Il y a une semaine, «Le Nouvelliste» révélait que les urgences de Martigny pourraient devoir fermer la nuit, de 18 heures à 8 heures, faute de médecins urgentistes. Une décision a-t-elle été prise?

Non, elle sera prise cette semaine encore. Nous continuons à chercher des solutions.

D’après nos informations ce n’est qu’une formalité, car les médecins cadres du service d’urgence du Centre hospitalier du Valais romand (CHVR qui regroupe les sites de Sierre, Sion et Martigny) ont signifié par écrit qu’ils ne pourraient plus assurer le service actuel à partir du 9 janvier, puisqu’ils n’ont pas réussi à boucler les plannings avec des urgences 24 heures sur 24 à Sion et à Martigny.

Effectivement, les médecins urgentistes ont fait ce constat. Ils ont indiqué pouvoir assurer le service standard pendant toutes les fêtes de fin d’année mais leur planning ne permet plus de tourner dans cette configuration à partir du 9 janvier. Il faut se mettre à leur place. Pour eux, c’est un crève-cœur que d’annoncer cela, c’est presque vécu comme un échec. Et, malheureusement, on n’a pas trouvé d’urgentiste caché sous un tapis de l’hôpital depuis. En résumé, rien n’a été décidé, mais il n’y a rien de nouveau.

Pour eux, c’est un crève-cœur que d’annoncer cela, c’est presque vécu comme un échec. Malheureusement, on n’a pas trouvé d’urgentiste caché sous un tapis de l’hôpital depuis.

Il faudra donc réduire l’ouverture à Martigny au moins temporairement? La décision à prendre porte simplement sur l’horaire de fermeture?

On va devoir aménager les horaires mais ce sera temporaire, jusqu’au recrutement des spécialistes nécessaires. Nous n’avons pas envie de fermer Martigny la nuit, car cela va probablement conduire à un afflux supplémentaire de 20 à 25% à Sion. Comme la plupart des services d’urgence, celui de Martigny travaille fort en fin de journée, à la sortie de l’école et du travail. Mais c’est aussi à ces moments de forte affluence en fin de journée que nous avons besoin des médecins cadres sur le site de Sion, qui pourraient quitter Martigny une fois la situation stabilisée et les patients pris en charge ou adressés au bon endroit. Ce qui peut prendre plusieurs heures.

Pierre-Alain Triverio est directeur du Centre hospitalier du Valais romand (CHVR) depuis le 1er septembre 2022 et membre de la direction générale de l’Hôpital du Valais. Photo: Hôpital du Valais

Dans notre précédent article, Eric Bonvin, directeur général de l’Hôpital du Valais, indiquait que fermer de nuit à Martigny était possible, «puisque avec seulement quatre patients par nuit, l’activité y est faible mais gourmande en ressources humaines». Ce chiffre a beaucoup fait réagir. Selon nos infos, il y aurait plutôt quinze à vingt admissions entre 18 heures et 8 heures du matin à Martigny.

Je sais que le chiffre de quatre patients par nuit a suscité de vives réactions. Mais à partir de minuit il faut être clair: l’activité diminue drastiquement à Martigny. De minuit à 6 heures du matin, il y a en moyenne 0,5 patient/heure qui arrive aux urgences martigneraines. Et les cas les plus graves partent de toute façon directement à Sion où on dispose des moyens interventionnels d’urgence ainsi que tout le plateau technique nécessaire à leur prise en charge.

Le service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) de Martigny, qui permet de mobiliser un médecin en urgence directement sur le terrain, sera-t-il impacté?

Nous allons trouver des solutions pour qu’il puisse continuer sa mission comme aujourd’hui. C’est certain.

Les médecins cadres ne sont pas soumis à la loi sur le travail. Ils planifient les semaines sur 50 heures de travail mais ils sont constamment au-delà.

Comment expliquer cette situation au service d’urgence du CHVR?

Le problème est en fait le même que celui qui se pose au bloc opératoire. Ce sont les compétences particulières qui font défaut. Certains croient qu’il suffit de déplacer des ressources humaines d’un service à l’autre, mais on ne peut pas prendre quelqu’un qui n’est pas formé comme urgentiste pour combler le manque. Les urgences de Martigny et Sion sont assurées par une seule équipe pour les deux sites. Depuis deux ans, elle a l’habitude de tirer sur la corde et de se débrouiller pour assurer les prestations. En dehors de toute recommandation, car les médecins cadres ne sont pas soumis à la loi sur le travail. Ils planifient les semaines sur 50 heures de travail mais ils sont constamment au-delà en faisant régulièrement de la suppléance en fonction des absences des uns et des autres, et en assumant quantité d’horaires de nuisance.

Donc ces gens travaillent entre 60 et 70 heures par semaine?

Cela peut atteindre de tels pics que l’on essaie de rendre en compensations de temps, entretenant ainsi le cercle vicieux. L’équipe médicale est aujourd’hui sur la corde raide de façon prolongée sans marge de manœuvre si absences, maladies ou autres imprévus. C’est une charge mentale très lourde et limitante sur le plan humain et familial, qui n’est pas à sous-estimer.

