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Coronavirus: les libraires indépendants au chevet de leurs clients

Leur boutique fermée, les acteurs valaisans du livre ne chôment pas. Les commandes par internet affluent sans renflouer le tiroir-caisse. Au-delà du cash, l’enjeu est avant tout de garder le lien avec la clientèle.

07 avr. 2020, 17:30
Yasmina Giaquinto du Baobab privilégie la petite reine pour livrer ses clients de Martigny et environs. Un service de proximité.
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«Parfois, je me sens dans la peau d’une dealeuse, comme si on était revenus à l’époque de la prohibition.» Directrice et fondatrice de la Librairie du Baobab à Martigny, Yasmina Giaquinto ne compte plus ses heures pour satisfaire sa fidèle clientèle. Son site internet croule sous les demandes depuis qu’elle a dû fermer boutique, pandémie oblige.

Pour ne pas surcharger un service postal au bord de l’implosion, elle sillonne autant que possible la cité octodurienne et ses environs à bicyclette électrique, déposant dans les boîtes à lait des colis très attendus. Certains lecteurs viennent directement chercher leur «came» sur le seuil de la boutique, moyennant les précautions d’usage.

 

 

En ces temps de semi-confinement, lire tient de la catharsis pour bien des esprits tourmentés. «C’est ma manière de contribuer au bien-être général. Si je ne regardais que le tiroir-caisse, je ne me serais pas lancée, mais c’est important de maintenir un lien, de montrer qu’on est là.»

Le livre, cataplasme de l’âme

La santé mentale, un enjeu majeur pour Françoise Berclaz de la librairie La Liseuse à Sion. Si elle l’avait pu, la Sédunoise aurait même gardé son commerce ouvert comme l’avait demandé le député PLR genevois d’origine valaisanne Jean Romain. «Les livres sont soumis au même taux de TVA que les biens de première nécessité. Comme les autres magasins, on aurait très bien pu filtrer les entrées en respectant les règles de distance sociale. Dans ce climat anxiogène, les livres permettent de rêver et de s’évader. C’est essentiel.»

«La lecture est une forme d’hypnose en ces temps angoissants.»
Françoise Berclaz, responsable de La Liseuse à Sion

Pas étonnant dès lors que les romans sentimentaux tiennent chez elle le haut du panier. Tout comme les classiques – Camus, Dumas, Proust, etc. – des «pavés» qui ont droit à leur séance de rattrapage. «Les ouvrages sur le nazisme et les totalitarismes sont aussi très demandés, à un moment où ressurgissent les peurs et où la rhétorique martiale s’impose dans les discours politiques», relève Françoise Berclaz, qui voit dans la lecture une forme d’hypnose rassérénante.

Chez Des Livres et Moi à Martigny, Nathalie Romanens ne note pas de grand changement dans les goûts de ses lecteurs. «C’est très éclectique. On va du livre pour enfants au polar, en passant par le manuel d’apprentissage linguistique.» Des ouvrages qu’elle a hésité un temps à faire transiter par la poste pour ne pas exposer les facteurs. «Mais je me dis qu’un livre, qui est une nourriture affective et offre un voyage spirituel, a plus de légitimité à être livré qu’un cabanon de jardin en kit.»

Un service, mais chronophage

Le bricolage, le libraire valaisan s’y adonne pourtant d’une certaine façon depuis le brutal coup d’arrêt du 16 mars. Sur tous les fronts, il doit aussi bien enregistrer les commandes par mail, téléphone ou WhatsApp, en gardant un œil vigilant sur les stocks, que les emballer et les expédier. «Ça nous occupe matin, après-midi et soir. Il y a énormément de paramètres à gérer. Administrativement et logistiquement, c’est très lourd», confie Cédric Giovanola qui tient les rênes de la librairie montheysanne A l’Ombre des jeunes filles en fleur depuis plus de quinze ans.

