Il y a comme un murmure de colère dans les travées du Parlement. Ce jeudi, le Département fédéral de l’intérieur (DFI) a annoncé l’ouverture d’une enquête administrative pour faire toute la lumière sur les contrats d’acquisition de vaccins contre le Covid. Surtout sur l’absence de clause évoquant la nécessité d’obtenir l’aval du Parlement pour leur financement. «Je n’aurais pas imaginé que cela puisse aller si vite et si loin. Cela chauffe manifestement», souffle une parlementaire.

Peu avant l’annonce du DFI, la commission des finances du Conseil national tirait à boulets rouges sur l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) après avoir rencontré les conseillers fédéraux Alain Berset et Ueli Maurer. Pour elle, la formulation de certains contrats est «si maladroite» que la souveraineté budgétaire du Parlement n’est pas garantie. Malaise.

C’est en effet le Parlement fédéral qui autorise l’administration à dépenser de l’argent en votant les budgets et ses éventuels suppléments. Un peu par hasard, les sénateurs ont découvert mercredi matin que cette règle n’avait pas été respectée et ils ont renvoyé une demande de supplément budgétaire au Conseil national.

«Ce ne sont pas des pièces de 5 centimes»

«Au départ, dans la commission des finances, nous avons interrogé le choix de commander 33 millions de doses pour un montant hors budget de 318 millions de francs, alors que plus de 500 millions avaient déjà été validés. C’est juste avant le débat aux Etats qu’on nous a dit que l’administration s’était déjà engagée financièrement sans notre aval», retrace la Fribourgeoise Johanna Gapany.

Pour quel montant? La question dérange. «Deux jours avant le débat de mardi, on nous a parlé de 40 millions de francs d’engagés sans autorisation. Mardi matin, de 220 millions. Ce ne sont pas des pièces de cinq centimes…», insiste la présidente de la Commission des finances du Conseil des Etats. Pour la libérale-radicale fribourgeoise, «au pire, ce montant sera de 318 millions de francs, soit ce qui a été demandé en supplément par le Conseil fédéral. Mais cette erreur doit servir de leçon.»

Questionnée sur le pourquoi du comment, sur le nombre de contrats en cause, le nombre de doses, les montants engagés ou encore la période de signature des contrats et les risques d’un gaspillage d’argent public, l’OFSP reste muet. Il se range derrière l’enquête confiée à l’ancien directeur du Contrôle fédéral des finances (CDF), Kurt Grüter.

Si le Parlement refuse de mettre l’argent à disposition et que les contrats ne peuvent donc pas être honorés, ce sera alors au Conseil fédéral de limiter les dégâts au maximum.

Ursula Schneider Schüttel, conseillère nationale fribourgeoise (PS)

«La situation est relativement grave et anormale. Nous ne sommes vraiment pas contents et le Parlement a raison de l’être. Ceux qui ont traité du dossier vont devoir expliquer leur décision et assumer. Ce sont des contrats très complexes, mais il y a des éléments de base qui ont été oubliés», raconte une source bien placée.

Membre de la commission et de la délégation des finances, Ursula Schneider Schüttel (PS, FR) détaille le problème auquel l’administration pourrait être confrontée. «Si le Parlement refuse de mettre l’argent à disposition et qu’elle ne peut donc pas honorer les contrats, ce sera alors au Conseil fédéral de limiter les dégâts au maximum. S’il n’y arrive pas, il pourrait demander ultérieurement un nouveau crédit complémentaire». Acceptable, mais gênant.

«Un certain bordel»

Ce vendredi, plusieurs élus très fâchés évoquaient le brouillard dans lequel est plongé le Parlement depuis mardi. L’un d’eux parle d’un «certain bordel». «Où y a-t-il eu un couac? Ça me dépasse… Plus on pose de questions, moins on comprend ce qui s’est passé. L’erreur a été admise, mais tout cela reste très frustrant.»

Une parlementaire juge le travail de l’administration «pas sérieux». Elle ajoute: «C’est malheureux pour la crédibilité de l’administration et du DFI en particulier. C’est dommage car les élus s’informent et, souvent, valident les choix… Maintenant, on se pose des questions sur ce qui a été signé auparavant.»

Selon plusieurs sources, les précédents contrats d’acquisition comprenaient toutefois cette fameuse clause.

Le point noir de Berset?

Contacté, l’organe suprême de surveillance financière de la Confédération indique n’être intervenu que ponctuellement dans le domaine de l’acquisition de vaccins et n’avoir jamais fait d’audit. «Cela dit, le CDF a consulté les contrats conclus avec les trois fournisseurs jusqu’en mai 2021 et recommandé à l’OFSP d’analyser différents risques plus en détail», affirme Michel Huissoud, l’actuel directeur du Contrôle fédéral des finances.

Parmi ces risques figure justement le respect de la souveraineté budgétaire. Pour plusieurs élus, cette histoire pourrait devenir le point noir d’Alain Berset, chef du DFI pourtant salué pour sa gestion de la crise.

Et maintenant? Après Pentecôte, les élus devraient être informés des résultats de l’enquête et tenteront de clore ce dossier d’ici la fin de la session, le 17 juin. Ursula Schneider Schüttel se veut rassurante: «Selon moi, c’est une erreur involontaire. Personne n’a intérêt à ce que le droit de réserve du Parlement ne figure pas dans les contrats. Il faut savoir ce qui s’est passé et éviter que ça ne se reproduise.» La Liberté

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