Il y a les «gros», qui auraient encaissé largement plus d’un million de francs. Et les plus «modestes», qui auraient gagné beaucoup moins.

Les suites de l’enquête menée par «ArcInfo» sur l’affaire du détournement de 10 millions de francs à la Banque cantonale neuchâteloise (BCN) révèlent les profils des investisseurs impliqués dans cette affaire et les montants qu’ils auraient perçus. Nous connaissons l’identité de la majorité d’entre eux, mais avons choisi de ne pas la divulguer.

Les investigations du journal neuchâtelois permettent également de comprendre comment ils percevaient l’argent gagné indûment.

Le principal prévenu de ce scandale est un ex-cadre de la BCN, licencié à la fin de l’année dernière. Il aurait permis à ce cercle d’investisseurs, une dizaine de proches, de s’enrichir illégalement en leur versant des gains réalisés grâce à ses opérations sur le marché des changes, entre 2013 et 2021.

Lui-même se reversait des commissions. Au total, ce sont près de 10 millions de francs qui auraient été subtilisés. La BCN a porté plainte en mars dernier.

Illustration: Pascal Claivaz

Si tous sont présumés innocents, ex-banquier comme investisseurs sont sous le coup d’une enquête pénale, avec différents degrés d’implication.

Six millions à deux

Nos recherches démontrent en effet que les premières estimations de la police et de la banque font état d’un montant de plus de trois millions de francs pour l’investisseur ayant perçu le plus d’argent. Il s’agit d’un patron de PME du bas du canton, active dans le bâtiment.

Un autre investisseur aurait touché un peu plus de 2,5 millions de francs. Il est actif dans le secteur automobile et dans l’immobilier, dans le Bas et au Val-de-Ruz.

A eux deux, ces clients auraient donc perçu un peu moins de six millions de francs, sur les dix millions subtilisés à la banque, à ce stade de l’enquête.

Cette affaire nous dépasse. Elle provoque un dégât d’images, et ce n’est pas de notre faute. Nous nous posons mille questions pour lesquelles nous attendons des réponses.

Le porte-parole de l’association philanthropique dont le prévenu était membre.

De manière générale, il apparaît que ce cercle d’investisseurs privilégiés était constitué de connaissances de l’ancien cadre de la BCN, qui leur aurait proposé ses services.

La majorité d’entre eux présente des points communs: ils sont domiciliés dans le bas du canton, ou travaillent dans le bas du canton, et les vallées. A notre connaissance, personne n’a de lien avec les Montagnes neuchâteloises.

Il s’agit de petits patrons ou d’indépendants, bien intégrés dans la société, relativement aisés, disposant donc d’une épargne suffisante pour pouvoir investir sur le marché des devises.

Dans ce cercle, on compte également un retraité et deux salariés du privé. Une ancienne personnalité du monde du sport est également concernée. Elle ne fait pas partie des clients de l’ex-banquier les plus impliqués et a cessé d’investir en 2015.

Illustration: Pascal Claivaz

«On se pose mille questions»

L’ancien cadre de la BCN a fréquenté certains d’entre eux dans le milieu du sport, ou dans le giron familial.

Surtout, c’est au sein d’un club service, une association philanthropique rassemblant des notables du Littoral, qu’il côtoyait une partie des coprévenus. Trois prévenus figurent encore sur la liste de ses membres.

Le principal prévenu, lui, a démissionné du club début septembre «d’un commun accord», selon la formule consacrée.

Cette décision a été la dernière en date à être communiquée aux membres, nous indique l’un d’entre eux, que l’on a prié de devenir porte-parole pour gérer cette crise.

«Cette affaire nous dépasse. Elle provoque un dégât d’images, et ce n’est pas de notre faute. Nous nous posons mille questions pour lesquelles nous attendons des réponses», nous explique-t-il.

Le club service assure ne pas être au courant de la présence d’autres prévenus parmi les siens. «Le principal prévenu a tissé des liens parfois privés, parfois professionnels, avec certains de nos membres. Mais je ne peux pas vous dire quel est le ressenti qui anime chacun d’entre eux.»

Des commissions très variables

L’avocat du principal prévenu contestait, dans une interview consacrée à «ArcInfo» début juillet, la somme de 10 millions de francs subtilisés à la banque.

Laurent Moreillon admettait par ailleurs que son client avait touché environ un million de francs et que ce dernier promettait de rembourser «ce qui est dû».

Selon plusieurs témoignages que nous avons recueillis, cette affirmation serait contraire à la réalité. Lorsqu’il retirait les gains réalisés sur le marché des changes, le principal prévenu s’octroyait des commissions allant de 10% à 50% des sommes gagnées, à titre de commissions, avant de restituer le solde à l’investisseur concerné.

Ils s’échangeaient une enveloppe, laquelle contenait parfois 20 000 francs, parfois plus, parfois moins.

Un proche de l’un de prévenus

Contacté, le procureur chargé de l’enquête, Nicolas Aubert, confirme qu’à ce stade des auditions, les versions des prévenus sont discordantes.

Illustration: Pascal Claivaz

Le bal des enveloppes

Ces témoignages diffèrent aussi sur la façon dont les gains étaient redistribués. Parfois, l’ex-banquier retirait lui-même l’argent en cash, un point qu’il conteste, et donnait rendez-vous à ses clients, généralement dans un bar du centre-ville.

«J’ai fait des gains. Tu viens les chercher ou je te les apporte?»: voilà le genre de message téléphonique que recevaient les clients de l’ancien cadre.

«Ils s’échangeaient alors une enveloppe, laquelle contenait parfois 20 000 francs, parfois plus, parfois moins.» «A coup de billets de 1000 francs, ça n’est pas très épais», témoignent deux proches.

D’autres fois, l’échange se faisait dans les murs de la BCN, parfois via des collaborateurs de la banque, dont c’est le travail de recevoir des clients et de leur remettre de l’argent. Nous ignorons si ces derniers étaient au courant de la provenance des fonds. Il arrivait aussi que des comptes numérotés, donc anonymisés, soient utilisés.

Confrontés à ces affirmations, plusieurs avocats de prévenus se réfugient derrière le secret professionnel, se contentant d’évoquer «la bonne foi» de leurs clients, lesquels «ont fait confiance» à un «banquier et à ses compétences».

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