Partisan d’un confinement total, il s’est «résigné» en quelque sorte à livrer sa clientèle. Mais il s’évertue à réduire au minimum les envois postaux, privilégiant le vélo ou un système de permanence sur le parking central du chef-lieu chablaisien.

«C’est surtout un service que l’on rend aux gens.»
Cédric Giovanola, propriétaire de la librairie A l’Ombre des jeunes filles en fleurs, à Monthey

«C’est clair que ça ne comble pas nos pertes, avec moins de 5% de notre chiffre d’affaires habituel réalisé. C’est surtout un service que l’on rend aux gens. Les clients sont là pour nous, on se doit d’être là pour eux», détaille le propriétaire qui ne se sent pas pour l’instant en péril. «Mais il va falloir serrer les fesses car la reprise ne se fera pas en un jour», image notre indépendant qui a sollicité un prêt urgent de la Confédération, «une poire pour la soif».

Du cash pour limiter la casse

Car le cheval de bataille actuel de tous les libraires est bien de disposer de liquidités suffisantes pour boucler les fins de mois. Tous ont fait une demande de chômage partiel pour leurs employés. Les plus «chanceux» puisent dans leur bas de laine, d’autres comptent sur la bienveillance de bailleurs pour consentir à des baisses de loyers. «On a fait la démarche, on attend une réponse», explique Nathalie Romanens. Plus heureuse, sa voisine du Baobab ne devra s’acquitter que de la moitié des mensualités jusqu’à la réouverture de son commerce octodurien.

«On sent un vrai élan de solidarité. C’est toute une chaîne qui resserre ses maillons», commente Yasmina Giaquinto qui travaille à rapprocher les différents libraires du canton. «On s’échange de bons conseils entre commerces, même si fédérer des indépendants n’est par essence pas évident.»

Solidarité en actes

Les nouvelles plateformes solidaires telles qu’ Ensemble19 ou DireQt, assurant aux commerçants une entrée financière sous forme de bons ou de dons, font l’unanimité des librairies qui ne se bercent pas d’illusions pour autant. «Ce sont trois petits sous mais l’initiative est à saluer», réagit Cédric Giovanola. Pour qui la vraie solidarité se manifeste d’abord par les commandes de ses clients.

Mais les «petits» indépendants peuvent-ils régater face à des géants mondiaux comme Amazon ou à des poids lourds comme Payot qui vient de réactiver son service en ligne? «On n’est pas en compétition. Chaque enseigne a son cœur de cible. On joue la carte de la proximité», coupe Nathalie Romanens qui redouble d’activité sur les réseaux sociaux en distillant des coups de cœur et autres suggestions personnalisées de lecture.

 

 

 

Si elle exploite encore peu les canaux digitaux, Françoise Berclaz, trente-sept ans d’activité au compteur, entend bien y remédier dans le futur. Un futur qui s’inscrit pourtant en pointillé. «Comme libraires, on est habitués à lutter pour survivre. On n’est donc pas totalement démunis.» Un combat, un de plus, sans doute le plus délicat.

 

Un tour de chauffe

Nichée au cœur de Sion, elle avait dû baisser pavillon le 24 mars dernier. Mais La Bulle 2.Ø, spécialisée dans la BD et le livre d’occasion, reprendra les livraisons dès lundi prochain. «Même si on la pressentait, la fermeture nous est tombée sur la tête. On a accusé le coup, on a eu besoin d’un peu de temps pour réagir, et assurer un service de qualité, respectueux aussi des normes sanitaires», explique Mohan Bianco, collaborateur de la jeune enseigne ouverte en septembre 2018.
Les commandes seront groupées et confiées notamment à CargoBike. «Financièrement, ce sont des rentrées, et surtout, les gens montrent qu’ils ne veulent pas qu’on disparaisse, c’est touchant.» Un pis-aller bienvenu avant une réouverture espérée au mois de mai.
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