Quand on souhaite voir un candidat qui postule, quel que soit le type de poste, on va jusqu’à lui payer le déplacement et le logement lors de sa visite en Valais.

Pourquoi ne pas simplement recruter?

D’abord il faut savoir qu’il n’y en a pas beaucoup de médecins urgentistes sur le marché et qu’on recrute large. Au point que quand on souhaite voir un candidat qui postule, quel que soit le type de poste, on va jusqu’à lui payer le déplacement et le logement lors de sa visite en Valais. Ensuite il y a également une concurrence pas toujours saine entre les institutions romandes qui parfois se volent des médecins cadres. C’est le personnel qui tient le couteau par le manche actuellement et la situation est sensiblement la même dans tous les cantons.

Travailler pour les urgences de Sion et Martigny, c’est savoir qu’on va travailler un peu plus pour gagner un peu moins.

N’est-elle pas plus aiguë en Valais?

Peut-être. Il faut savoir que de nombreux médecins urgentistes ont été formés à Sion et travaillent actuellement dans toute la Suisse romande. Mais nous avons de vraies difficultés à les attirer à nouveau en Valais une fois leur spécialisation accomplie en raison du manque d’attractivité lié aux conditions de travail. Un chef de clinique une fois formé part souvent ailleurs car les conditions ne sont pas extrêmement attrayantes. Travailler pour les urgences de Sion et Martigny, c’est savoir qu’on va travailler un peu plus pour gagner un peu moins.

Certains se diront que c’est un peu facile. Que les dirigeants de l’hôpital dont vous faites partie auraient dû prévoir cette situation et se donner les moyens de l’éviter. Non?

Est-ce les dirigeants d’hôpitaux qui fixent les quotas d’étudiants en médecine? Qui rendent l’accès aux études difficile? Qui fixent les salaires des médecins cadres en Valais? La direction et les médecins responsables des urgences travaillent ensemble depuis plusieurs années. Depuis la reprise des urgences de Martigny en cherchant des solutions qui jusqu’à présent ont reposé sur la bonne volonté et la disponibilité sans faille des médecins urgentistes. Peut-être que l’élastique est maintenant trop tendu.

Est-ce les dirigeants d’hôpitaux qui fixent les quotas d’étudiants en médecine? Qui rendent l’accès aux études difficile? Qui fixent les salaires des médecins cadres en Valais?

Et sur le long terme? Devant le Parlement, Mathias Reynard, chef du Département de la santé, a indiqué que les urgences de Martigny n’étaient pas remises en cause. Sur le terrain, c’est réalisable?

Il y a un équilibre à trouver avec le site sédunois. C’est à Sion qu’il y a le plus de demande, à Sion qu’il y a le plus d’attente. Partant de là, il faut se demander si on peut se permettre d’avoir un médecin cadre à Martigny alors que celui-ci serait plus utile à Sion. Les attentes des patients sont importantes et la population a pris l’habitude d’avoir tout, tout de suite, délivré par un médecin expérimenté. Sur le long terme, l’avenir des urgences de Martigny n’est pas remis en question et fait partie intégrante du concept médico-soignant en lien avec le nouvel hôpital en cours de réalisation sur le site de Sion.

Alors, comment s’en sortir?

Il faut savoir quel type de prestations on veut pour les urgences en général. On ne peut plus de nos jours laisser un médecin en formation livré à lui-même, sans supervision directe, devoir s’occuper de cas lourds ou graves avec potentielle atteinte vitale. La société n’accepte plus ce genre de prise en charge et c’est extrêmement déstabilisant pour celui qui apprend son travail et qui peut se retrouver en grandes difficultés. On a vu nombre de jeunes médecins anéantis dans de telles situations pour finir par quitter la profession.

Selon vos chiffres, le nombre d’admissions aux urgences de Sion est passé de 21 838 en 2011 à 35 793 en 2021. Soit 13 955 admissions supplémentaires. Plus récemment, entre 2021 et 2022 (jusqu’à fin octobre), les consultations ont encore bondi de 14% aux urgences de Sion. Comment expliquez-vous cette augmentation?

Je n’ai pas vraiment de réponse. Mais il est certain que c’est multifactoriel. D’abord, il devient important de clarifier les missions du service des urgences hospitalières, auprès de la population, mais aussi avec le réseau sanitaire. La perte du bon sens et de la responsabilité individuelle, l’augmentation de la population ainsi que son vieillissement, le manque de médecins traitants, le manque de médecins répondants dans les EMS et bien d’autres facteurs conduisent à un flux démesuré dans les services d’urgences hospitaliers. Le Valais ne fait pas exception.

La perte du bon sens et de la responsabilité individuelle, l’augmentation de la population ainsi que son vieillissement, le manque de médecins traitants, le manque de médecins répondants dans les EMS et bien d’autres facteurs conduisent à un flux démesuré dans les services d’urgences hospitaliers.

Toujours selon ces chiffres, le pourcentage d’occupation des lits aux urgences oscille entre 75 à 95%. Cette saturation a-t-elle déjà des conséquences sur la prise en charge des patients?

