«La guerre froide est terminée. (…) La Russie est un pays ami de l’Europe.» En septembre 2001, deux semaines après le fracas en plein cœur de New York d’une nouvelle menace mondiale, Vladimir Poutine achève de réconcilier les deux blocs devant le Bundestag qui applaudit à tout rompre.

Même lieu 21 ans plus tard: ce n’est plus le président russe que le Parlement allemand ovationne, le 17 mars dernier, mais son nouvel adversaire: Volodymyr Zelensky, président d’une nation ukrainienne qui résiste à l’envahisseur.

Entre ces deux séquences, un gouffre creusé à coups de menaces, d’humiliations, de fausses promesses… Au réchauffement des relations entre Occidentaux et Russes dans les années 1990 a succédé une période de glaciation qui a atteint son acmé le 24 février. L’entente objective fait place à l’incompréhension, puis à la frustration, au ressentiment et carrément à l’hostilité chez Vladimir Poutine.

Dès son accession au pouvoir en décembre 1999, le dirigeant a su exploiter les erreurs et faiblesses des Américains et leurs alliés de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) pour réaliser son entreprise de reconquête des anciens territoires de l’empire soviétique.

1991 La chute de l’empire

L’effondrement de l’URSS en 1991 a nourri un désir de revanche sur l’histoire chez Vladimir Poutine. Ce pur produit soviétique formé au KGB (ancêtre du renseignement russe devenu FSB) gardera toujours au fond de lui cette rancœur à l’égard des Etats-Unis qu’il a vu traiter «sa» Russie comme une vulgaire puissance régionale sombrant en plein chaos économique, avec une armée à bout de souffle, qui veut être intégrée dans le nouvel ordre international post-guerre froide.

«Quand la Russie était en état de faiblesse, ils auraient dû faire en sorte qu’elle devienne une économie forte et une garantie pour la paix», estime Oleg Kobtzeff, professeur en relations internationales à l’Université américaine de Paris. «Les Occidentaux ont été naïfs. Il y a aussi un degré d’ignorance de l’histoire des mentalités et de la culture russes qui s’est révélé après la chute du communisme.»

1999 La poussée de l’Otan

D’anciens pays membres du pacte de Varsovie frappent à la porte de l’Otan pour assurer leur sécurité militaire et échapper à une tutelle russe après la dissolution de l’Union soviétique. La Pologne, la République tchèque et la Hongrie rejoignent l’Alliance en 1999. Des invitations à adhérer sont aussi envoyées à la Bulgarie, à la Roumanie et aux pays baltes.

Elles sont ressenties comme une provocation par Vladimir Poutine, alors chef du FSB qui n’a pas oublié la déclaration du secrétaire d’Etat américain James Baker au président soviétique de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev, en février 1990. Elle sonnait pour le futur «tsar» comme un engagement à ne pas élargir l’Otan à l’est. Promesse non tenue? Plutôt un malentendu qui portait seulement sur le futur de l’Allemagne unifiée, aux yeux des Occidentaux.

En mars 2004, sept pays du bloc soviétique entrent à l’Otan (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie). Quand l’est passe à l’ouest, Vladimir Poutine craint pour la sécurité de la Russie et la volonté des Américains de contrôler sa zone d’influence. D’où la nécessité d’un glacis protecteur autour du pays.

«Il dénonce les «mensonges» prononcés par les Occidentaux, en particulier sur la question de l’Otan, en martelant que la Russie s’est fait avoir depuis le début des années 1990», observe Martin Quencez, chercheur au German Marshall Fund, institution américaine de politique publique, et chercheur associé au Conseil européen des affaires étrangères.

2003 L’usage de la force en Irak

Vladimir Poutine n’a pas encore pris le pouvoir fin décembre 1999 à la place de Boris Eltsine, malade, qu’il assiste, impuissant, à l’intervention de l’Otan en Serbie durant la guerre du Kosovo. Les forces alliées bombardent Belgrade, sans mandat des Nations Unies. Le droit international s’érode davantage encore lors de l’intervention américaine et britannique en Irak en mars 2003. Un tournant dans les rapports de Poutine avec l’Occident.

Au nom de la guerre contre le terrorisme, George W. Bush et Tony Blair déclenchent l’invasion sans l’aval du Conseil de sécurité, en violation de la Charte des Nations Unies. Vladimir Poutine retiendra ce concept de guerre préventive menée pour parer à une menace. Dans le cas présent, celle des armes de destruction massive dont l’existence n’a jamais été prouvée.

La boîte de Pandore est ouverte: nul besoin de légitimité pour utiliser la force contre un autre pays si sa sécurité est menacée. De quoi convaincre le président révisionniste qu’il est possible de lancer une guerre fondée sur le mensonge et que la force prévaut sur le droit.

