Ce petit mammifère solitaire, dépourvu de toute velléité territoriale, sillonne le Valais, depuis la plaine du Chablais jusqu’au milieu de la vallée de Conches, ainsi que les vallées latérales à hauteur de 1000 mètres, avec une incursion remarquée à Zermatt. Les hérissons nous sont familiers, ne serait-ce que par la vision désolante de leurs cadavres démantibulés sur le bitume.
Mais connaissez-vous l’incroyable cycle de vie de cet insectivore utile et inoffensif? Jadis emblématique de la vie rurale, il adopte aujourd’hui le statut de réfugié en zones urbaines.
Il voit le jour dès le mois de mai dans une portée de 2 à 7 petits pesant de 10 à 25 grammes, roses, sourds et aveugles. Au bout de quelques heures, le voilà qui se couvre d’une centaine d’épines molles de quelques millimètres.
Un premier hiver décisif
Des piquants de lait, remplacés dans les trois semaines qui suivent par de pointus piquants bruns. Vingt-cinq jours plus tard, les petits osent déjà l’expédition nocturne.
A la froide saison, vient l’heure d’hiberner. Sa température corporelle descend en dessous 5 degrés et ses pulsations diminuent de 180 à moins de 10 battements de cœur. Il se met progressivement en pause en attendant le retour des beaux jours. Mais sur la portée de cinq petits, seul un voire deux passera le cap d’un an.
Le biologiste Nicolas Dulex nous éclaire sur les chances de survie du hérisson, l’ami des jardiniers, mais aussi des infatigables bénévoles de l’association valaisanne «Sauve Qui Pique».
Citadin par nécessité
En squattant les parcs publics ou les jardins, le hérisson échappe à ses prédateurs naturels mais se confronte aux réalités de la vie des hommes.Volkmar Gubsch de Pixabay
En abandonnant la clé des champs pour celle des jardins de nos villages et agglomérations, le hérisson n’a pas trouvé Byzance. Aussi craquant et utile soit-il. En une nuit, ce petit mammifère peut croquer son lot de chenilles, limaçons, des asticots, chenilles et autres larves d’insectes. Quelques mollusques, vers et gros coléoptères confortent son solide appétit à condition toutefois que l’ami jardinier de son terrain de chasse préféré ne soit pas abonné aux poisons antilimaces.
Le repli du hérisson se passe en plusieurs phases. Au moindre signe de danger, il dresse les piquants de son dos. Si le danger persiste, il penche sa tête en avant et y rabat ses piquants. Si on le touche, il se met en boule, la tête dépasse encore mais sur le sol, elle est inaccessible. Si on le retourne, il rentre alors très rapidement sa tête. «Il utilise la musculature de son dos pour se mettre en boule, comme une capuche quand on tire les cordons, précise le biologiste Nicolas Dulex. Il peut rester des heures dans cette position défensive. Le blaireau et le grand-duc ont la capacité de pouvoir traverser les piquants du hérisson sans se blesser. Les renards et chiens doivent faire preuve d’habilité pour surprendre leur proie, avant son repli complet.
Contraint de fuir la nature
Mais pourquoi s’invite-t-il de la sorte dans nos jardins? «Pour s’épanouir, ce petit insectivore a besoin d’espaces agricoles non intensifs, bien structurés avec des réseaux de haies et de bosquets», nous explique le biologiste Nicolas Dulex. S’il fut un temps où les campagnes et lisières de forêts suffisaient à son bonheur, cette époque est révolue.
«L’intensification des cultures, le développement des monocultures, la généralisation des pesticides l’ont privé d’un espace conforme à ses besoins, en termes de diversité d’habitat, de nourriture et de cachettes pour fuir ses prédateurs naturels.»
Mais en se réfugiant à proximité des hommes, le hérisson s’est retrouvé confronté à la densification des habitations, l’implantation de clôtures infranchissables, l’extension permanente du réseau routier ainsi quel’entretien tip top propre en ordre de nos jardins.
Un eldorado pour le hérisson avec ses bandes herbacées non fauchées et son indispensable point d’eau. Christina Meissner
«L’évolution récente de l’agriculture vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement pourrait aider le hérisson à regagner la campagne. S’il n’y a pas de mesures ciblées pour cette espèce, ces derniers profitent néanmoins de projets de revitalisation et d’aménagements pour la petite faune, tels que les crapauducs pour le franchissement des routes ou l’aménagement de structures comme des tas de branches. Chacun peut aussi mettre en œuvre des mesures très simples dans son jardin, pour favoriser la pérennité de cette espèce.»
Victime du trafic routier
Quand le hérisson se réveille au printemps, peu fringant et affamé après une longue hibernation, il est obnubilé à l’idée d’aller croquer la limace pour se requinquer avant de partir en quête d’une hérissonne à son goût. Et c’est à ce moment-là que les choses se corsent. Nocturne, l’insectivore déambule dès le crépuscule. Sa vue étant floue, son ouïe et son odorat très développés sont ses meilleurs alliés.
Porte-parole du hérisson, le biologiste Nicolas Dulex, responsable du volet «mammifères» au bureau d’écologie appliquée Drosera SA à Sion, est aussi un remarquable photographe animalier. Une passion à découvrir sur son site www.nicolasdulex.ch. Drosera
En vadrouille, le hérisson adopte de façon naturelle une tactique consistant à longer des structures linéaires comme il le faisait autrefois en zone rurale. Il trottine le long des haies et bosquets où se réfugier à la moindre alerte et explore les alentours pour se rassasier.
Quand il n’y a plus d’issue, le voici contraint de traverser la barrière du bitume. «Le hérisson n’est pas un champion de la course et une forte source lumineuse comme des phares de voiture suffit à le figer.» Et c’est l’impact.
«C’est malheureusement souvent le constat de hérissons écrasés sur une route qui nous indique sa présence à cet endroit. Et plus il y a de hérissons écrasés dans une région, plus la population est nombreuse, c’est une question de proportionnalité. Ne plus en observer dans une région où il est familier d’en rencontrer deviendrait alors inquiétant.»