«On espère vivement que le public jouera le jeu. Que la solidarité exprimée durant le confinement se traduise en actes. On a beaucoup victimisé les artistes. C’est maintenant qu’on a besoin de vous!» Porte-voix du Festival Encirqué!, la fildefériste Estelle Borel jette ses émotions sur la table.

C’est que la manifestation, vitrine de ce qui se fait de mieux en matière de cirque contemporain, a bien cru devoir capituler face au Covid. C’était sans compter la motivation de Sarah Simili et de ses acolytes bien résolus à exister. Prévu initialement en décembre, le festival a l’heur de s’épanouir depuis mardi soir et jusqu’à dimanche dans l’enceinte du TLH à Sierre.

Je suis féministe. J’ai envie de donner une visibilité aux femmes artistes.

Sarah Simili, chorégraphe et instigatrice du festival Encirqué!

La femme au centre

Marque de fabrique de cette 4^e édition, une tonalité très féminine apportée par le Collectif de circassiennes suisses auquel appartient Sarah. «Je suis féministe. J’ai envie de donner une visibilité aux femmes artistes. Mais les créations proposées sont avant tout des coups de cœur personnels comme «Circus Remix» de notre invitée Maroussia Diaz Verbèke. C’est un honneur de l’avoir ici.»

«Circus Remix» tourne depuis 2017. © Philippe Laurençon

La Française, acrobate et chercheuse en sciences circassiennes, présente mercredi et jeudi son solo à succès créé en 2017. Un one woman show intense de deux heures, entièrement muet, censé exemplifier ce qu’est le 3^e cirque.

Formée à l’école nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois, la jeune femme a su très tôt qu’elle ferait de la piste aux étoiles son métier. Après avoir repoussé loin les limites du cirque contemporain, elle revient depuis quelques années à une voie médiane. «J’avais envie de retrouver le lien avec l’histoire du cirque», confie-t-elle entre deux figures à la corde molle, son accessoire de prédilection.

Sans parole

«Circus Remix» est donc conçu comme une succession de numéros, réminiscence du cirque traditionnel. Mais à la place de Monsieur Loyal annonçant la suite des festivités, un patchwork d’un millier d’extraits d’archives radiophoniques.

Ne pas nommer, c’est risquer de disparaître.

Maroussia Diaz Verbèke, acrobate et chercheuse

«Cela fait directement référence au fameux décret de 1812 qui a banni la parole du cirque, celle-ci étant réservée au théâtre notamment. J’ai pris le parti de ne pas dire mot pendant le spectacle», explique la funambule drapée de noir, qui a aussi choisi d’évoluer dans un cercle. «Ce dispositif scénique permet de faire corps avec le public. Il y a une vraie interaction entre lui et l’artiste qui est dans une forme de vulnérabilité.»

Cent quarante chanceux peuvent garnir l’arène – mimant la piste circassienne, boule à facettes en sus – montée dans la grande salle du TLH. A l’heure de notre rencontre, dans l’atmosphère fébrile des ultimes répétitions, difficile de se figurer encore le résultat final, mais la facilité déconcertante avec laquelle la filiforme acrobate chemine sur son morceau de chanvre laisse pantois.

Nommer pour exister

Maroussia Diaz Verbèke est aussi une esthète des mots. Sa croisade: élaborer un lexique propre au cirque. D’où l’invention du néologisme «circographie» pour décrire l’écriture et l’élaboration d’un spectacle de cirque. «Ne pas nommer, c’est risquer de disparaître», plaide la chercheuse pour qui le cirque peut avoir un langage propre.

Ses spécificités? Une non-linéarité avec une variété de thèmes abordés, l’ancrage dans la réalité puisque l’artiste vient avec sa vraie identité et non travesti par un personnage ou encore une grande accessibilité du fait d’une parole tout à fait périphérique. «Le sujet n’est pas le texte, il n’y a donc pas de barrière de la langue», se plaît à relever notre invitée avant de filer se ressourcer dans les vestiaires.

Programme foisonnant

Son spectacle est forcément un incontournable du festival Encirqué!, mais le reste de la programmation a fière allure. Avec un savant mélange de créations locales et internationales. Les circassiens valaisans seront à l’honneur dans «Kaléidoscope», à découvrir dimanche (19 heures) avec en ouverture les jeunes pousses de l’école Zôfy de Charrat.

Les familles sierroises impliquées dans le projet Cirqu’Ensemble et Cirqu’en famille présenteront samedi et dimanche «Forêt», conte écologique, fruit de leur collaboration avec des artistes professionnels. «Ils sont 30 participants qui n’ont rien lâché malgré l’arrêt forcé dû au Covid. Aujourd’hui, on forme une vraie troupe», se réjouit Sarah Simili.

Autant d’initiatives qui montrent la vitalité du cirque contemporain en Suisse, encore éperonnée par les expériences avant-gardistes d’une Maroussia Diaz Verbèke. «Ses recherches sont bénéfiques en termes de reconnaissance aussi, car il n’y a pas encore assez de chercheurs et chercheuses dans le domaine», note l’ancienne présidente de la Fédération suisse des écoles de cirque. «Qui sait, peut-être qu’un tiroir «cirque» verra bientôt le jour chez Pro Helvetia?» Voilà son directeur Philippe Bischof mis au parfum.

Infos pratiques

Billetterie et réservations: www.tlh.ch ou au 027 452 02 90. Informations: www.encirque.ch

La crème du cirque contemporain en démonstration à Sierre

La 4e édition du festival Encirqué! vibrionne au TLH-Sierre. Une manifestation pointue mais rassembleuse qui esquisse ce que sera le cirque de demain.