des données de navigation sur les moteurs de recherche que ses algorithmes sont mieux entraînés», poursuit Pierre Harand.

L’internaute sera le juge de paix de la bataille des moteurs de solutions face aux moteurs de recherche. Mais la révolution poussée par Microsoft pose son lot de défis. Frédéric Cavazza liste «le coût environnemental de cette technologie, le modèle économique incertain et le risque juridique». Microsoft devra-t-il reverser une rémunération aux sites sur lesquels son IA va chercher ses réponses?

Va-t-il être considéré comme un éditeur, un statut qui implique son lot de responsabilité? Les sites web, eux, s’inquiètent déjà du risque de recul de leurs audiences si la réponse composée par l’IA l’emporte face au clic sur un site web. «Nous serons jugés par notre capacité à aider les éditeurs à faire en sorte que leur contenu soit vu par le plus grand nombre de personnes», a voulu rassurer Satya Nadella.

Chloé Woitier, Le Figaro

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