2008 L’invitation à l’Ukraine

L’intervention russe en Tchétchénie en 1999, laminage de la ville de Grozny compris, n’était qu’un avant-goût de l’aventurisme militaire à venir. Aveuglés par leur sentiment de puissance, les Occidentaux n’ont pas vu venir le danger. Depuis 2000, Vladimir Poutine recolle les morceaux de l’Union soviétique sous l’œil complaisant des Occidentaux.

Les révolutions dans sa proche périphérie (en 2003 en Géorgie et en 2004 en Ukraine), derrière lesquelles il voit la main américaine, l’enhardissent. L’Otan franchit une ligne rouge à ses yeux en avril 2008 lors du sommet de Bucarest, en invitant la Géorgie et l’Ukraine à adhérer.

Ajoutant l’insulte à la blessure, cette initiative convainc un peu plus Vladimir Poutine de la duplicité des Occidentaux. Il passe à l’action quatre mois plus tard en Géorgie. La Russie s’empare des régions séparatistes de l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud en août 2008. Les Etats-Unis condamnent sans sanctionner.

2013 Obama recule en Syrie

Barack Obama avait posé les limites en 2012: il punirait l’usage d’armes chimiques dans le conflit syrien. Une ligne rouge ignorée par le président syrien Bachar al-Assad, qui recourt aux gaz toxiques interdits en août 2013 contre la population civile à La Ghouta, un quartier de Damas. Un bilan effroyable: près de 1400 morts. Au dernier moment, le président américain renonce aux frappes contre les forces loyalistes, tout comme les Britanniques qui s’alignent.

Cette volte-face résonne comme un aveu de faiblesse de la part des Etats-Unis, qui ne veulent plus du rôle de gendarmes du monde à l’heure du pivot vers l’Asie. Vladimir Poutine ne va pas manquer de tirer profit du déclin de la puissance américaine. «La dérobade d’Obama constitue le blanc-seing que le président russe attendait pour annexer la Crimée», avance Nicolas Baverez, historien et économiste

Dans la foulée, Vladimir Poutine va s’imposer dans le jeu syrien. Le maître du Kremlin envoie dès septembre 2015 ses avions réduire en ruines les villes en mains rebelles pour ouvrir la voie de la reconquête à Bachar al-Assad. Les Américains lui laissent ainsi champ libre. Il va y affiner la politique de la terre brûlée et la logique de siège qu’il mettra en place en Ukraine.

2014 Les sanctions molles

Début 2014, c’est la répétition générale: le Donbass tombe en mains prorusses, et Moscou annexe la Crimée. Cette attaque contrevient au mémorandum de Budapest de 1994. Moscou s’était engagé à respecter l’indépendance et les frontières de trois pays dont l’Ukraine en contrepartie de sa dénucléarisation. A chaque coup de force, Moscou légitime son agression par la défense des populations locales qui lui sont favorables.

Les Occidentaux sont forts avec les faibles et faibles avec les forts.

Oleg Kobtzeff, professeur en relations internationales à l’Université américaine de Paris.

A chaque pas russe en avant, les Occidentaux reculent un peu plus avant de se féliciter d’avoir empêché son adversaire d’aller plus loin. Et à chaque fois, les mêmes réactions occidentales: on s’indigne, on menace, on sanctionne mollement et on passe à autre chose. «Les Occidentaux auraient dû réagir avec plus de fermeté», insiste Oleg Kobtzeff, qui résume ainsi la politique des Occidentaux à l’égard de Moscou: «Ils sont forts avec les faibles et faibles avec les forts.»

2021 Le fiasco afghan

Le retrait chaotique des troupes américaines d’Afghanistan a pu servir de déclencheur à Vladimir Poutine: «Il est certain que la décision d’envahir l’Ukraine a été prise quand les Américains sont partis d’Afghanistan», affirme Oleg Kobtzeff. «Poutine s’est dit qu’ils ne répondront pas à une attaque en Ukraine.» Joe Biden ne veut pas jouer les shérifs et s’embourber dans les guerres lointaines usantes.

Vladimir Poutine sait jouer de la moindre faille, comme il l’a fait avec le précédent président, son admirateur Donald Trump. Le seul président américain sous le mandat duquel il n’a pas agressé un pays voisin. Il faut dire que le milliardaire l’a traité comme un allié, discréditant et affaiblissant le camp occidental, Otan en tête. Poutine n’a jamais été aussi bien servi que par Trump.

Otan: la Finlande va demander son adhésion

Le président et le gouvernement finlandais ont annoncé dimanche qu’ils allaient demander à devenir membre de l’Alliance atlantique. Le Parlement doit encore valider le projet.