Un trafic aérien neutre en CO2 d’ici à 2050? Un postulat prévu au programme du Conseil national aujourd’hui demande au Conseil fédéral comment il compte atteindre ce but. Le Gouvernement propose d’accepter le texte. Des solutions innovantes existent, mais elles soulèvent de nombreuses interrogations. Entretien avec Claudio Leonardi, expert en aéronautique et chef du projet Clip-Air à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Dans quelle mesure le kérosène synthétique, adapté aux avions actuels, représente-t-il une solution écologique?

Claudio Leonardi: Ce que l’on appelle le projet SUN-to-LIQUID (littéralement «soleil transformé en liquide», ndlr) consiste à recomposer les molécules d’hydrocarbure par un procédé thermochimique à partir du CO2 atmosphérique et d’eau. Or pour un impact neutre, il faut que ce procédé s’effectue par rayonnement solaire, ce qui implique des surfaces gigantesques pour répondre à la demande. Si l’on préfère le nucléaire au photovoltaïque, le coût climatique du kérosène produit devra prendre en compte le démantèlement des centrales, l’extraction de l’uranium et les déchets. En outre, à l’heure actuelle, ce carburant synthétique demeure très cher.

Le tout électrique non hybride pose de grands défis, car les batteries pèseraient des centaines de tonnes pour un Airbus A320.

Qu’en est-il des avions électriques?

Cela fait déjà une quinzaine d’années que les avions de ligne s’électrifient petit à petit, à l’instar de la gestion du train d’atterrissage. Quant à la propulsion électrique, elle semble réaliste pour 2035, mais sous forme hybride. La recherche dans le domaine des grandes puissances électriques embarquées en sera l’élément clé. Le tout électrique non hybride pose de grands défis, car les batteries pèseraient des centaines de tonnes pour un Airbus A320. Ce seront donc de plus petits avions qui seront propulsés grâce à l’électricité.

Et l’hydrogène liquide (LH2)?

C’est une piste sérieuse. Il y a cependant des défis: produire du LH2 de manière écologique, le stocker (à -253°C) non loin des zones aéroportuaires, puis l’amener à l’avion. Tout cela impliquera de revoir la forme de celui-ci. Car le LH2, même plus léger, prend 4,2 fois plus de volume que le kérosène traditionnel. Lorsque les réservoirs se vident, il redevient gazeux. Il faudra donc procéder à un dégazage. Ceci nécessite un ensemble de phases complexes.

L’hydrogène «propre réduit certes les émissions de CO2. Mais lorsqu’il est brûlé dans l’atmosphère, il ne fait pas disparaître les oxydes, très polluants.

Cependant, l’impact environnemental du LH2 n’est pas à négliger. L’hydrogène «propre» réduit certes les émissions de CO2. Mais lorsqu’il est brûlé dans l’atmosphère, il ne fait pas disparaître les oxydes, très polluants, même si la quantité est divisée par quatre à 12 000 mètres d’altitude. L’autre problème posé par l’hydrogène est la vapeur d’eau.

Pourquoi la vapeur d’eau?

Nous savons que l’excès de vapeur d’eau se traduit par des phénomènes météorologiques extrêmes, même si son temps de suspension dans l’atmosphère est très bref, comparé au CO2. Pour donner un ordre d’idée: un kilo de kérosène brûlé par le moteur d’un avion moyen-courrier produit 1,24 kg de vapeur d’eau. Avec 0,36 kg d’hydrogène, ce sont 3,21 kg de vapeur d’eau! Ces quantités varient avec l’altitude.

Il est aussi possible d’agir sur la conception même des avions…

En effet, rallonger les ailes permet de réduire fortement la consommation, en minimisant la traînée induite (avions Hurel-Dubois). Autre innovation économique: renoncer au carénage des réacteurs, ce que l’on appelle l’Open rotor. Cependant, les turbines à l’air libre génèrent davantage de bruit. La solution parfaite n’existe pas. A l’EPFL, nous avons exploré un concept d’avion modulaire (Clip-Air) qui, grâce à des capsules pour les passagers, le fret ou le carburant, change la conception du transport aérien. Le but: voler avec moins d’avions.

En tant que citoyen, je ne pense pas que l’on pourra continuer à voyager en avion comme nous le faisons depuis des années. La technologie ne peut pas tout résoudre.

Selon vous, pourra-t-on continuer à voyager en avion comme nous le faisons depuis des années?

En tant que citoyen, je ne le pense pas. Même si investir dans la recherche est indispensable, la technologie ne peut pas tout résoudre. Non seulement les innovations ne sont pas exemptes d’inconvénients, mais elles sont aussi profondément décalées face à nos propres archaïsmes. Prenez l’effet rebond: une compagnie qui achète un avion moins gourmand en énergie va faire des économies. Elle va donc réinvestir pour développer son offre, en baissant les prix et, in fine, en achetant davantage d’avions. Résultat: le trafic augmente et l’impact sur l’environnement s’accroît. Cela est illustré par l’échec des objectifs du Conseil consultatif pour la recherche aéronautique en Europe, qui visaient, pour 2020, 50% de CO2 en moins tout en triplant les mouvements…

Est-ce que vous croyez à une réduction du trafic aérien?

Nous n’avons pas le choix. La situation climatique est très grave. Mais convaincre de changer nos comportements sera aussi difficile que réaliser une aviation décarbonée, surtout si celle-ci est vue comme régressive. Ce changement se heurte à la pensée dominante du «toujours plus». Les nouveaux types de propulsion écologique doivent permettre de réaliser une transition en douceur. Mais ne rien changer à la situation et continuer de miser sur nos croyances est irréaliste.

Chine: une boîte noire retrouvée après l’accident d’avion

L’une des deux boîtes noires du Boeing 737-800 qui s’est écrasé lundi en Chine avec 132 personnes à son bord a été retrouvée. Elle est «très endommagée», selon l’aviation civile.