Des femmes scandent «65 ans, c’est toujours non». Ce vendredi, avec leurs drapeaux rouges et verts, des représentants du parti socialiste, des Verts, de différents syndicats et de la grève féministe ont déposé 151 788 signatures contre AVS21, la réforme de l’Assurance vieillesse et survivants élaborée par la droite. Sans surprise, la Suisse votera. Pour le Vaudois Pierre-Yves Maillard, conseiller national et président de l’Union syndicale suisse, ce combat est «existentiel».

Ce serait si grave que ça, si cette réforme de l’AVS passait?

Pour ceux qui veulent imposer cette réforme, j’imagine que non. Mais pour les femmes qui travaillent dans des conditions difficiles, oui, ça ferait mal. Elles devront choisir entre travailler une année de plus ou accepter une baisse de leur rente. Beaucoup de gens prennent leur retraite en couple. Donc ce choix concernera aussi beaucoup d’hommes.

Depuis 25 ans, les réformes des retraites échouent. L’AVS n’a-t-elle pas urgemment besoin de 26 milliards de francs?

Il n’y a aucune urgence, la plupart des prévisions à ce sujet se sont avérées trop pessimistes. L’AVS a fait 2 milliards de francs de bénéfices l’année passée et elle dispose d’une fortune de plus de 40 milliards. En ce moment, elle se renforce. Ce que nous devons réformer, c’est la prévoyance professionnelle. En 20 ans, pour le même capital, les nouvelles rentes ont baissé de 20%. Beaucoup de futurs retraités se demandent s’ils pourront vivre en Suisse parce que leur pouvoir d’achat est trop bas. Au Parlement, la majorité semble ignorer ces réalités.

Cette alliance de droite vous agace. C’est parce qu’elle vous fait peur?

Elle a décidé de passer en force, sans négocier avec les partenaires sociaux, au mépris de tout ce qui a été fait jusqu’à aujourd’hui et qui a bien fonctionné. Mais nous savons qui mène le bal. Les banques et les assurances ont intérêt à affaiblir les deux premiers piliers pour nous en vendre le troisième qui leur rapporte. Il y aura donc d’immenses moyens dans cette campagne.

L’élite de la droite économique s’organise depuis longtemps pour mener ce combat sur les retraites. Ils sont nerveux et ils serrent les rangs parce qu’ils savent que l’enjeu dépasse le texte sur lequel nous voterons. Ils voient le filet social suisse comme une exception qu’il faut normaliser. Pour eux, c’est existentiel.

Vous n’exagérez pas un peu?

Ils ont un agenda de démantèlement des retraites et ils ne le cachent pas. En 2023, nous voterons encore sur leur projet d’AVS à 66 ans pour tous, et ils comptent rehausser l’âge de la retraite à mesure que l’espérance de vie augmente. On peut déjà observer cette politique dans plusieurs autres pays.

Ce n’est pas le signe que c’est une bonne stratégie?

Non! Ces dernières années, la Suisse a résisté aux grands mouvements des réformes libérales grâce à la démocratie directe. Et aujourd’hui, elle se porte mieux que les autres.

L’affaiblissement des salaires, des retraites et des services publics nuit à l’ensemble de l’économie. Les réformes libérales sont censées améliorer la compétitivité, mais elles finissent par abîmer les conditions-cadres.

Vous avez une meilleure solution?

Nous lancerons bientôt une initiative pour financer l’AVS avec les bénéfices de la Banque nationale. La richesse que nous avons produite ces dernières années n’a pas disparu. La BNS a accumulé 106 milliards de francs qu’elle a l’obligation de distribuer. Seule une partie de ces réserves suffirait à régler le problème.

Il vous faudra d’abord remporter ce référendum. Qu’est-ce qui fera la différence?

Nos adversaires sont puissants mais nous sommes déterminés. Nous comptons sur les gens qui ne votent pas souvent et qui donneront leur avis parce qu’ils sont directement concernés. Et plus que les rapports de force entre la gauche et la droite, je crois que les résultats montreront les différences entre couches sociales.

Vous comptez surtout sur les voix des femmes…

Bien sûr! Avec la grève de 2019, nous avons assisté à un mouvement populaire sans précédent, qui a réuni des femmes de toutes les sensibilités politiques. Et le parlement ne leur a pas donné de réponse. Il n’a rien fait pour l’égalité et maintenant il veut les faire travailler plus, alors que pendant leur retraite elles apportent encore une aide massive pour la garde d’enfants des jeunes familles. C’est toute cette entraide entre générations qui est aussi remise en cause.

Le parlement prépare une réforme de la prévoyance professionnelle et d’autres débats sur les retraites suivront. Ce référendum donnera le ton?

Oui! Nous mènerons aussi les combats suivants, mais il donnera le ton. Et j’espère que la population fera comprendre à la droite que les négociations sont préférables aux rapports de force.

Pendant des décennies, on a amélioré le système des retraites. Mais pour la première fois, un projet de réforme se fonde uniquement sur une baisse de prestation, sans proposer de compensation structurelle. S’il est accepté, la rupture avec l’histoire sociale du pays sera profonde et difficile à corriger. C’est aussi l’enjeu de ce vote.

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