Les patients sont triés à leur arrivée aux urgences en fonction de leur priorité. Il y a différents degrés d’urgence, des petites urgences «debout» aux cas les plus graves. Dans les moments de fréquentation intense, un patient pour une «petite» urgence ambulatoire va pouvoir observer de nombreux patients arrivant après lui et lui passer devant dans la file d’attente de la prise en charge. Rien qu’aux urgences de Sion, il y a eu 240 consultations en 24 heures entre le 26 et le 27 décembre, c’est énorme.

240

C’est le nombre de consultations aux urgences de Sion en 24 heures entre le 26 et le 27 décembre. «C’est énorme», selon Pierre-Alain Triverio, directeur du CHVR.

Dans une interview parue mardi, Monique Lehky Hagen, présidente des médecins valaisans, dit: «Tant que l’hôpital fonctionne, on nie tout problème. Dès que l’hôpital souffre, on crie au drame. Alors qu’il constitue la pointe de l’iceberg et qu’un domaine ambulatoire extrahospitalier fort et solide est le prérequis à un bon fonctionnement et à une utilisation efficace des ressources hospitalières.» Vous êtes d’accord avec elle?

L’hôpital n’est pas une île qui fonctionne en vase clos et chaque acteur a sa part à jouer dans la chaîne de soins pour une prise en charge efficace de nos patients.

C’est la faute des médecins de famille si le service d’urgence est débordé?

Ce n’est la faute de personne et la responsabilité de tout le monde de repenser l’organisation de la santé, en particulier dans l’articulation entre la médecine hospitalière et la médecine de premier recours de ville.

Le Parlement valaisan a-t-il conscience de la situation? Je ne saurai vous le dire. Personne n’est venu me poser la question en tout cas.

Le jour de l’annonce d’une possible fermeture de nuit des urgences de Martigny, le Parlement valaisan a voté 7 millions de francs supplémentaires au budget pour augmenter l’enveloppe dédiée aux salaires du personnel. Mais a-t-il conscience selon vous de la situation au CHVR et aux urgences?

Je ne saurai vous le dire. Personne n’est venu me poser la question en tout cas.

Est-ce que le vrai souci ce n’est pas le politique qui ne donne pas les moyens à l’hôpital d’assurer ses missions?

Le vrai souci, c’est d’utiliser les bonnes ressources au bon endroit en tenant compte des avis expérimentés des gens du terrain. Ce n’est pas une sinécure et si c’était facile, cela aurait été réalisé depuis longtemps.

Ça ressemble à de la langue de bois, alors que vous décrivez une situation très compliquée sur le terrain. Est-ce que ce n’est pas le moment de dire haut et fort au politique que l’hôpital manque de moyens?

Je ne suis pas sûr que ce soit mon rôle de le dire. Une chose est certaine, une partie du problème tient au cadre législatif extrêmement rigide qui limite notre capacité de nous adapter à la situation difficile actuelle.

Une chose est certaine, une partie du problème tient au cadre législatif extrêmement rigide qui limite notre capacité de nous adapter à la situation difficile actuelle.

En mai 2019, Esther Waeber-Kalbermatten, alors conseillère d’Etat chargée de la santé, avançait statistiques à l’appui qu’il n’y avait pas de pénurie de médecins en Valais. Aujourd’hui, le manque semble avéré en cabinet et gagner l’hôpital. Est-ce que cela n’en dit pas long sur le manque de vision du politique en matière de santé?

La situation a évolué fort rapidement dernièrement, le Covid mettant à mal tout le système de santé. Dans le monde hospitalier, nous vivons plutôt une période de pénurie tant dans les compétences spécialisées médicales que soignantes. Pour les compétences plus générales, on constate surtout un immense turnover des soignants qui restent de moins en moins longtemps dans les institutions.

Nous sommes aujourd’hui au pied du mur et on se demande bien ce qu’on peut faire.

«Blick» a consacré un article mardi à la «situation catastrophique dans les hôpitaux suisses», en se rendant dans le Haut-Valais. Entre des urgences sous pression et la pénurie de médecins et de soignants, le journal alémanique y décrit un système de santé dans un état déplorable et fait écho à notre sujet diffusé le même jour sur le domaine ambulatoire. On a un peu l’impression de se réveiller tardivement et en plein cauchemar pour le système de santé.

Pour ma part, j’ai l’impression que la situation que nous vivons aujourd’hui est en préparation depuis trois ou quatre ans. Comme dans une maladie chronique pour laquelle on aurait tardé à consulter, le système de santé suisse a connu une dégradation progressive ces dernières années avec notamment des problèmes de tarification, un changement dans la structure des coûts et l’augmentation des coûts de tout ce que l’on fait. Et on se réveille aujourd’hui avec des symptômes très violents de cette maladie chronique, qu’il nous faut soigner rapidement. Nous sommes aujourd’hui au pied du mur et on se demande bien ce qu’on peut faire.

Fermeture des urgences à Martigny: «Ce n’est que le début de la prise de conscience»

Le coprésident de la Société suisse de médecine d’urgence réagit suite à la fermeture des urgences la nuit à Martigny.