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Coronavirus: "diffusion de la responsabilité". Par Yves Gaudin

Une douzaine de personnalités issues de générations, de milieux socio-professionnels différents livrent pour "Le Nouvelliste" leurs pensées sur l’impact social de l’expérience collective que nous vivons, et sur le temps d’après, quand la vie reprendra, sans doute différemment d’avant.

23 mai 2020, 12:00
Yves Gaudin, Docteur en psychopathologie Clinique.

La scène se passe à New York en 1964.  Kitty Genovese, une jeune femme de 29 ans, rentre chez elle. Elle se fait accoster par un inconnu et, sentant le danger, se met à crier. En rien épouvanté, l’homme la poignarde à plusieurs reprises. Et puis s’en va. Et puis revient. Pour la dévaliser. La violer. Et la ruer de coups mortels. Le quartier est habité. Les fenêtres sont closes mais les cris puissants. L’enquête de police révèlera d’ailleurs que 38 témoins ont clairement entendu le meurtre –qui a duré, depuis les premiers cris jusqu’à la mort, 1 h 30. Les jours qui suivirent, la presse, l’opinion publique et les politiques s’en sont violemment pris aux témoins, les accusant de «non-assistance à personne en danger».

Deux psychologues sociaux, Darley et Latane1, étudieront cette affaire et mettront en évidence ce qu’ils appelleront «l’effet du témoin». Ils conclurent que «la probabilité de secourir une victime est plus élevée si l’intervenant se trouve seul». Cet effet, peut-être contre-intuitif, s’expliquerait par l’idée d’une diffusion des responsabilités. Si de nombreuses personnes sont présentes (témoins), elles semblent reporter le comportement salvateur sur un autre intervenant. Par la suite, plusieurs expériences ont mis en lumière cet effet et, dans la réalité de nombreux cas, tragiques, l’ont démontré.

 

Si la Chine s’individualise, ce n’est pas tant que les valeurs ont changé.
Yves Gaudin, Docteur en psychopathologie Clinique

 

Récemment, dans le Guangdong (en Chine), une fillette a été heurtée à deux reprises par de lourds véhicules. Dans un état critique, allongée sur le sol et à demi morte déjà, près de vingt personnes ont passé à côté d’elle. Sans s’arrêter. En détournant le regard, pour certains. Une caméra de surveillance l’atteste froidement. L’annonce de la mort de la fillette a, elle aussi, choqué les Chinois. Beaucoup accusèrent les témoins (pensant sûrement qu’ils auraient fait différemment). De nombreuses personnes mirent en cause la «montée de l’individualisme». Les politiques de Pékin ont même avancé «une perte des valeurs morales» et songent à instituer une loi visant à punir la non-assistance à personne en danger. Or, si une telle loi peut s’avérer efficace et s’il est juste de punir ceux qui n’assistent pas toute personne demandant de l’aide, il faut également avoir en tête «l’effet du témoin». Si la Chine s’individualise, ce n’est pas tant que les valeurs ont changé. Kitty Genovese est d’ailleurs décédée voilà bientôt soixante ans. Les causes sont multiples mais un facteur semble important: la «diffusion de la responsabilité».

En ces temps particuliers où nous sortons d’un confinement imposé et où il nous a été donné de prendre du recul quant à l’impact de l’homme sur la nature, sur ses semblables, sur les autres, les plus faibles, les démunis, les malades… puissions-nous garder en mémoire que si nos actions, aussi petites soient-elles, comptent, notre silence et notre passivité ont une influence peut-être plus grande encore. 
Bien à vous, 

Yves Gaudin, Docteur en psychopathologie Clinique, écrivain, Sion

Plus d’infos

1. Darley, J. M., & Latané, B. (1968). Bystander intervention in emergencies: Diffusion of responsibility. Journal of Personality and Social Psychology.

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