Son sac de voyage sur le dos, Laura, 31 ans, traverse le Röstigraben. Partie en train de son village natal d’Oberägeri (ZG) ce samedi matin, elle va rejoindre sa sœur, Valérie, 30 ans, qui l’attend à Lausanne où elle vit depuis huit ans. Le lendemain soir, elles fredonneront ensemble les tubes du chanteur et guitariste britannique James Bay, aux Docks.

Une sortie des plus banales pour des trentenaires. Sauf que les deux jeunes femmes en question répondent au patronyme de Dittli. Et qu’elles viennent de marquer l’histoire politique suisse en raflant chacune un siège au Conseil d’Etat, dans les cantons de Vaud et de Zoug.

C’est la toute première fois que deux sœurs siégeront simultanément dans deux gouvernements cantonaux.

«C’est une chance et un signal très fort pour la cohésion de notre pays», lance Valérie, ministre des finances et de l’agriculture depuis juillet dernier. Laura, qui entrera en fonction en janvier prochain comme cheffe du Département de la sécurité, y voit déjà le moyen de créer des ponts entre les entreprises de deux régions économiques fortes du pays. En quelques phrases, on sent déjà que, malgré leur jeunesse, elles maîtrisent l’art de la communication politique.

«Impossible de planifier une carrière»

Pensaient-elles accéder à de telles responsabilités? «Il est impossible de planifier une carrière politique», plaident-elles en chœur. A entendre les deux élues du Centre, c’est simplement le hasard de la vie.

On croit volontiers la cadette, tant son élection en avril dernier a pris tous les observateurs par surprise. Elle était alors surtout connue pour avoir exclu deux dinosaures du parti qui ne parvenaient plus à gérer leur guerre d’ego.

Pour Laura en revanche, la route semblait déjà toute tracée: élue députée au Grand Conseil depuis 2014 – elle est alors la plus jeune élue de l’hémicycle –, puis présidente du parti cantonal depuis 2019 – elle est la première femme qui accède à cette fonction –, elle survole les élections qui lui permettent d’entrer au gouvernement.

Avant d’en arriver là, elles avaient toutes deux embrassé une carrière en droit. Les deux Zougoises ont fait une partie de leurs études en Suisse romande, Laura à Neuchâtel, Valérie à Lausanne.

Elles maîtrisent désormais la langue de Molière, bien mieux que leurs parents, qui commencent à exceller seulement «après quelques verres de vin», rigole Valérie.

Die neu gewaehlte Zuger Regierungsratsandidatin Laura Dittli, rechts, von der Mitte-Partei und Ihre Schwester, der Regierungsraetin von Waadt, Valérie Dittli, links, anlaesslich der Zuger Gesammterneuerungswahlen vom Sonntag, 2. Oktober 2022 in Zug. (KEYSTONE/Urs Flueeler). Valérie (à gauche) et Laura Dittli explosant de joie lors de l’élection de la seconde au Conseil d’Etat zougois, le 2 octobre dernier. Photo: Keystone / Urs Flueeler

«Mes proches ne me voyaient plus»

L’aînée va exercer encore quelques mois dans un cabinet et Valérie n’a tout juste pas – à deux mois près – obtenu son barreau après son doctorat en poche. Renoncer à cette vie pour des journées sans fin, des séances à la pelle, des moments de représentations incompressibles ainsi que la pression citoyenne et médiatique… N’est-ce pas trop de sacrifices?

«Non, au contraire. Mon travail me donne bien plus d’énergie qu’il m’en prend. J’ai le sentiment de recevoir énormément, avec tellement de personnes bienveillantes autour de moi», assure la cadette.

«Ce n’est pas seulement un métier, mais une passion. J’ai ça au fond des tripes. Quand on ressent les choses ainsi, c’est bien plus simple de se lancer dans une nouvelle vie», enchaîne Laura.

«Au début, mes proches ne me voyaient plus», confie tout de même Valérie. Mais toutes deux tentent de poser des limites pour laisser une place à leur vie privée. Exemple, le mercredi soir: leurs chefs de service respectifs sont prévenus qu’elles sont injoignables.

Au programme: sport – vélo de préférence – pour Valérie, «c’est sacré», et clarinette pour Laura, qui joue depuis vingt ans dans la fanfare du village. Et elles ne s’empêchent pas de vivre leur vie le week-end: Valérie a dignement fêté ses 30 ans en boîte de nuit dans la capitale vaudoise.

