La Super League passera-t-elle enfin à douze clubs, un projet déjà présenté plusieurs fois et systématiquement refusé? C’est l’une des questions à laquelle les vingt clubs de la SFL devront répondre, vendredi. La majorité des deux tiers, soit 14 voix sur 20, sera requise pour que l’augmentation de l’élite devienne effective après plusieurs années d’atermoiements.

Ce ne sera toutefois pas le seul objet soumis au vote. Les clubs devront aussi définir les contours de la future Super League à douze clubs, la tendance étant cette fois positive. Il est question de trois phases distinctes et, surtout, de l’introduction des play-off pour désigner le champion de Suisse, entre les deux premiers de la saison régulière, au meilleur des trois matchs.

Trois observateurs du football suisse ont débattu de ces divers points durant près de trois heures: Edmond Isoz, ancien directeur de la ligue suisse, Johann Lonfat, ancien international et, désormais, consultant à Teleclub, et Christophe Moulin, ancien entraîneur du FC Sion. S’ils sont assez largement favorables à l’augmentation de la Super League à douze clubs, dès la saison 2023-2024, ils sont beaucoup plus perplexes par rapport à la nouvelle formule imaginée pour relancer l’intérêt du championnat en cours de saison.

Le changement: il faut enlever un peu de pression sur les clubs

Le FC Lucerne risquerait la faillite, selon Edmond Isoz, en cas de relégation en Challenge League. © Keystone

Voilà bientôt vingt ans que la formule actuelle, soit dix clubs en Super League, quatre tours complets pour un total de 36 matchs, la relégation directe du dernier et un barrage pour l’avant-dernier, est en place. Pourquoi changer un format quand aucune autre formule idéale ne s’impose vraiment? «Voilà dix ans que l’on connaît presque systématiquement le champion, au plus tard, vers la mi-avril», relève Edmond Isoz. «C’est un vrai problème. A partir de là, que la ligue se pose la question de l’intérêt de la formule actuelle me paraît légitime.»

En tant que suiveur, je me réjouis que les équipes se tirent la bourre jusqu’à la fin.

Johann Lonfat, ancien international

L’ancien directeur de la ligue argumente son propos. «Aujourd’hui, les dix clubs de Super League ont un nouveau stade (ndlr: à Lugano, bientôt aussi), des équipes élites en juniors et des formations féminines. Ceux-là ont donc aussi des coûts importants, en termes de salaires notamment. Partant de là, ils ne doivent pas être relégués. Admettons que Lucerne tombe! Il risquerait la faillite. Un club qui est constamment sous pression est tenté de prendre des risques. Ces trois ou quatre dernières années, à six journées de la fin, la relégation concernait encore six ou sept équipes. Ce n’est pas sain. La finalité d’un tel changement, c’est d’enlever un peu de pression sur les clubs.»

«Je n’avais pas envisagé l’aspect économique et la viabilité des dix meilleurs», reconnaît Christophe Moulin. «En tant que suiveur, je me réjouis que la situation ne se décante pas trop vite», nuance Johann Lonfat. «Tant mieux s’il y a du suspense parce que les équipes se tirent la bourre jusqu’à la fin.»

«Cette saison, en Super League, nous avons les dix plus gros clubs historiques. La configuration est idéale», constate Edmond Isoz. «Si ça ne tenait qu’à moi, il n’y aurait pas de relégation directe, juste un barrage entre le 10e et le champion de Challenge League.»

Dix ou douze clubs en Super League: l’élite sera augmentée

Lausanne, en cas d’augmentation de la Super League à douze clubs, devrait revenir dans l’élite dans douze mois. © Keystone

La question est récurrente. Elle occupe les dirigeants de la SFL depuis plusieurs années. Jusque-là, la tentative d’augmenter la Super League à douze clubs s’est systématiquement heurtée aux conditions du vote. Il faut en effet que les deux tiers des clubs – soit 14 sur les 20 que compte la SFL – adhèrent. Après plusieurs essais avortés, il semble que cette option passera la rampe vendredi. «Oui, ce sera accepté», pronostiquent-ils unanimement.

Edmond Isoz pose une bonne question. «Combien de clubs peuvent être professionnels en Suisse? Douze ou quatorze, pas plus. Les autres n’ont rien à faire en Super League, soit parce qu’ils n’ont pas de stade moderne, soit parce qu’ils n’ont pas de public. Il y a des clubs, en Challenge League, qui n’intéressent personne parce qu’il n’y a pas de tradition. Douze, c’est bien si l’on parvient à ôter un peu de pression vis-à-vis de la relégation.»

