Le 12 novembre, la Confédération annonçait la signature d’un accord avec le Ghana pour compenser les émissions de l’administration fédérale. Le but est de promouvoir dans le pays africain des techniques de production de riz dégageant peu de méthane.

Il s’agit du premier projet mondial du genre respectant les normes de l’Accord de Paris sur le climat signé en 2015, se félicitait alors l’Office fédéral de l’énergie (OFEV). Des projets similaires sont prévus au Maroc, en Uruguay ou en Thaïlande.

Investir dans des pays étrangers pour développer des projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre pour mieux décompter ces réductions de ses propres objectifs climatiques, c’est possible. Et La Suisse fait même figure de précurseur en la matière.

Bien qu’autorisé, ce système de compensation carbone ne fait pas l’unanimité. Le 7 novembre, en pleine COP27, le «New York Times» publiait un article critique envers la Suisse, accusée de payer des pays pauvres pour qu’ils abaissent leurs émissions à sa place et de s’en attribuer le mérite.

Pour le quotidien américain, la Confédération sait qu’elle n’atteindra pas ses objectifs climatiques et préfère miser sur cette pratique au lieu de viser des réductions plus ambitieuses sur son territoire.

Critiques «pas justifiées»

Un verdict partagé par des associations de lutte contre le changement climatique, pour lesquelles l’utilisation par la Suisse de ce système à l’étranger envoie un mauvais signal.

«La Suisse devrait être un leader des réductions domestiques de CO2. Elle a les moyens financiers, humains et technologiques nécessaires. Mais pour le moment, elle n’est pas à la hauteur du défi climatique», déplore Christian Lüthi, directeur de l’Alliance climatique, qui rassemble 140 organisations sur la problématique du climat. «Comment peut-on y arriver au niveau mondial, si un pays comme la Suisse ne parvient pas à réduire ses émissions chez elle?», lance-t-il.

Jusqu’en décembre 2021, les entreprises du secteur pétrolier avaient l’obligation de compenser une partie de leurs émissions uniquement via des projets indigènes. Elles peuvent désormais le faire à l’étranger. Pour la Suisse, c’est la Fondation pour la protection du climat et la compensation de CO2 (KliK) qui est chargée de la mise en œuvre de ce mécanisme.

Créée en 2012 par l’Union pétrolière, devenue Avenergy en 2019, organisation qui regroupe les importateurs de combustibles et carburants liquides, Klik est une fondation à but non lucratif. Ses revenus proviennent «du produit de ses avoirs, de contributions librement consenties par des organisations et des institutions, ainsi que de legs et de donations», peut-on lire dans son acte de fondation.

Son directeur, Marcus Berg, a répondu aux critiques du «New York Times» dans une interview accordée mi-novembre au média Heidi.news. Il y déclare que «la réduction (des émissions de gaz à effet de serre, ndlr) à l’étranger doit être considérée comme un effort supplémentaire de la Suisse, qui va au-delà de ses mesures d’atténuation nationales», et ajoute que toute réduction supplémentaire est utile.

Contacté par nos soins, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) estime de son côté que les attaques du quotidien américain ne sont pas justifiées. Il assure que les compensations carbones à l’étranger «ne remplacent pas les efforts de réduction des émissions au niveau national».

Contrôle régulier

Une autre critique revenant souvent sur la table soutient que certains projets prévus à l’étranger auraient de toute manière été mis en œuvre par le pays hôte. Les réductions d’émissions qui en résultent ne constituent donc pas un effort supplémentaire de la part des pays étrangers qui les financent.

Selon l’OFEV, certains critères sont indispensables pour l’obtention d’une attestation de réduction d’émissions: «il faut que la protection de l’environnement et des droits de l’homme soit garantie, que les émissions ne soient pas comptées à double et que le pays partenaire ne soit pas en mesure de réaliser ce projet sans le revenu de la vente des attestations», réagit-il.

La Confédération affirme que le respect de ces critères est régulièrement vérifié durant toute la durée du projet «par au moins deux organismes agréés par les deux pays». Si ces critères ne sont pas respectés, aucune attestation n’est délivrée aux investisseurs.

Point positif

Les ONG reconnaissent là un point positif de la position pionnière de la Suisse dans la compensation carbone. Michèle Andermatt, responsable politique de l’Association suisse pour la protection du climat, organisation à l’origine de l’initiative pour les glaciers (retirée en octobre dernier), comprend les critiques qui visent la Confédération: la priorité doit rester la réduction des émissions domestiques.

Mais, relève-t-elle, «ces contrats conclus avec d’autres pays permettent la mise en place d’un standard qui évite que les réductions d’émissions ne soient pas comptées à double».

Éthiquement acceptable?

L’Alliance climatique mentionne un autre aspect qui représente, selon elle, un danger. Elle alerte sur la problématique éthique du développement dans des pays pauvres de projets de réduction d’émissions portés par des pays riches, qui s’en attribuent le mérite.

«En soi, investir dans les pays pauvres a un bon côté, car on leur donne des moyens de se développer», déclare dans un premier temps Ivo Wallimann-Helmer, professeur en humanités environnementales à l’Université de Fribourg et spécialiste de l’éthique du climat. Il faut cependant se méfier d’un éventuel rapport de domination, poursuit-il.

Si ces pays gardent la souveraineté sur les projets, alors il n’y a pas de problème.

Ivo Wallimann-Helmer, professeur en humanités environnementales à l’Université de Fribourg

«La domination risque de se produire quand les pays pauvres n’ont pas le choix de contrôler ou de participer adéquatement à la détermination de la nature des investissements. Si ces pays gardent la souveraineté sur les projets, alors il n’y a pas de problème», poursuit-il.

Concernant les critiques envers la Suisse, Ivo Wallimann-Helmer estime que le débat n’est pas si facile. D’après lui, les émissions de CO2 doivent être d’abord réduites là où elles sont produites. Puis, lorsque cela n’est plus possible, «il est toujours mieux de les compenser à l’étranger que de ne rien faire». Le principal challenge? La création d’un organisme de contrôle officiel de ce système.

Zéro émission nette

«À l’avenir (d’ici 2050), les compensations ne seront toutefois plus possibles, car tous les pays doivent atteindre zéro émission nette», explique Michèle Andermatt. Cet objectif a été ratifié par de nombreux Etats, dont la Suisse et les membres de l’Union européenne, dans le cadre de l’Accord de Paris.

En Suisse, le contre-projet indirect à l’initiative pour les glaciers, largement adopté par le Parlement en septembre, va inscrire cet objectif dans la loi. Le texte reste néanmoins sous la menace du référendum lancé en octobre par l’UDC.

Michèle Andermatt ajoute que le rejet en 2021 de la nouvelle loi CO2 et des mesures qu’elle prévoyait, ainsi que le manque de volonté politique, ralentissent la politique climatique suisse. Elle pointe notamment le rôle du parti agrarien qui, avec son opposition et ses référendums, entrave les actions en faveur du climat.

La Suisse a émis près de 3% de gaz à effet de serre de plus en 2021

Une légère hausse des gaz à effet de serre a été enregistrée en Suisse en 2021 par rapport à l’année précédente. Le plus grand émetteur reste le secteur des transports.