Mieux que Franz Klammer en personne. Entre 1998 et 2012, Didier Cuche s’est imposé à six reprises sur la Streif: cinq victoires en descente (1998, 2008, 2010, 2011, 2012) et une en super-G (2010). Le maître historique de la Streif, c’est bel et bien lui, l’enfant des Bugnenets. Kitzbühel, il connaît. Et il raconte. Avec passion.

Sa première fois à Kitzbühel

«C’était en janvier 1996, je n’avais que 21 ans. Lorsque j’avais débarqué là-bas, mes coéquipiers m’avaient dit: «Ne défais pas tes valises! Si tu finis à l’hôpital, on pourra directement te les apporter. C’était la façon traditionnelle de chambrer les nouveaux venus sur la Streif. La première séance d’entraînement avait été terrible; les chutes s’étaient succédé, trois coureurs avaient été héliportés à l’hôpital. Et pour moi, avec mon gros numéro de dossard (ndlr: le No 48), l’attente avait été interminable. On avait pris une heure, une heure et demie de retard. J’ai hésité à redescendre en télécabine, mais j’ai finalement pris le départ, un peu de façon résignée, un peu par ego. A la sortie du Steilhang, je me suis fait le filet, j’ai perdu énormément de vitesse, et j’ai passé la ligne d’arrivée avec huit secondes et demie de retard sur le premier… mais j’ai levé les bras au ciel, comme si j’avais gagné. Ce qui a bien fait rire tout le monde! Le jour de la course, j’ai réussi à améliorer mon chrono de six secondes et je me suis classé 21e ou 22e, je ne sais plus (ndlr: 22e en 1’56’’88, à 2’’59 du vainqueur, l’Autrichien Günther Mader). Mais tout en signant le deuxième meilleur chrono dans le dernier secteur!»

Le trajet vers le Tyrol

«Je sortais directement de Wengen, qui m’avait rarement souri, je savais que le meilleur restait à venir. Au début, c’était mon serviceman Dany Vaquin qui conduisait; les six dernières années, c’était moi qui étais au volant, du fait que mon nouveau serviceman habitait en Allemagne. On se retrouvait sur place. Arrivé à Kitz, je me sentais bien, décontracté. A Wengen, j’étais sous pression, l’attente du public était énorme. Là-bas, durant les jours qui précédaient la course, les Autrichiens venaient vers moi et me disaient: «Cette fois-ci, tu laisses gagner nos gars!» Au fil des années, de chasseur j’étais devenu le chassé.»

L’hôtel

«Les premières fois, on logeait soit au Cheval-Blanc (ndlr: Weisses Roessl) soit au Schwarzer Adler. Puis, dès le début des années 2000, on a régulièrement pris nos quartiers au Schweizerhof (ndlr: à deux pas du départ de la télécabine du Hahnenkamm). On nous attribuait toujours des chambres donnant à l’intérieur du bâtiment, afin que nous puissions dormir tranquillement.»

Le cadre et l’ambiance

«Wengen et Kitzbühel, ce sont deux opposés. A Wengen, tu as tendance à lever la tête pour admirer le paysage; à Kitz tout est plus contrasté, c’est une petite ville. Mais sur les deux pistes, il faut du courage.»

Sa première victoire

«Janvier 1998 (ndlr: le 23, très exactement). C’était une descente sprint en deux manches. En raison du manque de neige, nous n’avions pas emprunté la fameuse traverse et le schuss final, mais la pente du slalom. J’avais gagné la première manche, j’étais parti en dernier lors de la seconde… et j’avais vu du vert à l’arrivée (ndlr: il s’était imposé avec respectivement 14 et 32 centièmes d’avance sur les deux Français Nicolas Burtin et Jean-Luc Crétier). J’avais hurlé de joie dans l’aire d’arrivée. C’était un cri de libération, car je savais d’où je venais; une année avant, en septembre 1996, je m’étais fait tibia et péroné en camp d’entraînement en Australie. A Kitz, ce jour-là, j’ai non seulement appris à gagner, mais aussi à jubiler.»