Il est facile d’énumérer les douze ou treize clubs qui ont le potentiel pour évoluer dans l’élite.

Edmond Isoz, ancien directeur de la ligue suisse

Johann Lonfat acquiesce. «C’est vrai qu’à douze, un club comme le FC Sion serait plus tranquille.»

En résumé, la Suisse a désormais le potentiel pour douze clubs dans l’élite? «Oui parce que la différence entre le 7e et le 12e, désormais, n’est plus si importante», constate Edmond Isoz qui s’appuie sur une statistique intéressante. «Depuis trente-cinq ans, treize clubs ont joué au moins seize saisons en Super League. Le quatorzième, Bellinzone, n’en a que six. Partant de là, c’est facile d’énumérer les clubs qui ont le potentiel d’évoluer dans l’élite et ceux qui doivent se contenter de la Challenge League en tenant compte de divers facteurs.»

Les trois phases: un format artificiel qui ne convainc pas

Le FC Sion, ces dernières saisons, aurait quasi systématiquement figuré dans le deuxième groupe au terme de la première phase. © Keystone

Accrochez-vous! Après une première phase – «First Stage» – de deux tours, soit 22 matchs, les douze équipes seront réparties en deux groupes de six tout en conservant leurs points. Les six premiers intègrent le «Championship Group» et les six autres le «Qualification Group». A partir de là, chaque équipe dispute dix matchs supplémentaires, un mini-championnat aller-retour.

Au terme de ces 32 rencontres, les deux premiers du «Championship Group» disputeraient la troisième phase: «Championship Finals». Plus simplement écrit, un play-off au meilleur des trois matchs pour désigner le champion de Suisse.

Les quatre autres équipes du «Championship Group» et les quatre premiers du «Qualification Group» se disputeraient les autres places européennes via des quarts de finale, demi-finales et une finale en une seule rencontre.

Enfin, le dernier du «Qualification Group» serait relégué en Challenge League. L’avant-dernier disputerait un barrage aller-retour contre le 2e de deuxième division. «Cette deuxième phase avec deux groupes de six, ce n’est pas du tout dans l’esprit», regrette Edmond Isoz. «Elle ne rime à rien.»

Cette formule artificielle sert juste à jouer davantage de matchs.

Christophe Moulin, ancien entraîneur du FC Sion

«J’ai le sentiment d’une formule artificielle imaginée juste pour jouer davantage de matchs», corrobore Christophe Moulin. «Et l’équité sportive d’une telle formule, on en parle?» questionne Johann Lonfat. «On crée une société à deux phases. Ce n’est pas nouveau, je vous l’accorde», reconnaît Edmond Isoz vis-à-vis de la formule Rumo. «Mais à l’époque, il n’y avait pas la concurrence des championnats étrangers et de la Ligue des champions. Excusez-moi, mais quand je regarde certains matchs de Super League, je m’emm… Je zappe volontiers sur un match de Premier League anglaise. Aujourd’hui, les gens peuvent choisir. Ils ne regarderont pas le match entre le 8e et le 10e en Suisse. Jusqu’aux play-off, c’est surtout du remplissage. Pire, on rajoute une pression artificielle alors qu’à douze, ça permet justement de la limiter.»

Un danger sur le plan économique et sportif

Christophe Moulin préférerait «relancer l’intérêt du championnat en présentant du spectacle sur le terrain plutôt qu’en imaginant des formules».

«Le problème, c’est qu’à douze, il n’y a pas de formule idéale», relève justement Edmond Isoz. «Pour les clubs, ce qui importe avant tout, c’est qu’ils puissent planifier leur saison et avoir des recettes garanties. Or, avec ces trois phases, ce n’est pas possible.»

«Trois tours, soit 33 matchs, c’est difficilement envisageable», questionne Johann Lonfat. «Non, c’est possible. D’ailleurs, quelques pays en Europe ont adopté ce format», précise Edmond Isoz. «Vous dites que ce ne serait pas très équitable. Parce qu’une barre qui sépare les six premiers des six autres est plus juste? Non, la deuxième phase est un danger sur le plan économique et sportif. Elle va coûter de l’argent et ne laissera pas de place aux jeunes.»

