«A mon âge, vous n’êtes jamais vraiment certain de ce qui vous attend», admettait Roger Federer, en juillet, après une défaite face à Hubert Hurkacz en quarts de finale de Wimbledon. Depuis, il a subi une troisième opération du genou droit après deux précédentes interventions en 2020, déjà. Entre l’âge – 41 ans le 8 août 2022 –, la longue pause forcée sans le moindre match et des adversaires toujours plus nombreux, ce retour au jeu s’apparente à un défi extraordinaire pour un joueur qui n’a jamais été ordinaire.

Son âge et sa blessure: davantage de temps pour revenir

En août 2022, lorsqu’il pourrait retrouver les courts – peut-être un peu plus tôt, voire un peu plus tard –, Roger Federer aura 41 ans. En tennis, un sport où la vitesse et l’explosivité sont essentielles, il s’agit d’un âge canonique pour un joueur normal. Soyons francs! A moins de s’appeler Roger Federer, il est quasi utopique d’être encore performant au-delà de 40 ans. «Il a quand même encore atteint les quarts de finale à Wimbledon en étant sur une jambe», rappelle Yves Allegro, ancien partenaire de double du Bâlois. «Sur deux jambes, ça restera possible.»

«Avec l’âge, les différents processus de récupération sont plus lents, retardant le retour à la compétition, mais Roger Federer a démontré, lors de précédentes blessures, qu’il savait se donner le temps avant de revenir sur un court», rappelle le Dr Pierre-Etienne Fournier, chef de service de la médecine du sport à la Clinique romande de réadaptation (CRR). «Il est suffisamment bien entouré, en termes de rééducation et de préparation physique, pour mettre toutes les chances de son côté.»

Un genou dégénératif est un genou qui peut présenter un début d’arthrose. Il est moins à même de supporter des charges.

Dr Pierre-Etienne Fournier, chef de service de la médecine du sport à la CRR

Très évasif au sujet de ses trois opérations du genou en moins de deux ans, Roger Federer n’a rien laissé transparaître quant à la nature du mal. Toutefois, certains médecins du sport évoquent un genou dégénératif, dû à des lésions méniscales, qui s’est dégradé au fil de microtraumatismes répétés.

«C’est tout à fait possible», confirme le Dr Pierre-Etienne Fournier. «Le cas échéant, c’est un genou qui peut présenter un début d’arthrose. Il est moins à même de supporter des charges qu’un genou sain. Le tennis, où les changements de direction sont nombreux et brusques, est moins adapté que le cyclisme où l’on pédale dans l’axe. Après trois opérations en si peu de temps, on peut en tirer deux conclusions: soit une pathologie de base s’est aggravée, soit c’est la conséquence de plusieurs événements indépendants les uns des autres. Cette deuxième option serait moins inquiétante.»

Son âge n’est donc pas forcément un obstacle. «Je lui laisse volontiers le bénéfice du doute par rapport à la connaissance qu’il a de son corps et de la gestion de ses précédentes blessures», acquiesce le Dr Pierre-Etienne Fournier. «Ce serait quand même exceptionnel et génial qu’il retrouve le tout haut niveau.»

Sa longue pause: rien ne remplace la compétition

Le Bâlois n’a joué que 6 matchs en 2020 et 13 en 2021, soit 19 rencontres en deux ans pour 14 victoires. C’est extrêmement peu. Mais il y a pire. S’il revient en juillet 2022 pour Wimbledon, ce qui n’est pas acquis, il sera resté une année complète sans disputer le moindre match officiel. Ce n’est peut-être pas rédhibitoire à 20 ans. Mais ça peut l’être à 41 ans. «L’âge n’est pas déterminant, même si c’est vrai que plus on vieillit, plus c’est difficile de revenir», nuance Patrick Flaction, préparateur physique de nombreux skieurs, notamment. «Rien ne remplace la compétition pour retrouver le rythme. Sa vraie limite, ce sera d’être suffisamment fort, physiquement, pour pratiquer son tennis. Techniquement, ce n’est pas un souci. Les coups, il ne les perd pas comme ça. Maintenant, l’expérience comble une partie du déficit physique. Est-ce que ça suffira pour battre les tout meilleurs? Je n’en sais rien, mais ce sera compliqué. Par contre, c’est probablement suffisant pour retrouver le plaisir du jeu et passer quelques tours.»