Son plus beau succès

«Sans aucun doute ma victoire de 2011. Je gagne la descente en 1’57’’72, avec 98 centièmes d’avance sur Bode Miller. Ce fut là ma manche la plus parfaite réussie sur la Streif. Surtout, j’avais gagné avec un ski sur lequel j’avais été secoué comme un prunier une semaine auparavant à Wengen. Juste avant de quitter l’Oberland, j’avais dit à mon serviceman: «Ce ski-là, t’as pas besoin de le prendre à Kitzbühel». Mais il l’avait tout de même pris! Et celui-ci s’était avéré le plus rapide à la cellule de tests… Je me suis laissé convaincre, je me suis forcé à le prendre… et j’ai gagné!»

La Mausefalle, le Steilhang, la Hausbergkante

«La Mausefalle est vraiment impressionnante mais, si tu veux aller vite, tu ne dois pas l’aborder avec un excès de respect. Le passage du Steilhang, lui, se prépare juste avant celui-ci, dans le grand virage à 180 degrés. Je me suis toujours laissé beaucoup d’espace à cet endroit-là pour tenter de dessiner un rayon suffisamment grand pour aborder ce passage clé avec le maximum de vitesse et en ressortir le plus vite possible. Arrivé à la Hausbergkante, et juste avant d’attaquer la traverse et le saut final, je ne sentais pas la fatigue, c’est l’adrénaline qui prenait le dessus.»

La peur

«Oui, j’ai eu peur. En 1996, lorsque je me suis retrouvé pour la première fois au départ de la Streif et que trois gars venaient d’être héliportés à l’hôpital. J’ai hésité à m’élancer. Mes coaches ont pensé que je faisais de l’humour, mais j’étais sérieux. Je tournais carrément de la boule! Après, durant toutes les années qui ont suivi, j’étais vachement tendu, ça oui, du moins lors du premier entraînement. Avec les années, je suis parvenu à me convaincre que j’avais les capacités pour dompter cette piste. Du reste, jamais je n’ai connu la chute sur la Streif.»

Le Londoner

(A l’évocation du bar le plus connu de tout Kitzbühel, là où les victoires se fêtent, il rigole) «Même les années où je n’ai pas gagné, j’y suis allé le soir après la course. Vous savez, quand vous servez des verres là le soir, c’est déjà une victoire… Je n’y ai jamais vu beaucoup d’Autrichiens! C’est Daniel Mahrer (ndlr: vainqueur sur la Streif en 1989) qui m’a fait découvrir l’endroit. Le Londoner, c’est un peu la seule fête que je me permettais durant toute la saison.»

A Kitzbühel, Didier Cuche ne passe jamais inaperçu. Photo: Keystone

Le retour sur les lieux de ses exploits

«A Kitz, j’y retourne chaque année. Dans les rues, dans la foule, je ne passe pas inaperçu… Quand je veux me rendre quelque part, je prends toujours suffisamment de marge. Surtout, je retourne ma veste et je mets mon capuchon sur la tête pour tenter de passer le plus incognito possible. Mais, au final, il y a toujours quelqu’un qui me reconnaît. Je crois que le public autrichien m’a toujours beaucoup apprécié.»

Alexandre Lachat, Le Quotidien Jurassien

La fiche de Didier Cuche
Naissance: 16 août 1974, à l’hôpital de Saint-Imier; a vécu toute son enfance aux Bugnenets.
Domicile: Sonvilier.
Etat civil: marié, 2 enfants.
Club: SC Chasseral-Dombresson.
Palmarès
Jeux olympiques: 2e du super-G en 1998 à Nagano.
Championnats du monde: 1er en super-G en 2009 à Val d’Isère; 2e en descente en 2009 à Val d’Isère; 2e en descente en 2011 à Garmisch-Partenkirchen; 3e en géant en 2007 à Are.
Coupe du monde: vainqueur de six petits globes de cristal (descente en 2007, 2008, 2010 et 2011; géant en 2009; super-G en 2011); 21 victoires (12 en descente, 6 en super-G, 3 en géant).
Ses victoires à Kitzbühel: descente en 1998, 2008, 2010, 2011 et 2012; super-G en 2010.

Didier Cuche: «Le jour de ma première victoire à Kitzbühel, j’ai appris à gagner, mais aussi à jubiler»

Le 23 janvier 1998, il y aura donc très exactement vingt-cinq ans lundi prochain, Didier Cuche signait à Kitzbühel la première de ses six inoubliables victoires sur la Streif.