Non aux play-off pour désigner le champion, mais…

Karol Mets et Assan Ceesay exultent pour le titre de champion du FC Zurich qui ne passe pas encore par les play-off. Keystone

La nouvelle mouture du championnat prévoit des play-off pour désigner le champion. Les deux premiers classés au terme des deux phases initiales, soit trente-deux rencontres, se disputeraient le sacre sur une série au meilleur des trois matchs. Johann Lonfat et Christophe Moulin affichent une opposition affirmée à cette approche. «Jouer un titre de cette manière est inéquitable et aléatoire. Zurich possède près de vingt points d’avance cette saison. Des blessures pourraient le priver de ses trois meilleurs joueurs pour cette phase cruciale ou pour un seul des matchs. Ce serait totalement contre toute éthique de décerner un titre de cette manière.»

Edmond Isoz avoue une opposition similaire en intégrant l’approche purement sportive. «Mais la ligue doit s’interroger sur l’attractivité de sa compétition. Elle doit tenter quelque chose pour la relancer après plusieurs saisons durant lesquelles le champion est connu plusieurs semaines avant le terme de la saison. L’introduction de play-off réjouirait surtout le détenteur des droits de diffusion. Je comprends cette tentative même si je n’y adhère pas.»

Christophe Moulin et le FC Sion avaient joué leur saison sur le barrage de promotion relégation disputé contre Neuchâtel Xamax en 2006. «Le contexte était totalement différent. Nous avions terminé deuxièmes de Challenge League, le premier classé avait été promu directement.» Johann Lonfat tient sa position tranchée. «L’attractivité ne me convainc pas comme ancien joueur.»

Didier Crettenand est devenu champion grâce aux play-off

Didier Crettenand tient solidement la Coupe de champion de l’United Soccer League conquise comme entraîneur assistant de l’Orange County Soccer Club. DR

Les play-off pour le titre ont propulsé Didier Crettenand et l’Orange County Soccer Club au sommet de l’United Soccer League, la deuxième division du continent nord-américain. Quatrième de sa conférence, l’équipe du Bovernion a franchi les quatre étapes des séries pour s’imposer en finale. Chaque tour se jouait sur une seule rencontre. L’équipe possédant le plus de points en saison régulière évoluait à domicile.

«Le but de la saison était de se qualifier dans les quatre premiers afin de nous assurer au moins un match à domicile en play-off», explique l’un des entraîneurs assistants de la franchise californienne. «Cela allège énormément la pression durant la première phase qui compte trente-quatre journées. Tu commences ensuite un autre championnat. Nous avons traversé des moments compliqués, le coach a été licencié et malgré cela nous sommes allés au bout. A six journées de la fin de la première phase, nous perdons 1-4. Nous provoquons la discussion, nous enchaînons quatre blanchissages sur les cinq dernières journées. La formule a fait le reste. Tu sais ce qui t’attend dès le début de saison. La fin est plus pimentée.»

Lors de sa première saison américaine, son équipe avait terminé en tête avant les play-off avant de sortir au premier tour ensuite. «Cette pratique, qui passionne les Américains, s’oppose à la culture européenne. Je ne sais pas si elle prendra en Suisse.»

La réussite de la formation dépend plus des hommes que de la formule

Ardon Jashari s’affirme à 19 ans au sein du FC Lucerne qui lutte pour le maintien en Super League. Keystone

Comment le football suisse peut-il maintenir la qualité de sa formation avec une Super League à douze équipes? «Dans une telle configuration, le modus le plus favorable pour la formation est une saison à trente-trois matchs sans séparation en deux groupes en cours de saison. La barre ne fera qu’instaurer une pression artificielle. Les entraîneurs qui se battront pour terminer dans les six premiers ne lanceront pas de jeunes», soulignent Edmond Isoz et Johann Lonfat.

«Plus que la formule, la ligne de conduite du club détermine l’ouverture donnée ou non aux jeunes. La direction du club et l’encadrement technique sont plus déterminants que la formule», ajoute Christophe Moulin. Ses deux coéquipiers du jour le rejoignent totalement. «Les personnes qui dirigent les clubs exercent plus d’influence que les modes de compétition.»

Johann Lonfat relève l’exemple du FC Lucerne qui s’engage pour le maintien avec Jashari, un milieu de terrain de 19 ans. «Si ton président te dit «vas-y» et te soutient, tu le fais sans souci. Je connais beaucoup de présidents qui ne fonctionnent pas de cette manière», relève Edmond Isoz. «Une question résume cette approche: qui sont les présidents et l’entraîneur? La réalité est là», livrent-ils en conclusion commune.

Football: les clubs suisses rejettent les play-off, la formule écossaise adoptée

Les play-off ne seront finalement pas introduits dans le championnat suisse. Les clubs de Super League et de Challenge League ont décidé d’opter pour le modèle écossais.