A Volgograd (ex-Stalingrad), dans le sud-ouest de la Russie, le président russe a déclaré jeudi que la Russie était «à nouveau» menacée par des chars allemands, faisant référence aux blindés Léopard 2 promis par les Occidentaux à Kiev. Vladimir Poutine s’exprimait à l’occasion des célébrations du 80e anniversaire de la victoire soviétique contre l’armée allemande à Stalingrad.

En faisant référence aux blindés Léopard 2 promis par les Occidentaux à Kiev, le dirigeant du Kremlin a dressé un nouveau parallèle entre la guerre contre Hitler et la campagne militaire russe en Ukraine.

Une comparaison qui est tout sauf anodine, souligne Galia Ackerman. Née à Moscou en 1948, cette historienne, journaliste et écrivain spécialiste de la Russie post-soviétique est l’auteur de nombreux livres, dont «Le Livre noir de Vladimir Poutine» (2022, Robert Laffont et Perrin) et «La Seconde Guerre mondiale dans le discours politique russe» (2016, L’Harmattan). Entretien.

Pourquoi la bataille de Stalingrad occupe-t-elle une place si centrale dans l’histoire de la Russie moderne?

La bataille de Stalingrad a été décisive pour l’issue de la Seconde guerre mondiale. C’est symboliquement un événement très important. Les combats ont duré plusieurs mois, les Allemands étaient pratiquement dans Stalingrad.

Ce qui s’est passé là-bas était 100 fois plus meurtrier que les batailles de Marioupol et de Bakhmout aujourd’hui. Il est donc logique que cet événement soit commémoré. Les Allemands ont perdu la guerre quand ils n’ont pas réussi à prendre Stalingrad.

Depuis, l’événement est célébré en grande pompe chaque année. Quelle importance revêt encore cette bataille, 80 ans plus tard?

La nouvelle identité russe se construit autour de la victoire dans la Seconde Guerre mondiale. On glorifie le peuple qui a gagné, qui a libéré l’Europe du nazisme, qui a tous les droits parce qu’il a gagné la guerre contre le plus grand mal du siècle. Automatiquement, pour la Russie, si on terrasse le plus grand mal, c’est qu’on est le plus grand bien. La vérité est pourtant tout autre.

L’écrivain soviétique Vassili Grossman décrit très bien le fait que le peuple s’est battu pour sa terre et pour sa liberté. Pour lui, la bataille de Stalingrad et la victoire dans la Seconde Guerre mondiale signifiaient en quelque sorte plus de liberté dans le pays.

Mais le régime de Staline, tout aussi sanguinaire que le régime hitlérien, n’a pas du tout satisfait les exigences du peuple. Le peuple a été déçu parce que, après la guerre, il y a eu une nouvelle vague de répression.

Ce qui est célébré aujourd’hui, ce n’est pas du tout cette vision de l’histoire décrite par Vassili Grossman, c’est surtout la victoire à tout prix. Les pertes russes ont été deux fois plus nombreuses que les pertes allemandes. Quand on célèbre aujourd’hui Stalingrad, on célèbre surtout la victoire brutale qui a coûté la vie à au moins 800 000 Soviétiques.

Un slogan est répété, année après année, lors de ces célébrations: «Nous pouvons le faire encore une fois». C’est-à-dire, «nous, qui avons conquis la moitié de l’Europe et sommes parvenus à Berlin, nous pouvons le refaire». Et aujourd’hui, ils sont en train de le refaire en Ukraine. Aujourd’hui, ces célébrations sont une sorte de tentative de galvaniser le peuple.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le Kremlin multiplie justement les références à la bataille de Stalingrad pour justifier les combats…

C’est le sens de tout le discours russe. La bataille de Stalingrad est le symbole le plus fort de la Seconde Guerre mondiale pour les Russes. Et le régime de Poutine a bâti sa légitimité et cette idéologie de la victoire sur le fait qu’ils ont gagné une fois et que ce peuple invincible et immortel ne peut pas perdre. Le modèle de la Seconde guerre mondiale a été calqué sur la guerre en Ukraine: à l’époque, il y avait des nazis, il y en a aussi en Ukraine, disent les Russes.

Pour eux, le jour de la victoire s’inscrit comme un événement religieux que l’on célèbre chaque année, comme Noël ou Pâques. Il leur faut tout cela pour justifier ce qu’ils font aujourd’hui.

La ville russe de Volgograd (ex-Stalingrad) a inauguré mercredi un buste de Staline. Comment interpréter la permanence de l’héritage soviétique 30 ans après la chute de l’URSS?

La figure de Staline réapparaît de plus en plus dans l’espace public, après en avoir été bannie pendant 30 ans. Sa réhabilitation est indissociable de l’idéologie impérialiste, de la célébration, de la commémoration, de l’exaltation de la Seconde Guerre mondiale, malgré le fait qu’il a été un grand criminel.

Depuis plusieurs années maintenant, on assiste à la réhabilitation de Staline parce qu’il est indispensable à Poutine pour fonder son idéologie sur la victoire de la Seconde guerre mondiale. Toute l’Histoire russe a été réécrite pour glorifier les faits d’armes et gommer autant que possible tout ce qui n’allait pas.

Et cela ne concerne pas seulement Staline mais aussi Ivan le Terrible. La thèse officielle maintenant, c’est qu’il n’était pas si terrible que cela, qu’il s’est battu pour l’unité des terres russes et que ce sont les historiens occidentaux qui en ont présenté une image déformée.

Depuis plusieurs années, des débats ont lieu pour éventuellement renommer la ville de Volgograd en Stalingrad. Est-ce possible?

La ville de Volgograd est déjà rebaptisée symboliquement Stalingrad six fois par an, notamment le 2 février et le 9 mai (jour de la Victoire sur l’Allemagne nazie, N.D.L.R.). Mais la mairie de Volgograd veut aller plus loin: elle est en train de débattre de la proposition de plusieurs députés municipaux de rebaptiser définitivement la ville en Stalingrad. Est-ce que cela va aboutir? Il n’y a pas encore de décision.

L’un des grands propagandistes du Kremlin, Dimitri Kisselev, avait parlé de Staline il y a quelques années, expliquant qu’il fallait dépassionner le débat autour de lui, qu’il avait été un très grand homme. Il expliquait que, globalement, le bilan de Staline avait été positif malgré quelques excès. Voilà la position officielle. Le peuple russe n’est peut-être pas encore totalement prêt à ce que Volgograd soit rebaptisée Stalingrad, mais nous verrons dans les mois qui viennent.

Hugues Maillot, Le Figaro

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