Valerie Dittli, gauche, la nouvelle Conseillere d'Etat vaudoise pour le parti Le Centre, embrasse sa soeur Laura Dittli, droite, lors du deuxieme tour de l'election au Conseil d'Etat vaudois le dimanche 10 avril 2022 a Lausanne. (KEYSTONE/Jean-Christophe Bott)

Valérie (à gauche) et Laura Dittli tout sourire lors de l’élection de la première au Conseil d’Etat vaudois, le 10 avril dernier. Photo: Keystone / Jean-Christophe Bott.

«Nous sommes très proches»

Pendant l’entretien, Valérie et Laura multiplient les blagues et les éclats de rire. «Avec à peine une année d’écart, on a grandi ensemble et vécu les choses un peu au même moment. Nous sommes très proches, et pas seulement physiquement», sourit la première.

Et elles se soutiennent, comme lorsque l’aînée avait fait le voyage sans prévenir jusqu’à Lausanne pour soutenir sa sœur le dimanche du second tour de l’élection au Conseil d’Etat. La cadette lui a bien rendu, en l’accompagnant le jour de son élection.

Ce qui les différencie? Leur appétit pour les chaussures, de leur propre aveu. Alors que Laura ne les compte plus, Valérie a dû faire des emplettes après son élection; les baskets, ce n’était plus tellement bien vu pour une conseillère d’Etat…

Laura a visiblement le sens du détail plus prononcé. Elle n’a pas oublié d’accrocher son petit pin’s aux couleurs zougoises sur son blazer pour la photographie. Depuis qu’elle l’a oublié pour l’assermentation de sa sœur – et a finalement pu le rapatrier grâce au soutien de trois personnes –, elle ne le quitte plus.

Modestie paysanne

Si le goût pour le pouvoir des sœurs n’est pas héréditaire – le papa est agriculteur bio, la maman travailleuse sociale –, les débats étaient nourris à la table des Dittli. Avec le prix du lait et le salaire des paysans comme thème récurrent.

«On discutait de tout quand on était petites, c’était plutôt des choses concernant la société. On ne pensait pas politique à ce moment-là», explique Valérie. La présence dans l’entourage de la famille de Gerhard Pfister, celui qui est aujourd’hui le grand patron du Centre, n’est sûrement pas innocente à leur politisation.

«Mon papa est la personne la plus modeste que je connaisse, il n’a pas besoin de beaucoup pour être heureux», reprend Valérie, qui ne se voyait pas plus que sa sœur reprendre l’exploitation familiale. Entre leurs parents et elles, rien n’a changé depuis leur élection, si ce n’est une très grande fierté pour ce qu’elles accomplissent.

Valerie Dittli, future conseillere d'Etat vaudoise (gauche), est photographiee aux cotes de Vassilis Venizelos, Frederic Borloz, Isabelle Moret, Nuria Gorrite, Rebecca Ruiz et Christelle Luisier (de 2e gauche a droite), lors de la ceremonie d?installation et d?assermentation des membres du Grand Conseil et du Conseil d?Etat vaudois ce mardi 28 juin 2022 a la cathedrale de Lausanne. (KEYSTONE/Valentin Flauraud)

Valérie Dittli (tout à gauche) lors de la cérémonie d’assermentation du Conseil d’Etat vaudois, le 28 juin dernier à la cathédrale de Lausanne. Photo: Keystone/Valentin Flauraud

«Un modèle»

Les sœurs Dittli se voient-elles comme des exemples pour leur génération? «J’ai toujours essayé d’être un modèle pour les jeunes femmes. Pour moi, la meilleure voie pour cela est de montrer que quand on veut, on peut», souligne l’aînée.

«Nous avons toujours eu la chance de pouvoir faire ce qu’on aime, mais je crois que c’est aussi mon rôle de me battre pour davantage d’égalité», estime Valérie.

A commencer, peut-être, par des chamboulements dans la fonction. «Nous pourrions être les premières conseillères d’Etat enceintes. Et honnêtement, je ne sais pas si nous aurions droit au congé maternité. Ce n’est pas prévu dans nos contrats», sourit Valérie. «Il faut que tu ouvres la voie, comme ça, je n’aurai pas à me poser la question», chambre Laura en riant.

Conseil d’Etat vaudois: Valérie Dittli attaquée sur son passé fiscal

Selon une enquête de la RTS, l’élue du Centre Valérie Dittli a conservé son domicile principal à Zoug et n’a donc jamais été taxée dans le canton de Vaud. Ces révélations n’ont pas tardé à faire réagir.