Avec l’âge, on perd en vitesse et en agilité. Or, son jeu est prioritairement basé sur ces qualités.

Patrick Flaction, préparateur physique

Avec les années, un sportif perd en vitesse et en agilité ce qu’il peut gagner en endurance. «Ce qui est gênant, pour lui, c’est que son jeu est prioritairement basé sur la vitesse et la précision de son jeu de jambes. S’il ne retrouve pas ces qualités, son niveau s’en ressentira. Ses coups seront moins précis. Heureusement, il a un préparateur physique (ndlr: Pierre Paganini) hors normes. Pour avoir une chance de réussir son pari, il ne doit plus ressentir de douleurs et pouvoir s’entraîner normalement.»

Le Dr Pierre-Etienne Fournier confirme qu’après avoir été éloigné aussi longtemps du jeu, «il faut un certain temps de compétition pour retrouver ses sensations. L’absence de matchs à haut niveau est un élément qui joue un rôle, probablement plus encore que l’âge.»

Reste que du temps, à 41 ans, Roger Federer n’en a plus beaucoup s’il veut encore être compétitif. «En ski, lorsqu’on se blesse à un genou, on estime qu’il faut une année, voire une année et demie pour revenir à son niveau précédent», relève Patrick Flaction. «En tennis, on ne doit pas être très loin de ce constat. Gagner un autre Grand Chelem, ça me paraît impossible. Je vois plutôt dans ce retour son amour du jeu, d’abord, et la volonté d’arrêter sur un court de tennis, une raquette entre les mains.»

«A ce niveau, l’absence de matchs références durant plus d’une année va compliquer sa tâche», craint Yves Allegro. «D’autant plus qu’il a un jeu explosif. Or, c’est plus difficile de s’appuyer sur cette qualité à 41 ans. Mais si quelqu’un est capable de retrouver très vite ses sensations, c’est bien lui. Contrairement à d’autres, il possède une panoplie de coups susceptibles de lui offrir des points gratuits là où d’autres doivent construire leurs points, à l’usure.»

La concurrence: des adversaires toujours plus nombreux

Ses adversaires historiques – Novak Djokovic et Rafael Nadal – sont toujours là. Quant à la nouvelle génération, qui n’était pas encore arrivée à maturité en 2019 lorsque Roger Federer a disputé sa dernière finale à Wimbledon, perdue après deux balles de match face à Djokovic, elle est désormais au sommet à l’instar de Daniil Medvedev, Alexander Zverev, Dominic Thiem et Stefanos Tsitsipas. Quant aux plus jeunes – Jannick Sinner, Felix Auger-Aliassime, Carlos Alcaraz et Alex de Minaur –, ce sont autant d’adversaires redoutables sur un match.

«Je ne crois pas que le niveau moyen du tennis soit supérieur, aujourd’hui, à ce qu’il était voilà deux ou trois ans», estime Yves Allegro. «La différence, c’est le nombre de joueurs capables de jouer à ce niveau. Ils sont plus nombreux. Là où il pouvait être assez tranquille jusqu’en quarts, parfois en demi, il risque d’avoir des matchs difficiles plus tôt dans le tournoi. Ça n’empêche pas, une fois, d’avoir un tirage favorable ou un concours de circonstances.»

Il reste capable de battre des joueurs du top 10. Ce sera plus difficile d’enchaîner les gros matchs.

Yves Allegro, ancien joueur de Coupe Davis

Le Grônard n’est pas trop inquiet par rapport à son niveau de jeu, le temps d’un match. Le problème sera peut-être d’enchaîner les rencontres. «Je le crois capable de battre des joueurs du top 20, voire du top 10. Ce sera difficile de répéter ces exploits en Grand Chelem, sur la longueur des cinq sets. Et encore faut-il que physiquement, il soit à 100%.»

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