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Coronavirus: "bon anniversaire maman!". Par Céline Zufferey

23 mai 2020, 10:00
Céline Zufferey, écrivaine, Lyon.

C’était hier, le 22 mai (si vous voulez souhaiter un bon anniversaire à ma maman, envoyez vos messages au «Nouvelliste», ils lui transmettront. Si jamais, elle aime bien la forêt-noire de la Migros, ils lui transmettront aussi).
Je n’ai pas pu être à celui de mon père non plus, au tout début du confinement (pareil, pour les vœux d’anniversaire passez par «Le Nouvelliste», lui il est plutôt mille-feuille).

Deux anniversaires par Skype. Même si le confinement s’assouplit, je ne peux pas venir en Suisse car la France ne permet des déplacements que de cent kilomètres. Lyon est à cent vingt kilomètres de Genève à vol d’oiseau. Vingt petits kilomètres de trop. («Quelle idée aussi de partir en France?!» se dit mon père).

 

Depuis que je suis en France, je me sens Suisse. Parce qu’en pays étranger, parce qu’étrangère.
Céline Zufferey, écrivaine

 

Quand j’ai déménagé, je n’avais pas conscience de changer de pays. Quatre heures de train, la même langue, Lyon que je connais, une ville que j’aime, que j’ai choisie. Mais petit à petit, des détails. Personne n’arrive à prononcer mon nom, ne connaît la brisolée, ne comprend quand je dis être née en mille neuf cent nonante et un. Depuis que je suis en France, je me sens Suisse. Parce qu’en pays étranger, parce qu’étrangère.

Voilà deux ans que j’habite à Lyon («D’ailleurs ça commence à bien faire, quand est-ce que tu rentres?!», me dit mon père) et c’est la première fois que je ressens non seulement la frontière, mais l’arbitraire des frontières. Une ligne tracée sur une carte, sur du papier, même pas droite (pourquoi les contours des pays sont si irréguliers? Si les Suisses s’en étaient occupés, ce serait sûrement plus propre), qu’on se dispute parfois en faisant la guerre, qu’on redessine après des défaites ou des victoires.

En topographie, tous les ans, on mesure certains points: la hauteur d’une montagne, la largeur d’une vallée. Ces mesures changent avec le temps. Les montagnes grandissent, les vallées s’étendent. Ces vingt kilomètres de trop, minuscules sur une carte, dérisoires, arbitraires, ces vingt kilomètres aussi changeront avec le temps. Bientôt j’espère, ils ne signifieront plus limite, interdiction, absence.

Et si la limite, l’interdiction et l’absence persistent, je trouverai bien un passage dans un pré ou un champ, franchir l’arbitraire, choisir ses frontières et décider que sa limite c’est d’être séparé trop longtemps de ses proches.

Bon anniversaire maman, bon anniversaire papa.

Céline Zufferey, écrivaine, Lyon

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