Ce devait être le plat de résistance de la session spéciale ciale du Conseil national qui s’est tenue cette semaine à Berne, ou tout du moins le sujet le plus urgent et le plus sensible, à savoir la «lex Ukraine». Soit le nom d’une initiative parlementaire visant à assouplir la loi sur le matériel de guerre afin d’autoriser la réexportation d’armes et de munitions suisses à partir d’autres pays vers l’Ukraine.

Reléguée dans un addendum au programme, l’initiative n’a pas pu être traitée, faute de temps. Le National a préféré réglé d’autres questions bien plus urgentes, comme la désignation d’un nouveau jour férié, le 12 septembre, pour célébrer la démocratie, ou la place du suisse allemand au parlement.

Cela a donné l’occasion à Philipp Matthias Bregy (Centre) de réciter à la tribune un poème en haut-valaisan, histoire de démontrer par l’absurde – personne n’ayant rien compris – que ça n’était pas une bonne idée d’autoriser le dialecte pour les discussions en plénum.

La quadrature du cercle

Le moment a été savoureux et le Parlement a bien le droit de s’amuser un peu de temps en temps, pour autant qu’il s’attaque aussi aux vrais problèmes. Or cela fait des mois que, dans ce dossier, la Suisse subit de très fortes pressions de la part de l’Allemagne et de l’Union européenne, qui considèrent que refuser d’aider l’Ukraine, c’est soutenir la Russie. L’Europe va logiquement voir la légèreté du Parlement suisse comme un nouvel affront.

Certes, la question relève de la quadrature du cercle. Difficile d’y apporter une solution adéquate sans écorner la neutralité suisse. Le parlement a déjà buté par deux fois sur ce problème en mars. Il avait alors refusé une motion du président du PLR Thierry Burkart, puis accepté, mais en la vidant de sa substance, une motion émanant des rangs socialistes.

La «lex Ukraine», c’est l’idée du président du Centre Gerhard Pfister. Elle apparaît encore moins adéquate que les deux autres textes et devrait logiquement être refusée par le Conseil national. Cela excuse, en partie, le peu d’empressement à la traiter.

Il existe pourtant à Berne une majorité, fragile certes, en faveur de la réexportation d’armes. Seuls deux groupes y sont fermement opposés: l’UDC, qui se pose en gardien de la neutralité, et les Verts, au nom du pacifisme. Cela laisse de la marge pour construire une majorité.

Mais chacun des autres groupes a préféré tirer la couverture à lui et saborder la solution du voisin, sur fond de guerre d’ego et de rivalités en vue des élections fédérales. Même sous cet angle, c’est mal joué, car seuls l’UDC et les Verts, avec leurs positions tranchées, vont marquer des points pour cet automne.

Une portée symbolique

Il faut comprendre que ce débat n’a qu’une portée symbolique. D’abord, parce qu’à l’origine de cet imbroglio, les 12 400 obus suisses que l’Allemagne voulait envoyer en Ukraine pour armer ses chars Guépard ne représentent que quelques minutes de tirs et n’auraient pas infléchi le cours de la guerre.

Ce débat est symbolique aussi en Suisse, parce qu’impossible de modifier la législation sur ce point, sans que cela ne débouche sur un référendum explosif sur la neutralité, avec une votation populaire seulement l’an prochain. Et s’y ajoute l’opposition du Conseil fédéral, qui ne veut pas donner son aval à la réexportation d’armes, quand bien même la loi l’y autoriserait.

Dans ce contexte toutefois, un vote en faveur de la réexportation d’armes aurait été interprété comme un signe de bonne volonté par l’Allemagne et l’UE.

Et Dieu sait si la Suisse a besoin en ce moment de graisser les rouages de ses relations bilatérales compliquées avec Bruxelles. Cela aurait été également un signal positif adressé à l’Otan, avec qui la Suisse cherche à développer ses collaborations.

En préférant jouer les pieds nickelés, le parlement a manqué là une occasion. Le qualificatif vaut aussi pour le Conseil fédéral. Son intransigeance dans ce dossier a suscité l’incompréhension courroucée de ses partenaires européens.

Le cycliste Alain Berset

Et le président de la Confédération Alain Berset est venu y ajouter sa petite touche personnelle en mettant les deux pieds dans le plat pour avoir critiqué la «frénésie guerrière» des parlementaires dans ce dossier. Le pilote d’avion maladroit qu’il est a dû se muer en cycliste pour rétropédaler. Sa contribution à la lutte contre le réchauffement climatique sans doute…

Pendant que le Conseil fédéral et le parlement se contorsionnent pour ne pas résoudre cette question des réexportations d’armes, l’Allemagne a contourné la difficulté. L’entreprise germano-helvétique Rheinmetall, qui fabrique les fameux obus, devrait ouvrir une nouvelle ligne de production le mois prochain juste de l’autre côté de la frontière.

Une fois de plus se vérifie l’adage d’Henri Queuille, politicien français oublié de la IIIe République: «Il n’est aucun problème assez urgent en politique qu’une absence de décision ne puisse résoudre.»

La Liberté

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